Chapitre 6

Le lendemain, c’était la mort dans l’âme que Sid se rendait au Monte Friccio. Son épée de lumière avait attiré l’attention de Zjök et Shadow qui étaient arrivés une heure après que Jester avait découvert le massacre. Il avait réussi à se relever, à cacher à quel point il était affecté. Felicia remarqua très vite que l’événement avait eu lieu à peine Alberto de retour.

« Pendant cinq ans les vampires ont semblé ignorer ton absence et dès que ce cinglé revient, ils sont au courant », disait-elle.

Bien que la corrélation était évidente, Zjök rassura vite Sidney sur son ancêtre :

– Alberto ne peut pas être responsable de cela. Il n’aurait jamais autorisé le meurtre d’un enfant. Il a une sorte de code d’honneur.

Sid revoyait en boucle les images du carnage qu’il avait découvert sur sa terrasse. Frasca l’avait appelé un peu plus tôt dans la journée pour s’assurer qu’il allait bien. Jester n’avait pas répondu. Il ne voulait pas en parler, ou du moins pas avec Frasca. Il savait ce qu’elle allait lui dire . Qu’il n’était pas responsable, que Giacco était un être immonde… des choses que Zjök lui avait déjà dites, à sa façon, étrange certes. Mais plus que d’être rassuré, Sidney avait besoin de comprendre. Pourquoi tant de haine ? Pourquoi un enfant ? Des choses auxquelles peut-être seul un vampire pouvait répondre.

 » Pendant cinq ans les vampires ont semblé ignorer ton absence et dès que ce cinglé revient, ils sont au courant. »

 

 

Sur le chemin vers le sommet du Monte Friccio, Sid marchait d’un pas vif mais discret. La montagne était le lieu où vivait le Loup-Garou, un homme qui avait fait appel à un serviteur de Nabero, pour régler une dispute de voisinage. Il le paya au prix fort car il fut changé par le démon en bête mi-homme, mi-loup, hantant le Monte Friccio la nuit tombée depuis plusieurs centaines d’années. Jester l’avait vu deux fois dans sa vie. Une fois de loin, alors qu’il était âgé de sept ans, et une seconde fois à l’âge de dix-neuf ans, où la bête l’avait attaqué quand il sortait de la Nécropole. Il avait réussi à s’enfuir grâce à sa vitesse d’Ange Noir, mais le Loup-Garou lui avait laissé sur le mollet trois marques rouges si profondes que, six ans plus tard, elles étaient encore visibles. Alors que Jester s’approchait de la trappe à même le sol menant à la Nécropole, il put entendre le cri terrifiant de la bête, semblable à une corne de brume. Il se dépêcha de se laisser tomber dans le trou et de refermer la trappe derrière lui. Sidney devait longer un tunnel avant d’arriver dans la chambre funéraire des Protettori. Il était plus large que celui menant au réfectoire de la Croce Nera et à la différence de ce dernier, les murs de la Nécropole étaient lisses et travaillés. Sid avait pris une torche à l’entrée du couloir plongé dans l’obscurité. Les pas de Sid résonnaient contre les murs froids. Il marcha pendant une bonne quinzaine de minutes, s’enfonçant dans les entrailles du Monte Friccio. Il trouva Alberto assis contre le mur devant une grille en argent donnant sur une pièce éclairée.

– On ne m’a pas donné la clé de la chambre funéraire, soupira-t-il, soi-disant que les fantômes n’apprécieraient pas ma présence. C’est ce que Zjök m’a soutenu quand il est passé ce matin me tenir au courant de ce qui s’était passé hier soir, chez toi.

Sid ouvrit la grille en disant :

– Si les macchabées ne sont pas contents, je m’en fiche. C’est moi, l’Ange Noir en fonction.

Alberto et lui entrèrent dans la grande pièce aux dalles de marbre éclairée par un grand chandelier. Onze tombeaux étaient alignés. Cinq se trouvaient sur le côté gauche de la pièce, six de l’autre. Une statue représentant une femme encapuchonnée se tenait au bout de la Nécropole. Le visage de celle-ci était invisible et Sid se demandait qui elle pouvait bien représenter depuis sa première visite. Il en fit part à son ancêtre. Alberto murmura, comme pour ne pas réveiller les morts :

– C’est Thanata, Ange de la Mort et du Destin, Protectrice des Anges Noirs, Maîtresse des Prophéties et Juge des Lois Surnaturelles du Val Nessona. Je suis surpris que personne ne te l’ait jamais dit.

Jester dit :

– Ni Malissia, ni Lunos, les rares fantômes avec qui je m’entends bien, ne savaient de qui il s’agissait.

Alberto soupira :

– Il faut croire que la culture de cette vallée se perd depuis que je suis parti.

Il se pencha sur une tombe où était inscrit :

Sangue

(Vilius Cuoresanguinoso)

27 Mars 1707-30 Janvier 1791

Le vampire dit tristement à Sid :

– C’est la première fois que je vois la tombe de Vilius. Avant de te donner ta leçon, je voudrais juste me recueillir.

« C’est Thanata, Ange de la Mort et du Destin, Protectrice des Anges Noirs, Maîtresse des Prophéties et Juge des Lois Surnaturelles du Val Nessona. »

 

Jester fut surpris du ton grave et sérieux d’Alberto. Son regard était ferme, mais marqué d’une profonde émotion. Pour la première fois, Jester comprit le respect que son ancêtre pouvait avoir inspiré à ses fils. A la lumière du chandelier, il remarqua qu’Alberto s’était lavé les cheveux et que son manteau de vampire était propre. Il avait l’air d’un vrai chef, loin du personnage extravagant qu’il avait l’habitude d’interpréter. Sid put l’entendre murmurer :

– Il n’y a pas un jour où je n’ai pas pensé à toi et à tes frères, espérant que vous alliez bien et que vous aviez cessé de vous battre. Que doit faire un père quand ses trois fils qu’il aime ne sont pas capables de trouver un terrain d’entente ? Quand l’un d’entre eux ne veut pas entendre raison ? Je regrette que ça ait aussi mal tourné. J’espère qu’un jour tu pourras me pardonner.

Il se tut et posa doucement ses lèvres sur le granit de la tombe. Alberto se redressa et mit sa main sur l’épaule de Sidney :

– Il est important d’honorer ceux que l’on aime quand ils sont tombés et de reconnaître ses torts. Même si je ne le dirai jamais devant quelqu’un d’autre et encore moins devant Frasca, je suis en grande partie coupable de ce qui est arrivé à mes fils. J’aurais peut-être dû exiler Giacco quand il a commencé à mal tourner. Mais si l’on reste à spéculer sur ce qui aurait pu arriver, nous nous enfermons loin de la réalité, au lieu de tenter de rattraper nos erreurs, dit le patriarche des Cuoresanguinoso.

Il s’assit sur une tombe non loin, sans égard envers le Protettore y reposant. Sid, qui connaissait l’emplacement de chaque tombe, remarqua qu’il s’agissait de celle de Salvatore, le plus grand Protettore de tous les temps, vainqueur de la Grande Guerre Nessonienne. Alberto demanda à Jester :

– Dis-moi, est-ce que tu vas bien ? Après ce que tu as vu hier soir, je pensais que tu refuserais de venir, ou que tu me suspecterais d’avoir donné des informations à Giacco.

– Zjök m’a dit que tu ne pouvais pas être responsable de ça.

Alberto se gratta le front et dit en souriant bêtement :

– Et pourtant, c’est bien moi qui, indirectement, ai transmis les informations à ton « oncle ». Vois-tu, il y a dix ans, après t’avoir aperçu t’entraînant avec celui que tu appelles l’Ancien, avant d’aller voir les dragons, je me suis rendu à Fort Cuoresanguinoso, pour voir Lino que je pensais en vie. Sur le chemin, je suis tombé sur Federico Lunascura, chef du clan du même nom. C’est lui qui m’a appris pour l’exil de Lino. Comme c’est un con de première, je ne l’ai pas pris au sérieux. Mais arrivé devant le fort, dont j’avais laissé la clé à Lino, je me suis retrouvé face à une porte fermée et un bâtiment vide. Je me suis dit que, peut-être, Lunascura m’avait dit la vérité, mais comme c’est vraiment un abruti fini, je suis allé au Havre pour parler à ceux qui ne mentent quasiment jamais. Enfin, voilà, ils ont confirmé les dires de l’autre crétin. Le plus important, c’est que Federico Lunascura est un très gros enfoiré.

Sid demanda :

– Et pourquoi ?

– Parce que c’est lui qui a dit à Giacco que j’étais réapparu. Logiquement, comme mon fils sait très bien que je ne suis pas très content de ce qu’il a fait à ses frères, mon retour était une mauvaise nouvelle pour lui ; il m’a donc sûrement fait suivre. Et, comme je t’ai suivi après, il est probable que le vampire qui me suivait ait eu les informations à ton sujet. Morale de cette histoire : Lunascura est un fils de sorcière !

Sid hocha la tête et grogna :

– Tu pourrais éviter d’utiliser sorcière comme insulte devant moi.

Alberto leva les yeux au ciel :

– Et pourtant, il n’y a pas pire insulte pour définir l’autre imbécile heureux. Mais soit, ton amie est une sorcière, donc je veux bien faire un effort, tout comme j’ai fait un effort quand Lino courtisait la fille du roi elfe Darinji, qui est devenue reine plus tard d’ailleurs. Tu sais, pour lui, j’avais arrêté de traiter les elfes de « scientifiques pédants et pleurnichards ».

« Il est important d’honorer ceux que l’on aime quand ils sont tombés et de reconnaître ses torts. »

 

Sid soupira :

– Passons. Donc tu t’es fait suivre pendant dix ans, sans t’en être rendu compte ? Et puis si ce que tu dis est vrai, ça veut dire que les vampires connaissent l’emplacement du Havre des Dragons.

Son ancêtre fit craquer sa nuque. Il dit :

– Un vampire passe facilement inaperçu dans la foule et je ne suis pas devin non plus. Je ne me suis fait cette réflexion qu’aujourd’hui, car je pensais que Lunascura était tellement bête qu’il n’aurait pas idée d’informer Giacco de ma présence. En ce qui concerne le Havre, ils se trouve dans les Monts Sans Noms, les vampires en ont une peur bleue à cause de toutes les histoires que je leur ai racontées.

Sid remarqua qu’aucun fantôme ne s’était manifesté. Était-ce à cause de la présence d’Alberto, envers qui de nombreux Protettori s’étaient montrés hostiles ? Le vampire ne semblait pas y prêter grande importance. Il dit à Sid :

– Au sujet des événements de la nuit dernière, je peux t’affirmer que, selon le récit de Zjök, Giacco en personne est responsable de cette tuerie. Comme n’importe quel membre de notre clan, il n’a pu s’empêcher de signer son massacre.

Sid comprit immédiatement de quoi Alberto parlait. L’image du cœur transpercé de l’enfant posé dans sa main lui traversa l’esprit comme un coup de poignard. Le patriarche continua son exposé :

– Nous signons toujours nos meurtres d’un cœur transpercé quand il s’agit d’une affaire personnelle. Mais Lino, par exemple, se contentait de le dessiner avec le sang ou le graver sur la peau de ses victimes. Moi, en revanche, je suis du genre démonstratif : j’ouvrais la poitrine d’un des cadavres et je transperçait le cœur avec une épée, d’où le blason de notre clan, mais je laissais le cœur dans le bonhomme. Vilius lui…

Une voix froide et rauque s’éleva de la tombe de Sangue :

– Je l’arrachais encore battant du torse de mes ennemis et je le poignardais sous leurs yeux.

Le benjamin des Cuoresanguinoso était un des fantômes que Sid n’avait jamais rencontrés. Il avait dû se réveiller quand il avait entendu la voix de son père et attendre de vérifier qu’il s’agissait bien d’Alberto avant de se manifester. La forme ectoplasmique de Vilius Cuoresanguinoso s’éleva hors de sa tombe. C’était un vampire qui ne paraissait pas beaucoup plus vieux que Sid. Il était plus petit que son père et Jester, mais plus large d’épaules. Son visage aurait pu être d’une grande beauté s’il n’était pas déformé par une expression cruelle et sans pitié. Son intervention eut le don de faire apparaître d’autres fantômes. Une jeune femme aux cheveux raides d’un châtain étrange, tirant sur le gris pâle, un blond au visage fin comme taillé dans du marbre, un homme légèrement dégarni et un Protettore aux allures d’intellectuel. Sid connaissait déjà la sœur de Frasca, Malissia, le seul Ange Noir de sexe féminin à avoir veillé sur la Vallée. Le petit homme dégarni était Astros, un obscur Protettore sans grands exploits à revendiquer, que Jester avait rencontré à quelques occasions. Le fantôme à l’apparence savante répondait au nom de Lunos, il s’agissait du prédécesseur direct de Sidney. Le grand blond était sorti de la tombe sur laquelle Alberto était assis. Sid ne l’avait jamais vu auparavant. Il regardait le vampire avec une expression sévère. Il tapa sur l’arrière du crâne du patriarche du clan Cuoresanguinoso d’un revers de la main. C’était Salvatore, le plus célèbre des Protettori du Val Nessona. Il tonna à l’adresse d’Alberto :

– Qu’est-ce que tu fiches ici ? Et les fesses posées sur ma sépulture, par-dessus le marché !

Alberto se retourna et fusilla Salvatore du regard en se massant l’arrière du crâne. Il grogna :

– Je me demandais quand tu te manifesterais, blondinet !

Le fantôme grimaça. Il tourna le dos à Alberto et lança :

– Dès que j’ai senti ta présence devant la grille, j’ai averti les autres Anges Noirs. Nous avons alors décidé de ne pas nous manifester. Tu aurais été trop heureux que nous t’accordions ne serait-ce la moindre importance. Malheureusement, un vampire est un traître par définition, alors Sangue n’a pu s’empêcher de l’ouvrir.

Malissia faisait de grands signes à Sid :

– Moi, je ne voulais pas te faire la tête. Mais Salvatore m’a dit que si je disais un mot, il me tuerait.

Sid soupira :

– Tu es déjà morte… Il ne peut pas te tuer à nouveau. D’ailleurs, je trouve curieux qu’il apparaisse maintenant alors qu’il n’a jamais montré le bout de son nez durant ma formation.

Ce fut Sangue qui répondit :

– Il ne considère pas que les vampires soient dignes de sa « glorieuse » présence. Je te rassure, cet emplâtré n’a jamais daigné ne serait-ce soupirer en ma présence durant mon ministère.

Alberto se tourna vers son fils. Les fantômes des Anges Noirs passés pouvaient se matérialiser sous forme solide, comme Salvatore l’avait fait pour frapper le vampire. C’est ainsi qu’Alberto prit Sangue dans ses bras, avec enthousiasme exubérant :

– Mon petit Vilius ! Tu ne sais pas à quel point tu as manqué à ton papounet bien-aimé !

Le benjamin des frère Cuoresanguinoso ne semblait pas partager cet entrain. La mine dépitée, les côtes sûrement broyées par son père, il grogna :

– Quelle joie de te revoir, père.

Sid dut se retenir de rire. Voir un Ange Noir à la renommée de Sangue prisonnier d’un débordement d’amour paternel frisant le ridicule était hilarant à ses yeux. Mais à peine Sid eut-il esquissé un sourire, qu’Alberto le prit également dans ses bras en s’exclamant :

– Toute la famille est enfin réunie !

Sid se retrouva collé entre Sangue et Alberto. Dans l’étreinte du patriarche, Sangue murmura à son père :

– Tu n’es pas obligé de faire ton numéro d’abruti. Tout le monde sait, ici, que tu n’es pas un enfant dans un corps d’adulte.

Jester crut entendre Alberto répondre :

– Je sais, mais j’adore faire enrager Salvatore en me comportant comme le dernier des imbéciles heureux.

Sid commençait à avoir de la peine à respirer. Comme si ça ne suffisait pas, Malissia se jeta sur les vampires et se joignit à l’accolade en hurlant :

– Moi aussi je veux un câlin !

Sangue et Sid se regardèrent, exaspérés. Ils se dégagèrent conjointement des bras d’Alberto et de la sœur de Frasca. Le Protettore vampire regarda le descendant de son frère et dit :

– Désolé de ne pas m’être manifesté plus tôt pendant ta formation. Mais je n’aime pas beaucoup être en présence d’autant de monde. D’autant que c’est cette folle, ajouta-t-il en pointant Malissia du doigt, qui se montre le plus souvent quand tu es là. Et j’ai horreur des gens trop tactiles. En fait, j’ai horreur des gens tout court.

« Quelle joie de te revoir, père. »

 

Sangue mettait le doigt sur un trait de caractère flagrant de la Protettrice lui ayant directement succédé. Malissia était quelqu’un d’incroyablement impulsif. Un jour, elle avait embrassé Sid, pour voir ce que pouvait ressentir un fantôme en embrassant un vivant. Si l’ancienne Ange Noir avait apprécié l’expérience, Jester avait été traumatisé durant de longs mois et la simple évocation de la langue froide et morte d’Angela Macchiavetti dans sa bouche avait le don de provoquer des vertiges à l’Ange Noir en fonction. De son vivant, Malissia avait, malgré son comportement souvent insouciant et casse-cou, été l’un des Anges Noirs les plus forts et puissants de l’histoire de la Vallée. Cependant, les risques qu’elle prenait et son caractère lui avait valu le surnom d’ « Ange Fou ».

– Je voudrais pouvoir donner ma leçon au descendant de Lino, remarqua Alberto. Sangue peut rester, mais tous les autres, premièrement je n’ai jamais pu vous encadrer, deuxièmement, je vous déteste, troisièmement, cassez-vous !

Malissia gémit :

– Mais moi, je n’ai rien fait !

Alberto la regarda et dit :

– Bon, toi, la maboule, d’accord. Mais le binoclard, le péteux et le demi-chauve… vous retournez dans vos tombes, sinon je vous désintègre les uns après les autres !

Salvatore leva le nez et retourna dans sa tombe sans rien dire. Lunos, qui pourtant n’avait jamais rencontré Alberto de sa vie, disparut après avoir salué Sidney. Astros resta assis sur sa tombe. Il dit aux vampires, d’une voix rauque et monocorde :

– Je ne compte pas vous importuner bien longtemps, mais je suis connu pour être un Protettore savant et je souhaiterais profiter de votre petite leçon pour m’informer un peu sur les rites vampires.

Alberto tourna la tête vers Astros et grogna :

– Tu n’es pas connu pour être un savant. Tu n’es pas connu du tout, en fait !

Vexé, le dernier fantôme non-invité par Alberto à assister à sa leçon se volatilisa. L’ancien chef des Cuoresanguinoso reprit la discussion au sujet du massacre ayant eu lieu sur la terrasse de Sidney :

– Je disais donc que Giacco est le meurtrier, le metteur en scène et le responsable de la tuerie d’hier soir. Il faut savoir qu’il n’y a eu avant toi que quatre membres dans le clan Cuoresanguinoso : Moi, le plus célèbre et glorieux de tous, Lino, Vilius et Giacco. Nous sommes le seul clan de lignée exclusivement noble. Les autres clans sont là pour nous obéir au doigt et à l’œil. Les chefs des autres clans ont, eux, des vampires de lignages divers qui exécutent tous leurs ordres et comme leurs ordres sont souvent donnés par le chef du Conseil des Six, c’est-à-dire moi, Alberto le Magnifique, tous les vampires sont, en quelque sorte, nos minions. C’est ce que tu as à savoir sur le peuple fantastique des vampires : donne un ordre et ils l’exécuteront parce qu’ils ont été éduqués de manière à agir de la sorte, c’est-à-dire à assouvir mes moindres désirs.

Sangue, assis en tailleur sur sa tombe, corrigea :

– C’est la version officielle des choses. En théorie, les vampires sont de petites frappes obéissant au moindre caprice de leur chef. C’est devenu une vérité depuis que cette ordure de Giacco a pris le pouvoir. Cependant, durant la guerre vampire, après que Lino se soit exilé, quelques groupes de lignages non-nobles et anciens chefs de clan fidèles au chef légitime du Conseil se sont réfugiés dans les montagnes de la rive ouest de la rivière Nessona. Je pense également que certains vampires dans les rangs de Giacco le désapprouvent, mais se taisent de crainte de se faire tuer. Quand père dirigeait le Conseil, les vampires étaient assez libres de leur choix, vu qu’Alberto a toujours eu comme devise « l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même », il ne leur donnait que très peu d’ordres. Il n’y a eu que pendant la Guerre Nessonienne et durant quelques conflits mineurs que les vampires ont eu à suivre des ordres autres que de ne pas attaquer les innocents. Lino était dans la même lignée, mais il souhaitait que notre peuple s’intègre comme les elfes ou les centaures. Il a été ambassadeur des vampires auprès de la communauté nocturne quand la guerre était finie et a pu tisser des liens avec des personnes influentes. C’était pour sa vision d’une ère de paix entre vampires et communauté nocturne que père l’a préféré à Giacco, qui lui pensait que les vampires devaient être craints.

Malissia dit :

– Frasca disait que les vampires étaient dénués de volonté propre à l’exception des lignées de chefs de clan. Elle disait aussi qu’Alberto était un abruti et que son départ était sûrement la meilleure chose qu’il soit arrivé dans la Vallée depuis des siècles.

L’intéressé vociféra :

– Frasca est une petite imbécile de sorcière mal lunée. Je me fiche de ce qu’elle peut penser de mon peuple et de moi-même. Mais qu’elle ne s’étonne pas si je la découpe en rondelles la prochaine fois que je la vois.

Malissia s’indigna :

– C’est de ma sœur qu’il s’agit !

Alberto grogna :

– C’est peut-être ta sœur mais elle n’a pas le droit de dire ce genre de chose à mon sujet. Parce que j’en ai, moi, des ragots au sujet de Frasca Macchiavetti, la sorcière prétendument blanche.

Sid se tourna vers Sangue :

– Giacco veut me tuer pour assouvir sa vengeance envers Lino, mais concrètement, mis à part que c’est une histoire de jalousie, j’ignore comment il en est venu à haïr aussi froidement ses frères.

« C’était pour sa vision d’une ère de paix entre vampires et communauté nocturne que père l’a préféré à Giacco, qui lui pensait que les vampires devaient être craints. »

 

Vilius Cuoresanguinoso ferma les yeux :

– C’est une histoire compliquée, qui date même d’avant ma naissance. Lino et Giacco ont quelques siècles de plus que moi. Giacco est plus âgé que Lino d’une petite centaine d’années. Je crois qu’il y a une histoire de lignage, entre autre. Mais, Giacco a toujours été jaloux de Lino, qui était, à l’origine, plus apprécié que lui par les chefs de clans, plus cultivé et sociable. En revanche, Lino, lui, aimait Giacco comme on peut aimer son frère. Il essayait toujours de le faire passer pour quelqu’un de sympathique, juste un peu impulsif. Pendant la Guerre Nessonienne, Lino désapprouvait l’alliance avec Nabero, Alberto l’a donc envoyé comme représentant des vampires auprès des fées, qui étaient du côté de Salvatore, mais avec qui notre père a des liens privilégiés. Giacco a, quant à lui, officié comme second d’Alberto. Le climat familial n’était pas au beau fixe. Pour ne pas avoir à prendre parti, Lino a préféré devenir assassin et chasseur de trésor pour notre père qui l’envoyait partout en Europe et ailleurs pour trouver des objets sans grand intérêt au premier abord…

Alberto soupira :

– Premièrement, Lino n’a jamais été forcé de m’approuver. C’était son frère qui lui mettait la pression. Secondement, je lui demandais de me trouver des pièces uniques, sans utilité, certes, parce qu’il fallait bien décorer Fort Cuoresanguinoso et si possible pas avec de la camelote. Puis les contrats d’assassin lui ont fait du bien, il n’était pas dans son assiette quand il est parti.

Malissia déclara :

– Ma sœur me disait toujours que Fort Cuoresanguinoso, c’était une légende ridicule lancée par le chef des vampires parce qu’il était jaloux du Palais royal de Treghia.

Alberto explosa et essaya d’étrangler le fantôme qui se laissa faire en riant. Il criait :

– Je vais t’en foutre moi de la légende ridicule ! Mon fort est deux fois plus grand et beau que ce tas de cailloux que ces grognasses de sorcières appellent « Palais ».

Sid laissa Alberto et une Malissia morte de rire se disputer et demanda à Sangue :

– Lino était autant affecté que ça par la guerre ?

Le fantôme baissa les yeux :

– Il s’était passé quelque chose quand il était en poste chez les fées. Quelque chose qui l’a marqué profondément, si bien qu’il n’a jamais voulu m’en parler. Ce que je sais, c’est que ça avait un lien avec les sorcières de Treghia, parce que, même s’il n’était pas aussi virulent que père, il les détestait presque autant que lui. Quoi qu’il en soit, jusqu’à la fin de la guerre, Lino n’apparaissait que rarement dans la Vallée, pour faire son rapport à Alberto. Giacco considéra ça comme de la couardise. Quand la guerre se termina, Giacco était considéré comme un héros par certains vampires. Il avait remporté de nombreuses batailles contre les alliés de Salvatore. Pour la première fois, il n’avait aucune raison d’envier son frère. Mais il continuait de le haïr, le considérant comme un couard et un beau parleur. La Guerre Nessonienne causa la ruine de la communauté nocturne. Car même si Salvatore avait échappé à Nabero en se donnant la mort, il perdit la plupart des batailles contre les vampires, les nécromanciens et les démons. Les peuples préféraient panser leurs plaies chez eux sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit. Le Protettore suivant, Nox, était un solitaire et n’inspirait pas la cohésion et l’unité. Les elfes avaient perdu beaucoup de ressources, les fées avaient disparu, il ne restait plus que quelques sorcières affranchies et quelques mages pour former un semblant de communauté nocturne. En revanche, les vampires et les sorcières de Treghia étaient en plein âge d’or. Si les sorcières préféraient rester dans leur coin et étaient capable de vivre en autarcie durant quelques année, les vampires ont très vite compris que, sans autres peuples pour interagir et pour commercer, leur ère de prospérité ne durerait pas. Malheureusement, il était inconcevable pour le Conseil des Six de commercer avec les sorcières, d’autant que Lino, qui jouait le rôle de diplomate, refusait de discuter avec Treghia. Mon frère proposa donc de jouer le rôle de mécène pour les elfes, en proie à une crise économique sans précédent, et pour la Croce Nera. Il assura, avec le consentement de Nox, le rôle d’ambassadeur des vampires auprès de la communauté nocturne. Il en devint même le chef officieux, Nox n’étant pas forcément intéressé par la gestion de la clientèle de la Croce Nera. Lino devint donc le médiateur, gestionnaire et juge de la communauté. Certains nourrirent d’abord des doutes à l’idée que les vampires s’impliquent dans la vie du Peuple de la Nuit, la rancœur de les avoir vu soutenir Nabero lors de la guerre était encore vivace. Mais Lino sut très vite faire l’unanimité. Giacco, lui, était opposé au plan de reconstruction économique de la communauté nocturne, clamant haut et fort qu’il fallait profiter de la prospérité de notre peuple pour soumettre les autres. Mais Alberto soutenait Lino, sans prêter attention à notre frère aîné…

Alberto précisa :

– Lino était devenu influent sans verser la moindre goutte de sang. Les peuples étaient nos débiteurs, nous pouvions donc commercer avec un avantage certain. Si nous avions suivi l’idée, audacieuse certes, mais complètement conne, de Giacco, nous aurions déclenché une seconde Guerre Nessonienne et nous nous serions mis les Anges Noirs à dos. De plus, sur le long terme, une domination aurait mené à des révoltes qui auraient sûrement mis fin à notre essor. En outre, nous dirigions la communauté nocturne par la présence de Lino, pas besoin de tuer tous nos débiteurs potentiels.

Sangue approuva :

– Quoi qu’il en soit, Giacco était soutenu par de nombreux vampires. Ils tentèrent de s’en prendre aux sorcières. Je pense que c’est une des rares fois où Lino et Giacco ont été sur la même longueur d’onde. Giacco n’allait pas attaquer les alliés de Lino de peur de s’opposer à l’avis de notre père et Lino, qui haïssait foncièrement les sorcières, ne désapprouvait pas les assauts sur Treghia. D’autant qu’après vingt ans de gestion vampire, les sorcières étaient arrivées au même constat que Lino : elles avaient besoin de commercer avec les autres peuples. Malheureusement pour elles, les vampires étaient déjà sur place et ne comptaient pas se faire piquer leur statut de sauveurs de la communauté nocturne par leurs ennemies de toujours. Elles ont essayé de négocier une sorte d’accord avec Lino. Elles ont même envoyé une des membres de la famille royale, la petite-fille de la reine Vallena pour être précis. Inutile de dire que Lino, à cause de cet événement mystérieux lié au fées et aux sorcières, je pense, l’a envoyée promener sans ménagement. Il y eut donc pendant cinq ans, une guerre entre Treghia et le Conseil des Six. Cela occupa Giacco et Alberto pendant que Lino s’occupait de la communauté nocturne, la tenant éloignée du conflit.

« Lino était devenu influent sans verser la moindre goutte de sang. »

 

Encore une fois, Giacco vit en l’attitude de son frère de la couardise. De plus, la popularité de Lino le faisait bouillir de jalousie. La guerre vampiro-sorcière prit fin avec le pacte de non-agression du Monte Fenicio. Lino fut considéré comme le vainqueur de cette guerre par le Peuple de la Nuit. Chez les vampires, on salua son habileté à ne pas mêler les autres peuples à cette guerre, relativement courte à l’échelle de la Vallée, permettant aux vampires de jouir d’une grande popularité aux yeux des autres peuples. Mais dans l’ombre, Giacco enrageait de voir son frère porté aux nues, alors que lui s’était battu sur les champs de bataille.

Je pense que la haine de mon frère aîné a atteint le point de non-retour quand Lino s’est lié d’amitié avec la fille du roi elfe Darinji, Pjefä. Une amitié qui est devenue romance avec les années. Giacco a toujours considéré que les vampires valaient mieux que les autres peuples du Val Nessona et encore plus que les deux autres « grands peuples » : les elfes et les sorcières. Voir un Cuoresanguinoso, un vampire issu de la lignée la plus noble possible, s’amouracher d’une elfe lui était insupportable. Il rongea son frein durant de longues années.

Entre temps, Nox mourut et je vins au monde. Alberto prit soin de cacher à Giacco que j’étais l’Ange Noir, il aurait été capable de me tuer dès la naissance, d’autant que je suis le fils de la dernière fée à s’être manifestée dans le Val Nessona à ce jour. Je suivais mon entraînement en cachette avec Zjök et mon père. Lino s’occupait de moi, me présentant à la Croce Nera comme son frère et non comme le futur Protettore, de peur que l’information ne tombe dans l’oreille de mon autre frère. Celui-ci, d’ailleurs, ne m’a jamais montré beaucoup d’attention pendant mon enfance et ma jeunesse, se considérant comme trop occupé, en tant qu’héritier, pour avoir à prendre en charge un enfant. Je grandis paisiblement, apprenant tout des techniques de combats vampires et de notre culture, m’intégrant dans la communauté nocturne. Une rumeur naissait, cependant : Alberto allait renier le droit d’aînesse de Giacco, qu’il trouvait trop impulsif et belliqueux, et faire de Lino son héritier. Tu imagines bien que mon frère aîné ne l’entendait pas de cette oreille. Et quand j’eus dix-huit ans, il y eut l’étincelle qui allait déclencher la chute des vampires et la Guerre des Cœurs Sanglants : Giacco, jaloux et enragé, assassina froidement Pjefä, reine des elfes et promise de Lino. Suite à cet acte, Alberto entérina une décision qu’il avait prise quelques années plus tôt : Lino allait lui succéder à la tête du Conseil des Six en lieu et place de Giacco. Après avoir laissé les rênes du Conseil à Lino, Alberto disparut.

Lino, qui avait perdu toute sympathie pour son frère suite au meurtre de Pjefä, bannit Giacco de Fort Cuoresanguinoso. Mais sa décision fut contestée, plusieurs chefs de clans voyant en Giacco un héros de guerre et le chef légitime du Conseil. Ils s’exilèrent dans les catacombes de Spadina avec leurs clans, en compagnie de mon frère aîné. Lino ne dirigeait plus qu’un Conseil des Six décimé avec pour seul soutien le clan Luzzianese et le clan Nottebella. Il nomma de nouveaux chefs, pour la plupart inexpérimentés et issus de lignées impures, à la tête des clans Lunascura et Maninere. Mauro Nosferi, le fils de Gina qui avait rejoint les traîtres, est resté avec nous et prit la tête de son clan. Giacco en fit de même avec les clans qui étaient restés fidèles à Lino, à la différence qu’il convainquit des héritiers aux dents longues : Wanda Nottebella, fille de la cheffe du clan, Fiora, et le frère cadet de Pietro Luzzianese, Rino. Quelques mois à peine après son arrivée au pouvoir, Lino décida de venger sa compagne en formant une armée composée principalement de vampires inexpérimentés, des guerriers des clans qui lui étaient fidèles et d’elfes fournis par le neveu de Pjefä devenu roi, Lerzj. Bien évidemment, je faisais également partie de l’expédition punitive. Ce fut un massacre… D’un côté comme de l’autre, sur le millier de vampires vivant dans la Vallée le jour de l’assaut, il n’en restait plus qu’une centaine. La rivière souterraine traversant les catacombes s’était teinte du sang des victimes. On raconte même qu’une partie du lac Saffro avait pris une couleur écarlate. Ce fut un des pires bains de sang que la Vallée ait connu. Je me souviens encore de tous les cœurs que j’ai arrachés, de toutes les vies que j’ai prises, ce jour-là. La bataille des catacombes marqua la fin de l’âge d’or vampire. Notre Conseil des Six s’était bien battu et avait prouvé que malgré leur lignée non-noble, ils méritaient au moins autant de respect que les traîtres qui avaient rejoint Giacco. Durant neuf ans, nous menâmes une guerre d’escarmouches et de guets-apens. Mais un jour, Lino reçut une invitation à un duel ayant pour enjeu le titre de chef du Conseil des Six. Il accepta et vainquit Giacco sans grandes difficultés. Il faut savoir que Giacco est un guerrier, terriblement meurtrier dans une bagarre ou sur un champ de bataille, mais plus déstabilisé lors d’un duel à la loyale et se basant sur la technique. Après avoir mis Giacco à sa merci, Lino fit la plus grosse erreur de sa vie : il l’épargna. Profitant que notre frère ait le dos tourné, Giacco le poignarda dans le dos, le blessant grièvement. J’intervins avant qu’il ne tue Lino, permettant aux loyalistes d’emporter mon frère en lieu sûr. Quand je retournai à Fort Cuoresanguinoso, je retrouvai un spectacle des plus surprenants : trois fées soignaient Lino. J’appris ainsi que les fées avaient gardé contact avec mon frère malgré leur apparente disparition. Malgré la magie féerique, la blessure était profonde et Lino ne pouvait plus se battre. Conscient de son état, il me désigna comme chef du Conseil intérimaire et décida de s’exiler me promettant qu’un jour, lui ou un de ses descendants reviendraient revendiquer leur place. La suite, je l’ai retranscrite dans mon journal : j’ai dirigé les loyalistes pendant plus de septante ans, j’ai tué tous les potentiels héritiers du Conseil renégat et j’ai passé un accord avec Wanda Nottebella pour qu’elle me serve d’agent double. Et un jour, Giacco m’a tué. Fin de l’histoire.

Alberto se frotta la barbe naissante qui lui rongeait le visage :

– Je comprends mieux pourquoi Giacco met autant de cœur à vouloir tuer Sid. Lino était toujours le chef légitime du Conseil des Six quand il a quitté la Vallée, par conséquent, et comme je suppose que personne dans ta famille ne va revendiquer le poste, tu es le chef légitime du Conseil des Six, Sidney.

Jester n’avait pas fait le cheminement logique menant à cette conclusion, mais il ne put que constater les faits. Il commença à tressaillir, à manquer de souffle. Il se sentait paniqué, comme pris d’une attaque soudaine. Alberto le prit dans ses bras de façon paternelle. Il avait suivi Jester pendant dix ans, il était donc au courant du mal qui avait rongé son descendant durant son séjour à Lausanne. L’accolade du patriarche n’avait rien de comparable avec l’embrassade trop enthousiaste qu’il avait infligé à Sangue. Sid put entendre son ancêtre lui dire :

– Calme-toi… Respire… Je serai là pour te soutenir.

Devant le regard interrogateur de Sangue, Alberto expliqua ce que Sid n’avait su expliquer à ses amis :

– Sidney a fait une très grosse dépression ces dernières années. Je pense que l’histoire de Lino, du moins ce qu’il en connaissait, et le fait que Giacco avait de fortes chances de lui tomber dessus n’y sont pas étrangers, sans oublier les quolibets dont il était parfois victime de par sa prétendue incapacité à être l’Ange Noir. Il lui arrive parfois de faire des crises d’angoisse. Je pense que la prise de conscience du poids qu’il porte sur les épaules lui a fait un choc.

Il passa sa main dans les cheveux noirs de Sidney et lui posa les mains sur les épaules :

– Tu n’es pas Lino, ni Vilius, ni Giacco. Tu ne me connais que depuis quelques jours, mais je te considère déjà comme un de mes fils. Je serai là pour te protéger comme je n’ai pas su protéger Vilius et Lino.

Sangue croisa les bras et déclara :

– Un chef du Conseil des Six sans Conseil des Six. Tu n’as pas à craindre le jugement des vampires, vu qu’aucun des chefs de clan ne te considère comme légitime. Du moins, pour le moment, car tu vas devoir trouver des vampires pour te soutenir si tu veux vaincre le Conseil de Giacco.

Alberto coupa son fils et dit calmement :

– Nous y réfléchirons quand Sid connaîtra suffisamment nos traditions pour être pris au sérieux par d’autres vampires. Je pense que la leçon est terminée pour ce soir, l’Ange Noir a de nombreuses choses à ruminer d’ici la prochaine fois.

« Conscient de son état, il me désigna comme chef du Conseil intérimaire et décida de s’exiler me promettant qu’un jour, lui ou un de ses descendants reviendraient revendiquer leur place. »

 

Malissia soupira :

– Et moi qui espérais apprendre des choses intéressantes…

Alberto grogna :

– Si tu m’avais dit que tu étais la sœur de la blondinette dès le début, je ne t’aurais pas laissé suivre la leçon, alors estime-toi heureuse d’avoir pu entendre le récit familial de la lignée la plus respectée et la plus crainte du Val Nessona.

La sœur de Frasca s’esclaffa :

– Ma mère qui était une sorcière solitaire, selon Frasca, était plus respectée et crainte que Giacco. Ce type avait une peur bleue de moi.

Le père de Sangue cracha :

– Je l’ai bien connue ta mère et je pourrais te raconter des choses que ta très chère sœur désapprouverait. Des histoires à t’en faire lever les cheveux sur ta petite tête de maboule. Et si Giacco avait peur de toi, ça me donne une raison supplémentaire de le renier. Le jour où un Cuoresanguinoso se fait dessus à cause d’une sorcière, même s’il s’agit de l’Ange Noir, il perd tout honneur… Giacco n’en avait déjà pas beaucoup, ceci dit.

Sangue donna une tape amicale sur l’épaule de Sid :

– Je serai là les prochaines fois où tu viendras. Je suis heureux de t’avoir rencontré, Jester. Cependant, pourrais-tu me rendre un service ?

Sid approuva, toujours tremblant. Vilius dit :

– Dis à Luca, celui que tu appelles l’Ancien, de contacter la Borgne.

Alberto accompagna Sid qui se demandait qui pouvait bien être cette Borgne,mais trop marqué par l’histoire de sa famille pour s’en inquiéter plus que ça, jusqu’à la grille d’argent :

– Je vais sûrement m’installer dans la Nécropole. Elle est bien plus spacieuse que la caverne que je squattais ces derniers jours. J’aurai ainsi l’occasion de tourmenter mes très chers amis décédés, et particulièrement ce crétin arrogant de Salvatore. Je descendrai de temps en temps à la Croce Nera. Ta prochaine leçon sera après-demain. En attendant, prends seulement la mesure de l’importance de ce que Vilius t’a raconté. Parles-en avec l’Ancien, il a dû vivre les événements de relativement près vu son lien avec mon fils.

Sid quitta la Nécropole et le Monte Friccio sous le soleil levant. En rentrant, il alla immédiatement se coucher avec un somnifère. Il n’avait pas besoin de méditer sur le récit de Sangue. Celui-ci était clair : Giacco avait fait de Sid son ennemi mortel et il ne cesserait de le traquer que lorsque celui-ci serait mort, à moins que Jester ne tue l’aîné des frères Cuoresanguinoso avant.

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