Chapitre 11
Sid fut réveillé par le soleil se levant sur la Vallée. Il s’était endormi sur sa chaise longue. Le jeune homme alla se doucher. En se lavant, une interrogation lui vint : il avait passé la nuit sur sa terrasse, seul, sans défense. Pourquoi les vampires de Giacco ne l’avaient-ils pas attaqué ? Peut-être que leur guet-apens raté à Fort Cuoresanguinoso leur avait coupé l’envie de se frotter à lui directement. À moins que la présence d’Alberto à ses côtés ne les ait intimidés. En se séchant, Jester réfléchit aux raisons pour lesquelles ils avaient pu passer une nuit des plus tranquilles malgré les menaces des vampires. Quand il voulut sortir prendre son déjeuner sur sa terrasse, il eut sa réponse : Shadow l’attendait, le visage grave. Elle lui jeta un casque de moto :
– On va à Pordio. Il s’est passé quelque chose cette nuit, mais comme la plupart des mortels ne veut plus de notre aide, ils ne nous ont contactés que ce matin. Valeria, Zjök et Alberto sont déjà sur place.
Felicia mettait le doigt sur un des principaux problèmes de la Vallée. Depuis un peu moins d’un demi-siècle, la majorité des mortels semblait nourrir une rancœur à l’encontre du Peuple de la Nuit. Certains considéraient que les elfes, sorcières et autres vampires dissuadaient les autorités régionales d’investir dans la Vallée pour de meilleures routes ou moyens de communication. D’autres voyaient la communauté nocturne comme un danger constant pour les mortels. Le reste de la population tentait de vivre avec les êtres surnaturels du Val Nessona et les plus zélés d’entre eux, encourageaient même leurs enfants à devenir mages ou membres de la Garde Nessonienne. La politique nessonienne ne se résumait pas à la gauche et la droite, c’était plutôt les pro-nocturnes contre les opposants au dialogue avec le Peuple de la Nuit. Sidney monta à l’arrière de la moto de Shadow et fila avec elle en direction de l’entrée de la Vallée. Quand ils arrivèrent à Pordio, ils virent Alberto venir à leur rencontre :
– Giacco se fait plus téméraire, il ne doit pas avoir apprécié le fiasco de Fort Cuoresanguinoso. Je crois qu’il a un message pour nous.
Ils suivirent le vampire jusqu’à la place du village. Sur le trajet, de nombreux habitants de Pordio leur lancèrent :
– Où étiez-vous ?
– Vous ne pouvez pas faire votre travail et tenir en laisse vos amis les monstres ?
– Bons à rien !
« On va à Pordio. Il s’est passé quelque chose cette nuit, mais comme la plupart des mortels ne veut plus de notre aide, ils ne nous ont contactés que ce matin. »
Ce fut alors que Valeria sortit de la foule et fit face aux habitants mécontents :
– Si l’un d’entre vous avait seulement eu le courage de lancer l’alerte, Shadow et Jester auraient pu intervenir! Seulement, voilà vous n’êtes bons qu’à hurler quand le soleil brille, dès que la constellation du Bouclier disparaît derrière les montagnes, vous vous terrez chez vous et vous vous pissez dessus comme des gosses !
Elle faisait mention d’une des principales constellations de l’astrologie nessonienne. Elle disparaissait derrière le Monte Friccio en début de soirée. On racontait que quand la dernière étoile du Bouclier n’était plus visible, la Vallée n’était plus sûre pour les simples mortels. Un des hommes qui avait conspué Sid et Felicia lança à Valeria :
– On n’a pas à écouter l’avis d’une magicienne aussi pourrie que les vampires et les sorcières.
Sid avait déjà vu cet homme, c’était un des exorcistes de Carletta, celui qui avait menacé Sid le soir de son retour dans la Vallée. Une femme aussi grande que Sid, aux cheveux blonds et courts, rejoignit Valeria. C’était Adriana Conti, la mère de Valeria, syndique de Pordio. Elle prit l’exorciste à parti :
– Fais attention au ton que tu utilises contre ma fille, Zaretto ! Elle a tout à fait raison ! Et si je me souviens bien, tu fais partie de l’Ordre des Exorcistes. Or, je ne t’ai pas vu bouger le petit doigt, hier soir. Tu vas laisser le Protettore tranquille et dégager le passage avec ta bande de crétins aigris !
Zaretto cracha par terre et tourna le dos à Conti et à Valeria. Un groupe d’une dizaine d’habitants le suivit. La syndic soupira :
– Valeria, je t’ai déjà dit qu’il valait mieux ne pas prêter attention à ses enquiquineurs. Tu leur donnes raison.
La mage répondit à sa mère :
– Mais je ne peux pas les laisser faire passer Sid pour un moins que rien !
Conti se tourna vers Sid :
– Veuillez excuser l’attitude de Zaretto, il fait partie des pires anti-nocturnes de la Vallée et, malheureusement, il est citoyen de Pordio. Venez, le spectacle est sur la place du village. Enfin, si on peut appeler ça un spectacle…
La place était couverte de corps ensanglantés. Valeria grogna :
– Zaretto n’aurait de toute façon pas bougé de chez lui, les huit victimes sont des mages. Les trois autres corps sont des vampires qu’ils ont réussi à tuer en se défendant.
Alberto ricana :
– Si Giacco s’attaque à la communauté nocturne, je pense qu’il s’impatiente. Il n’aurait jamais pris le risque de provoquer le Peuple de la Nuit de peur que Frasca, Zjök ou les elfes ne s’en mêlent, mais comme la Sorcière Blanche est désormais dans le coup et que moi aussi, il doit se dire qu’il n’a plus rien à perdre.
« Venez, le spectacle est sur la place du village. Enfin, si on peut appeler ça un spectacle… »
Sid n’eut pas la même sensation de dégoût que lorsqu’il avait trouvé les corps mutilés sur sa terrasse. Pourtant, les huit mages qui gisaient sur le sol étaient des personnes qu’il avait l’habitude de voir à la Croce Nera. Malgré son attitude solide et peu affectée, Valeria devait être anéantie. Quand Sid avait découvert une scène de massacre chez lui, il avait été effrayé et brisé. Depuis, il avait appris à quel point Giacco était un être sans cœur et vil ; il avait aussi repris un peu confiance en lui. Devant ce spectacle macabre, il n’éprouvait nulle peur. Plutôt du dégoût et de la colère, non pas contre lui-même, mais contre Giacco et ses vampires. Sa rage fut exacerbée par le message qui était inscrit à coups de couteau, sur le ventre d’une mage d’à peine dix-huit ans tenant son propre cœur transpercé dans la main :
Il n’y a qu’un seul chef du Conseil des Six !
Les autres mages avaient aussi été mutilés et tenaient leurs cœurs dans la main, mais le message se résumait à :
Longue vie à Giacco !
Mort à Bloodheart !
Sid posa sa main sur l’épaule de Valeria :
– Je suis désolé pour tes amis, je suis en grande partie responsable de ce qui s’est passé ici.
La mage se retourna et retira gentiment la main de Jester de son épaule :
– Ce serait trop simple de t’en vouloir. Il n’y a qu’un seul coupable : celui qui a ordonné ce massacre. Nous pourrions passer des heures à se diviser, se considérant tous comme responsables, mais le véritable ennemi, c’est Giacco. Nous pouvons perdre notre temps à chercher un coupable parmi nous ou on peut éliminer ce monstre. Plus de Giacco, plus de massacres.
Alberto s’approcha de la mage et de l’Ange Noir :
– Tu raisonnes bien, jeune fille. Tu ferais une excellente cheffe de clan si tu étais une vampire. Sidney et Felicia vont partir s’entraîner demain, à l’autre bout de la Vallée. Quand il reviendra, Jester vengera tes compagnons.
Valeria se tourna vers Alberto et le fusilla du regard :
– J’ai entendu parler de toi, Cuoresanguinoso. Si Sidney te considère comme digne de confiance, tant mieux pour toi. Mais je t’avertis, si tu transformes mon ami en monstre comme Giacco, je te lance une malédiction que tu n’es pas prêt d’oublier. Parce que pour l’instant, les seuls vampires que je connaisse, à l’exception de Sid qui n’est qu’en partie vampire, sont des abominations sans cœur. Ne me compare donc plus jamais à l’un des tiens !
Alberto sourit :
– J’espère donc que le nouveau Conseil des Six pourra compter des personnes de ton genre dans ses rangs, afin de changer l’opinion de la plupart des habitants de la Vallée sur les vampires. Si je venais à transformer Sid en assassin sans remords, je veux bien accepter de recevoir les plus terribles malédictions que tu as en réserve.
« Il n’y a qu’un seul coupable : celui qui a ordonné ce massacre. Nous pourrions passer des heures à se diviser, se considérant tous comme responsables, mais le véritable ennemi, c’est Giacco. »
Conti discutait avec Shadow, leur discussion semblait animée :
– Donc Jester et vous partez pendant quelques jours ? Et Frasca part avec vous ? Qui va protéger mes concitoyens ?
– Zjök et l’Ancien sont d’excellents combattants. Je vais m’arranger pour que l’un veille sur le sud de la Vallée et le second sur le nord. Et après notre entraînement, nous serons en mesure de régler notre problème de vampires meurtriers.
Conti leva les yeux au ciel :
– C’est moi qui vais devoir annoncer ça aux autres syndics de la Vallée. Je sens que je ne vais pas passer un bon moment.
Sidney s’approcha des deux femmes :
– D’autant qu’après la chute de Giacco, d’autres vampires vont s’installer dans le Val Nessona. Ils seront sûrement des concitoyens moins dangereux. Mais il faudra sensibiliser la population afin qu’ils ne soient pas victimes de la réputation que les vampires de Giacco ont forgé au cours de ces derniers siècles. Signora Conti, vous êtes la syndique la plus ouverte à l’encontre du Peuple de la Nuit, vous êtes la mieux placée pour exposer la situation aux autres élus de la Vallée.
– Je n’aurai aucun souci avec Santino Lopatti, le syndic de Capriggio, ou avec Nicoletta Sanavo, celle de Bialvo. Mais en revanche, j’aurai beaucoup de peine à faire entendre quoi que ce soit à ce sujet à Gicchi, le syndic de Saffro, l’oncle de Felicia.
Alessandro Gicchi, dit « Di Saffro », était le père de Carletta. Il avait décrété que son village serait toujours le dernier rempart mortel contre le danger que représentait le Peuple de la Nuit. Il avait épousé la sœur du père de Shadow, qui était, a contrario, un grand défenseur des droits des habitants de la nuit. La descendante de Nox dit :
– Alessandro est le pire des fanatiques de la Vallée. Cependant, il a un point faible : ses enfants. Il ferait n’importe quoi pour que Carletta et Leo soient contents. Je doute que Carletta soit ouverte à la discussion pour le moment. Leo est un jeune exorciste peu sûr de lui mais qui a plus de valeurs que sa sœur. Si un vampire comme Alberto venait à lui sauver la vie, il saurait s’en souvenir. Sans oublier qu’il a un petit faible pour les sorcières, même s’il n’osera jamais l’avouer à sa famille. Il m’a souvent demandé de lui parler de Frasca ou de Siria, une autre des cinq sorcières restantes de la Vallée.
– Bien, je vais tenter de tenir tête à Gicchi d’ici à ce que vous ayez réglé le problème, dit Conti en soupirant.
Zjök sortit du mutisme dans lequel il s’était réfugié depuis l’arrivée de Sid et Shadow. Il proposa :
– Je peux rester à Pordio pendant le temps que Shadow et Jester seront absents. Zjök pourra également vous accompagner pour exposer la situation aux autres chefs de villages.
Valeria dit, en riant nerveusement :
– On ne parle plus de chefs de villages depuis longtemps, Zjök. Mais je pense que ma mère ferait mieux d’accepter ton offre. Zjök est un peu étrange, mais c’est un des membres les plus sages de la communauté nocturne, ajouta-t-elle à l’adresse de la syndic. Nous pourrions le loger dans notre chambre d’ami, il veillerait sur Pordio.
Conti hocha la tête :
– C’est vrai qu’avoir un combattant et un sage nocturne dans le village durant l’absence des Protettori serait de loin la meilleure solution. Cependant, les autre communes, notamment celles qui sont majoritairement anti-nocturnes, pourraient prétendre que je subis des pressions ou bien se plaindre que la communauté nocturne ne fait rien pour elles.
– Zjök peut veiller sur tout le sud de la Vallée depuis ici. Et je n’ai pas besoin de la moindre chambre, car je ne dors pas. Cependant, Capriggio est à proximité de la Croce Nera, ainsi que de Fjörstad, la cité des elfes, Zjök pense qu’il y a assez de monde pour protéger ce village. Bialvo est à l’orée de la forêt où vit une communauté de centaures, dont je connais bien le chef. Pour ce qui est du nord de la Vallée, Saffro est l’un des principaux lieux de rassemblement des exorcistes, et Luca Di Giorgio, celui que l’on nomme l’Ancien, gardera un œil sur le village. Volpino est un hameau peu intéressant pour les vampires, sur lequel Zjök demandera aux derniers membres de la Garde Nessonienne de veiller, et Spadina se situe à proximité de l’endroit où se trouveront Alberto, Frasca, Sid et Felicia.
Peu convaincue, Conti approuva. Zjök ajouta :
– Valeria est une mage talentueuse, elle saura seconder Zjök si besoin est.
Après avoir débarrassé la place des cadavres, Sid et Shadow repartirent en direction de Capriggio. Ils avaient fait enterrer les corps à l’extérieur du cimetière catholique où reposaient les mortels de Pordio. Depuis quelques décennies, certains anti-nocturnes prenaient un malin plaisir à profaner les tombes des habitants de la nuit. Arrivée devant l’escalier menant chez Sid, Shadow dit :
– Une fois que l’on aura réglé le problème des vampires, il faudra que l’on s’attaque au cas des gens comme mon oncle ou ma cousine. Sans leur discours incitant à la peur, on nous aurait contactés hier soir. Je ne me ferai plus insulter de la sorte par un exorciste, je le promets.
Sid ricana :
– Tu ne me fais plus la tête ?
– Comme l’a dit Valeria, nous perdons un temps précieux à nous chamailler. Et pour ce qui est des insultes de Pordio, toi aussi tu as été leur cible, tu peux partager ma colère.
– Je suis trop furieux contre Giacco pour me sentir blessé par des crétins comme Zaretto, dit froidement Sidney.
Shadow remit son casque et ajouta :
– Pour ce qui est de nos différends, je pense que l’on aura largement le temps d’en parler durant notre entraînement. À demain !
« Je ne me ferai plus insulter de la sorte par un exorciste, je le promets. »
Elle fila en direction de Saffro.
Jester passa son après-midi à tester des grenades qu’il avait trouvées à Fort Cuoresanguinoso. Il y avait les grenades cryogéniques, dont il avait pu voir l’efficacité quelques jours plus tôt, mais également des leurres, des projectiles produisant un puissant flash aveuglant, similaires à une invention que Sid avait créée à Lausanne, d’autres de petites explosions assez puissantes pour arracher des membres. Sid trouva aussi une grenade incendiaire contenant une substance semblable à du napalm. Lino était un inventeur de génie, mais certaines de ses découvertes faisaient froid dans le dos. Sid en fut persuadé quand il ouvrit le livre contenant les plans de nouvelles armes. Lino avait conçu une sorte de réservoir contenant son mélange incendiaire, mais il ne parvenait apparemment pas à se décider s’il fallait une lance pour le projeter ou si il ne fallait pas plutôt l’injecter dans le corps de ses adversaires, les faisant brûler de l’intérieur. Le second fils d’Alberto avait également dessiné les plans d’une grenade contenant un virus qui provoquait la décomposition des organes internes du corps. Il semblait avoir renoncé après avoir peiné à trouver comment conserver le virus dans un projectile et s’en protéger après la détonation. Il avait planché sur un vaccin pour ses loyalistes mais ne parvenait pas à le finaliser. De telles arme, remises au goût du jour intéresseraient de nombreuses armées, mais Sidney considérait que si l’humanité possédait ce genre d’objets, la guerre, déjà horrible à son goût, à laquelle se livraient les mortels hors de la Vallée, se transformerait en apocalypse. Il arracha certaines pages du livre, celles dont les plans étaient les plus inhumains, et les classa dans un dossier noir. L’Ange Noir colla une étiquette dessus avec une inscription rouge :
Armes létales et chimiques.
Lino Cuoresanguinoso
À NE PAS LAISSER TOMBER ENTRE DE MAUVAISES MAINS !
Classé par Jester
Il glissa le dossier entre deux livres de magie noire sur l’étagère la plus haute de sa bibliothèque, là où se trouvaient les ouvrages les plus sombres et dangereux de la Bibliothèque des Protettori. Sid reprit sa lecture de façon plus attentive, un café à la main, conscient qu’il n’allait pas beaucoup dormir la nuit-même. Il tomba sur une liste d’ingrédients, dont certains étaient tracés et d’autres mis entre parenthèses. Le titre indiquait « Études sur le Venin ». Sid lut avec intérêt les dix pages que Lino avait écrites au sujet du Venin, la substance créée par Nabero pour donner naissance aux vampires. L’Ange Noir comprit à travers les pattes de mouche de son ancêtre que celui-ci tentait de reproduire le Venin. Certes la transformation, selon les prévisions de Lino, était douloureuse, mais l’ancêtre de Jester cherchait un moyen d’atténuer les souffrances des « injectés ». De plus, le scientifique vampire ne pensait pas contaminer les innocents au hasard, mais sauver la vie de personnes mourantes en leur offrant l’opportunité d’acquérir la quasi-immortalité du Peuple de la Nuit. Sangue avait même cherché des volontaires en bonne santé et réussi à persuader quelques mages et mortels. Mais pourquoi l’Ange Noir vampire n’en avait-il rien dit à son père quand il avait parlé de la Guerre des Cœurs Sanglants ? Le Venin avait, certes, été utilisé par Nabero pendant la Guerre Angélique et sur Alberto, mais utilisé avec de bonnes intentions, afin de reconstruire un peuple sur le déclin, le Venin pourrait être la meilleure des choses. Sid entendit des pas dans ses escaliers. Alberto devait être arrivé pour le mener à la Nécropole. Jester se retourna et vit son ancêtre. Il sourit au vampire qui le lui rendit.
– J’ai vu que tu as essayé les grenades de Lino, dit Alberto. La moitié de ton jardin est gelée, l’autre est carbonisée.
Sid montra le livre de recherche de Lino :
– J’étudie un peu.
« Utilisé avec de bonnes intentions, afin de reconstruire un peuple sur le déclin, le Venin pourrait être la meilleure des choses. »
Alberto se pencha sur son épaule et lut la page sur laquelle Jester s’était arrêté. Le visage de l’ancien chef du Conseil des Six se décomposa. Il pesta :
– Quel cons ! Fils indignes de l’affection que je leur porte !
Il sortit du bureau de Sid et descendit dans le séjour avant de sortir sur la terrasse, suivi par Jester.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Alberto était en rage, faisant les cent pas comme un animal en cage, maudissant Sangue et Lino. Il était effrayant. Ses yeux noirs étaient devenus d’un rouge écarlate à glacer le sang. Le vampire prit Sid à parti :
– Qu’est-ce que tu penses de ta lecture ?
Le Protettore regarda Alberto dans les yeux et répondit :
– Je suis passionné de chimie, je pourrai sans problème compléter la formule du Venin. Il me suffit d’une petite semaine pour déchiffrer les codes de Lino, compléter les listes et expérimenter le composé.
Le vampire explosa de rage, il attrapa Jester par le col :
– Mauvaise réponse ! Le Venin est une malédiction ! Il nous a transformés en monstres sanguinaires ! Tu voudrais qu’il y ait plus de Giacco dans la Vallée ? Pauvre fou !
Sid parvint à se défaire de la prise de son ancêtre. Il répliqua :
– Donc pour toi aussi, les vampires sont des monstres ? Ce peuple que tu tiens tant à défendre ? Le peuple de tes fils, Alberto ! Pour tout le monde, les vampires sont des monstres et si même toi, le vampire le plus célèbre de l’histoire, le prétends, c’est que c’est peut-être le cas ! En lisant les plans de Lino, j’ai découvert des armes si terribles que j’ai envisagé d’en brûler les croquis et pourtant tout le monde me dit qu’il s’agit du vampire le plus fréquentable à avoir foulé la Vallée de ses pieds ! Alors Alberto ? Les vampires sont-ils des monstres ?
Cette question désorienta Alberto. Il semblait toujours en colère, mais ses yeux avaient repris leur teinte noire et Sid crut voir des larmes que le vampire refoulait. Alberto s’assit sur le rebord de la terrasse en silence. Jester demanda :
– Si je suis un vampire, je suis un monstre moi aussi ?
Le vampire répondit en soupirant :
– Non, Sidney, tu n’es pas un monstre, loin de là. Excuse le vieux vampire que je suis. Le Venin éveille en moi de terribles souvenirs. J’aime Lino et Sangue et j’espérais toujours le meilleur pour les vampires, mais comprends bien que ce mutagène est dangereux. Imagine-toi seulement qu’il tombe entre les mains d’un psychopathe comme Giacco. Notre peuple est une abomination pour beaucoup, c’est ce qui me désole le plus en dehors de notre histoire familiale.
Sidney s’assit à côté d’Alberto :
– À nous de changer ça. Malgré les armes horribles que Lino a inventées, je suis persuadé qu’il était quelqu’un de bien.
– Il l’était. Mais Vilius et lui savaient à quel point le Venin me répugnait, c’est sûrement pour cela qu’ils ont attendu mon départ pour l’étudier. Vilius a eu raison de ne rien me dire, il devait deviner que je lui aurais fait passer un sale quart d’heure.
– Pourquoi le Venin te terrifie-t-il autant ?
« Alors Alberto ? Les vampires sont-ils des monstres ? »
Alberto tourna les yeux vers Sid :
– Après mon infection au Venin, les gens ne me regardaient plus de la même manière. Je leur inspirais dégoût et horreur. Mais ce n’est pas tout, les premiers vampires n’ont pas tous réagi de la même manière au Venin : certains ont pété les plombs, d’autres sont devenus assoiffés de sang humain, comme drogués. Donc oui, le Venin crée des vampires, mais souvent, il crée des abominations.
Sid soupira :
– J’aurais pu choisir des chefs de clans fiables parmi la communauté nocturne et ne pas me contenter d’inconnus issus des rangs des loyalistes pour constituer mon Conseil des Six. On aurait pu aussi avoir assez d’hommes et de femmes pour faire face à Giacco. Mais si le risque est trop grand, mieux vaut jeter ces recherches. En lisant les études de Lino, j’avais l’impression que je pouvais perfectionner le composé de façon à ce que les effets secondaires soient moindres, mais tu as raison, le risque est trop grand.
Sid alla dans son séjour et alluma un feu dans sa cheminée. Il prit les études de Lino et les descendit vers l’âtre. Au moment où il allait brûler les feuilles jaunies par le temps, Alberto lui retint la main :
– Tu es le chef du Conseil, c’est à toi de décider et ne te laisse pas influencer par qui que ce soit, pas même moi. Tu as l’air, comme Lino, de vouloir user du Venin à bon escient, ce serait bête de regretter ces recherches si tu revenais sur ta décision. Mais si tu veux les garder, tu te portes garant de leur protection et de leur bon usage, c’est une grande responsabilité. Tu détiens entre tes mains quelque chose qui pourrait former un Conseil des Six digne de notre âge d’or, mais également une arme que Giacco ne se gênerait pas d’utiliser contre nous s’il en avait l’occasion. Maintenant agis comme il te semble juste de le faire.
Sid posa le feuillet sur la table du séjour et se tourna vers Alberto :
– Ces pages ne devront jamais sortir de Fort Cuoresanguinoso. Je vais travailler sur le Venin, si je ne parviens pas à créer un composé plus sûr que le Venin de Nabero, j’abandonnerai ces études et nous brûlerons tout ce qui sera ou a été écrit à ce sujet.
Alberto ferma les yeux et approuva :
– Sage décision. Je t’aiderai dans tes recherches, nous installerons un laboratoire dans le Fort. Je ne cautionnerai l’utilisation du Venin qu’à condition que la formule soit moins dangereuse que l’originale. Mais c’est toi le chef du Conseil.
Sid plia les pages et le glissa dans son sac qu’il allait emmener à la Nécropole. Avant qu’il ne pénètre dans Fort Cuoresanguinoso, les recherches de Lino ne le quitteraient pas.