Chapitre 24

Sid laissa quelques jours à Valeria pour s’adapter à son nouvel environnement et à son rôle avant de convoquer un conseil de guerre entre lui et ses généraux, Zjök, Frasca, Alberto, l’Ancien et Shadow. Il avait également invité Maria Maninere, Alfonso et les quelques vétérans ayant décidé de le suivre. L’assemblée se tenait dans la salle de réunion presque trop petite pour la vingtaine de personnes conviées. Sid venait d’exposer son plan à ceux qui ne le connaissaient pas, présentant également le VamPad aux membres de l’assemblée.

Frasca fut la première à intervenir :

– Bien évidemment, je me porte volontaire pour ouvrir les festivités de la chute de Giacco. Ainsi, je pourrai peut-être montrer au Conseil des Six et à leur peuple que je suis digne de confiance et une véritable alliée. Cependant, je suppose que je devrais aussi porter un VamPad.

Sid sourit et expliqua :

– Ceci, dit-il en levant l’objet qu’il avait devant lui, est un prototype amélioré et personnalisé, il indiquera ton emplacement dans les catacombes au moment où le Conseil prendra les chefs de Giacco à revers, comme les précédentes versions, mais il permet des communications plus nettes et aussi privées. Ce qui peut être pratique si nous nous retrouvons avec des taupes parmi nous, même si c’est quelque chose que je ne conçois pas. Les nouveaux VamPads sont aussi munis de caméras permettant de transmettre des indications visuelles rapidement. Certains modèles seront capables de déclencher des pièges que nous avons éparpillés dans les catacombes. Alberto restera ici au Fort, pour avoir une vue d’ensemble de la situation et coordonner les différents groupes.

Alfonso s’exclama :

– Mais le Magnifique est le meilleur combattant de l’histoire de la Vallée, pourquoi le laisser derrière alors qu’il serait d’un grand secours au troisième groupe ?

Alberto soupira :

– À un moment, mon bon et loyal Alfonso, il faut savoir rester en retrait pour permettre à une nouvelle génération bénéficier de la lumière des projecteurs. Remarque, mon ami mutilé et balafré, que mon cher Sid me laisse à un poste d’importance alors que ma fille m’avait tout bonnement mis à la porte du Fort. Le point fort de ce plan est que j’en suis le coordinateur ; si les choses tournent mal, je serai le mieux placé pour trouver une solution.

Sid manquait souvent de rire quand Alberto parlait avec des vétérans, entre leur tendance à le surnommer le Magnifique, le Grand ou l’Immortel, et l’habitude du concerné à les traiter comme des subordonnés loyaux mais serviles et à faire de grandes phrases, bien éloignées de ses jurons habituels.

– Tout d’abord, je veux savoir qui est prêt à nous suivre en menant le troisième groupe, celui qui surgira de la porte reliant le Fort aux catacombes. Ce troisième groupe sera divisé en quatre, ceux qui resteront avec Alberto pour éviter que des vampires des catacombes ne parviennent au le Fort, ceux qui iront aider Frasca, ceux qui rejoindront le Conseil des Six et les derniers qui auront pour mission de faire le ménage dans les couloirs du Labyrinthe.

– Je suis volontaire pour garder le fort, s’écria Alfonso, Alberto a raison, comme d’habitude. C’est aux jeunes de gagner cette guerre que nous n’avons su terminer. D’ici là, je formerai les gamins afin qu’ils puissent se défendre et abattre ces traîtres.

Sid reprit :

– Mon idée, c’est que Shadow mène le groupe rejoignant Frasca, car elle a plus de puissance de feu que les autres, au sens propre comme au figuré. Mêlée à la Magie des Éléments, elle formerait une bonne combinaison avec Frasca. L’Ancien mènerait la troupe faisant le ménage et le lien entre les différents pièges, certains non-létaux, pouvant ainsi proposer la reddition à nos ennemis. Zjök nous rejoindra sur l’arrière du front, se concentrant sur les chefs de clans. Les différents vétérans seront les lieutenants de ces chefs de groupes. Et je suis d’accord avec Alberto et Alfonso pour la formation d’un quatrième groupe protégeant le Fort.

« Mais le Magnifique est le meilleur combattant de l’histoire de la Vallée, pourquoi le laisser derrière alors qu’il serait d’un grand secours au troisième groupe ? »

 

Zjök dit de sa voix lunaire et rêveuse :

– Zjök ne voit aucune objection, mais je propose que nous obtenions l’aide des elfes, qui pourraient couper la fuite éventuelle des vampires de Giacco en plaçant leurs canons aux différentes entrées des catacombes, voire en les plaçant à l’angle de certains couloirs.

Alberto haussa un sourcil :

– Les canons elfes sont puissants, les utiliser dans le Labyrinthe pourrait mettre en péril la stabilité de toute la Vallée.

Sid se tourna vers son ancêtre et l’elfe :

– Ils sont si puissants que ça ?

– Oh que oui, s’exclama Alberto, on surnomme les elfes les dresseurs de dragons, non pas parce qu’ils domptent les gros lézards, mais parce qu’ils ont inventé les premières armes à feu sous le Royaume de Nessona, quand Oscuro s’était proclamé roi de toute la Vallée. Depuis ils ont développé cette technologie jusqu’à en faire une forme d’art. Les vampires sont des assassins, les sorcières des guerrières et les elfes des canonniers de génie. Tu aurais dû les voir quand ils sont intervenus lors de la guerre entre vampires et sorcières. La bataille de la Stregarossa semblait perdue mais Lino avait demandé aux elfes de nous soutenir avec un de leurs postes avancés – ils en avaient un vers Treghia au cas où les sorcières auraient envie de se brouiller avec les elfes. Alors que les sorcières nous bombardaient avec des boules de feu, jets d’eau bouillante et autres cailloux, un déferlement de flammes s’est abattu sur les lanceuses de sort. Quand la Capitaine de Treghia a ordonné la retraite, les canons leur ont coupé les jambes. Sur deux cents sorcières, seules cinquante sont parvenue à rejoindre à Treghia, signant ainsi la fin de la guerre sur une victoire magnifique.

Frasca était devenue rouge et son visage trahissait sa colère. Sid ne l’avait jamais vue aussi furieuse de sa vie, elle se retenait de réagir. Il put lire sur ses lèvres :

– Quelle salope !

Parlait-elle de Lino ?

Shadow intervint :

– Merci pour la petite leçon d’histoire, mais les elfes sont en pleins troubles politiques qui les ont empêché de m’aider durant mon intérim. Certains de leurs généraux n’attendent qu’un faux pas du roi Logh et de l’Assemblée des Grands Elfes pour renverser la monarchie. Cependant, il est vrai, notre attaque sera vaine si nos ennemis peuvent fuir.

– L’assaut se changera en embuscade et les catacombes seront un piège à rat; malheureusement il pourrait l’être aussi pour nous, dit l’Ancien. Nous ne sommes pas assez nombreux pour que ce piège ne se transforme pas en massacre comme l’assaut mené par Lino, il y a quelques siècles. Giacco a presque deux fois plus de soldats que nous. Car il ne faut pas oublier que nous ne lancerons pas tous les loyalistes dans la bataille, certains ne sont toujours pas capables de porter une arme, d’autres ne veulent juste pas se battre. Cependant, l’appui de l’artillerie elfe me semble indispensable pour optimiser nos chances de victoire.

Vittoria leva la main :

– Je propose que le Conseil des Six aille à la rencontre de l’Assemblée des Elfes et lui offre notre protection en échange de leur aide.

« On surnomme les elfes « les dresseurs de dragons », non pas parce qu’ils domptent les gros lézards, mais parce qu’ils ont inventé les premières armes à feu sous le Royaume de Nessona, quand Oscuro s’était proclamé roi de toute la Vallée. »

 

– Si seulement c’était si simple, dit Shadow. Les elfes ont caché leur cité dans les entrailles des Monti Gemelli, et son entrée est secrète.

– Pour toi, oui,mais pour Zjök et moi, c’est aussi simple de la trouver que le Palais de Treghia, dit Alberto, à part si le vieux maboule est toujours banni.

– Toujours. Aucun roi elfe n’a eu l’idée de révoquer  l’exil ordonné par mon frère. Ils ont peur qu’une malédiction s’abatte sur eux si je revenais à Fjörstad.

Alberto se leva et s’exclama :

– Je me propose pour accompagner le Conseil à Fjörstad, pour leur rappeler qu’ils nous doivent toujours quelques millions de saphirs et obtenir leurs canons.

– Selon les comptes, après le traité du Monte Fenicio entre les vampires et les sorcières, leurs dettes ont été annulées, c’est Lino qui a signé le papier, fit Vittoria, devenue l’archiviste, la comptable et la juriste du Conseil.

Frasca paraissait sur le point d’exploser, la guerre entre vampires et sorcières devait être un sujet sensible. Alberto sembla perdre de son enthousiasme assez soudainement :

– Bon, bah on n’a qu’à fabriquer nos propres canons, je crois que ma fille avait imaginé un ou deux plans. Les elfes n’accepteront jamais notre offre. Qui prendrait au sérieux un peuple qui propose une protection alors qu’il n’est pas capable de se défendre lui-même au point de passer deux cents ans dans une planque trop petite ? Les elfes ne sont pas idiots, ils ne voudront pas prendre le risque d’une déconvenue militaire et donc d’un argument pour une révolution.

– Mon plan de base ne comprenait pas les elfes, s’agaça Sid, je ne vois pas pourquoi ils sont si importants d’un coup.

– Parce que cet assaut, selon tes mots, doit être un assaut final, pas un simple coup dans la fourmilière. Nous ne voulons pas que Giacco s’échappe avec des hommes, se cache à nouveau et recommence ses horreurs après avoir repris des forces, fit Valeria.

« Aucun roi elfe n’a eu l’idée de révoquer  l’exil ordonné par mon frère. Ils ont peur qu’une malédiction s’abatte sur eux si je revenais à Fjörstad »

 

– Bien, fit Jester, que les conseillers considérant les négociations avec les elfes nécessaires lèvent la main.

Vittoria, Massimo, Valeria et Niccolò levèrent la main. Rosanna se rangea du côté de Sidney :

– Les vampires de ma mère se soulèveront dès que les premières alarmes résonneront après la charge de Frasca, elles enfileront le brassard rouge des loyalistes et nous nous retrouverons en nombre égal, mais sur un terrain à notre avantage, car nous avons changé leur cachette en champ de mines que nous connaissons grâce aux VamPads. Je ne supporterais pas que nous ayons des dettes envers les elfes, cette victoire sera la nôtre et celle des alliés du Conseil.

– Les elfes ne revendiqueront pas cette victoire, ce serait déjà un miracle si nous obtenons une compagnie de six canons légers. Je ne doute pas du plan de Sidney, mais je préfère mettre toutes les chances de notre côtés, répondit Niccolò.

– Si nous l’emportons, nous aurons démontré que nous sommes un peuple fort et l’Assemblée s’en souviendra, ils nous traiteront d’égaux à égaux, de peur de s’attirer notre colère, ajouta Massimo en parcourant l’assemblée de ses yeux bleus. Cependant quand ils auront besoin d’aide, ce sera en effet à nous de montrer que nous sommes un peuple fiable et loyal envers ses alliés, mais c’est ainsi que marche toute alliance, conclut-il avec un ton calme.

Sid admit :

– Quatre contre deux, le Conseil des Six a tranché. Nous irons à Fjörstad. D’ici, là, je veux que chacun d’entre vous se prépare, apprenne la cartographie des catacombes, l’emplacement des pièges, afin que vous ne soyez pas pris à contre-pied si un des VamPads tombe en panne. L’assaut est prévu pour la dernière nuit du mois d’août. Alfonso, Maria, entraînez nos hommes et nos femmes, même ceux qui ne combattent pas. Ainsi si les hommes de Giacco arrivent au Fort, ils ne seront pas victimes de leur inexpérience. Alberto, mets en place ton poste de commandement à proximité de la porte pour que tu sois le premier à intervenir si Alfonso réclame ton aide. Vittoria, d’ici notre visite chez les elfes, renseigne-toi sur tout ce qui pourrait être à notre avantage, comptabilité et autre petits accords secrets. Je veux qu’une offre décente soit rédigée avant qu’on aille à Fjörstad. Valeria, tu formeras ton clan à la Magie des Grimoires. Les autres, je n’ai aucune autorité sur vous, mais si vous pouviez vous chargez de patrouiller dans la Vallée au cas où les vampires de Giacco tentent des représailles, je vous en serais reconnaissant.

Ils approuvèrent et quittèrent la salle.

« Je ne supporterais pas que nous ayons des dettes envers les elfes, cette victoire sera la nôtre et celle des alliés du Conseil. »

 

Après la réunion, Sid surprit Frasca en rage s’en prendre à Alberto :

– Tu as juré durant la signature du pacte du Monte Fenicio que c’était Lino qui avait inventé ces canons et que les elfes n’étaient pas intervenus, ces mêmes elfes ont confirmé tes dires. Et aujourd’hui tu me dis que ce sont eux qui sont responsables de la déroute des sorcières à la Stregarossa ?

– Responsables non, ils étaient sous le commandement de Lino. Maintenant que Treghia est tombée, ils n’ont plus de représailles à craindre, donc je peux dire la vérité.

La sorcière fusilla le vampire du regard et baissa le haut de sa botte droite dévoilant de la peau brûlée.

– De ma taille jusqu’aux orteils, j’ai été brûlée par ces canons! Et, depuis presque quatre siècles, j’ignorais qui en était vraiment responsable !

Alberto désigna Jester de son long index blanc. Frasca rougit et dit :

– J’étais à la Stregarossa pour trouver une amie à Treghia, je me suis retrouvée entre deux feux, ça arrive en temps de guerre.

Elle remonta sa botte et disparut à l’angle du couloir opposé. Alberto hocha la tête, dépité :

– Si elle préfère cette version des faits…

Le mystère entourant Frasca continuait de s’épaissir, mais Sidney s’était juré de l’éclaircir après avoir mis à terre les vampires des catacombes, sa priorité, et rien, pas même les secrets de Frasca ou d’Alberto, ne devait l’en distraire.

Deux jours plus tard, Sid et son Conseil se tenaient devant le Fort en attendant Vittoria qui finissait de rédiger l’offre que les vampires allaient faire aux elfes. Selon la tradition nessonienne, l’offre devait être manuscrite et ratifiée par le leader du peuple concerné. Pas question alors d’écrire une offre à l’ordinateur, comme Sid l’avait eu fait à Lausanne comme probablement la cheffe des Nosferi lors de ses études genevoises. Vittoria avait été choisie non seulement à cause de ses études de juriste, mais également parce qu’elle avait une écriture bien plus belle et lisible que celle des autres vampires, Alberto excepté. Le vieux vampire avait dû rédiger de nombreux pactes et accords, mais il avait refusé de calligraphier le parchemin de ses successeurs, et Sid ne voulait pas prendre le risque que son ancêtre n’en profite pour glisser quelques piques à l’adresse des elfes. Vittoria sortit en trombe de la masure et tendit un parchemin à Sid :

Demande d’alliance du Conseil des Six Clans Vampires à l’Assemblée des Grands Elfes

Par la présente, le Conseil fait requête au roi Logh et à l’Assemblée des Grands Elfes d’une alliance entre leurs deux peuples. L’alliance se concrétiserait dans un premier temps par le prêt de canons et de canonniers dans l’entreprise du Conseil des Six afin de mettre fin aux agissements du traître et terroriste Giacco Cuoresanguinoso. En échange de quoi, les vampires s’engagent à défendre les intérêts de l’Assemblée en cas de besoin. Nos peuples sont liés depuis des siècles à travers des accords, des guerres gagnées main dans la main, des affinités entre nos chefs, puissent ces liens se renforcer par un nouveau pacte d’alliance. Vous avez toujours su honorer vos dettes envers nous, nous saurons honorer celle-ci.

Avec nos salutations les plus distinguées et les plus respectueuses,

Sidney Bloodheart-Cuoresanguinoso       Vittoria Nosferi      Massimo Luzzianese

Rosanna Nottebella    Niccolò Maninere    Valeria Lunascura

Chacun leur tour, les chefs de clan ratifièrent le parchemin et y apposèrent leur sceau. Sid enroula le tout et le rangea dans un cylindre afin qu’il ne s’abîme pas. Il dit à ses conseillers :

– Puisque vous avez décidé que nous avions besoin de canons, allons les chercher !

Ils marchèrent pendant plusieurs heures, Sid ayant choisi de ne pas partir devant avec l’Arlecchina, afin de rester au niveau de ses compagnons. Le soleil était en train de se coucher. Les vampires supportaient très bien la lumière du jour, mais leur peau restait plus sensible que la normale. Se déplacer sous le soleil harassant de l’été pouvait être épuisant et nocif pour eux. En chemin, Sid interrogea Alberto au sujet des elfes. L’Ange Noir savait que le roi elfe avait les pleins pouvoirs mais qu’il était entourée d’un groupe de ministres nommé l’Assemblée des Grands Elfes. Il ne savait pas quel poids cette assemblée avait dans les choix du monarque

« Par la présente, le Conseil fait requête au roi Logh et à l’Assemblée des Grands Elfes d’une alliance entre leurs deux peuples »

– Ils gèrent absolument tout à leur guise sauf contre.indication du roi ou de la reine. À la différence des sorcières, pour qui la reine devait être le premier enfant de sexe féminin de la reine précédente, les elfes respectent strictement le droit d’aînesse ou l’ancienneté, si le souverain meurt sans avoir d’enfant, comme dans le cas de Pjefä. Ils sont trente, mais dix d’entre eux ont sous leurs ordres deux autres grands elfes. Par exemple, le ministre et général en chef de l’armée aura sous ses ordres le ministre des espions et assassins ainsi que celui de la défense. Le ministre des sciences sera le supérieur de ceux des innovations et de l’archive scientifique. Ils ont des ministres un peu pour tout, comme pour l’aménagement de Fjörstad ou même un qui est chargé du bien-être de la famille royale. Je ne connais pas ce roi Logh, mais j’ai cru comprendre que c’était toujours la maison de Pjefä qui régnait, les Pürdel. Ils sont moins bête que les Lendö, leurs prédécesseurs, mais ça reste des elfes.

Sid connaissait le mépris d’Alberto pour les autres peuples, bien qu’il supposait qu’il soit souvent feint. Il avait entendu dire du patriarche vampire qu’il s’agissait d’un peuple peureux et pédant. Il demanda :

– Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

– Qu’ils souffrent d’un gros complexe d’infériorité et d’un sévère traumatisme dû à Oscuro. La seule fois où ils ont voulu se montrer forts, ils ont conquis toute la Vallée et imposé le Royaume de Nessona. Mais c’était avant qu’Oscuro ne pète un câble. Il était un bon roi.

– Je le sais ça, l’Ancien m’a fait voir toute l’histoire de la Vallée pendant ma formation.

– En fait, après qu’Oscuro se soit fait assassiner, les elfes avaient tellement honte d’avoir voulu dominer les autres peuples, enfin… Crassia, la Reine des sorcières d’alors, et moi les avons fait se sentir tellement coupables que le roi que nous avions désigné pour succéder à Oscuro, Dürärj, a entamé la construction de leur ville cachée, pour que son peuple s’y terre. Et pendant qu’ils se cachaient, vampires et sorcières en profitèrent pour asseoir une certaine influence sur la Vallée, les autres peuples, comme les centaures et les fées, n’étant pas intéressés par la politique. C’était le bon temps, les sorcières et nous vivions à Luzziano et à Ferragio, pour la plupart, nous nous battions sur la place du village pour savoir à qui appartenait tel ou tel bâtiment, la reine des sorcières organisait des sabbats obligatoires pour que ses sujets qui s’étaient convertis au catholicisme, avec l’évangélisation de la Vallée par Taurus, ne puissent pas aller à la messe le dimanche matin et nous nous y incrustions… Puis est arrivé un sorcier blondinet d’Ange Noir, con comme un manche à balai, qui a provoqué la Grande Guerre Nessonienne. Ah Salvatore, si seulement tu étais né une ou deux heures plus tard, la marque serait allée sur quelqu’un de compétent pour diriger le destin de la Vallée, pas sur un va-t-en-guerre imbu de lui-même.

– Revenons aux elfes, fit Sidney, conscient qu’Alberto pouvait perdre le fil de la discussion.

– Oui, enfin, ils aiment se cacher et jouer un peu les victimes. De plus, entre leur manque de capacité surnaturelle, ce qu’ils partagent avec les vampires de bas lignage qui eux, sont au moins quasi-immortels, et leur mortalité, ils ont de quoi complexer. Ils ont compensé ça avec des technologies avancées et un certain talent pour les affaires.

Vittoria demanda :

– En fait, pourquoi sont-ils mortels ?

– Thanata leur a retiré l’immortalité suite au chaos provoqué par Oscuro. Seul Zjök est passé entre les gouttes, car il était le plus sage et celui qui avait mis fin à la folie de son frère. Finalement, la dynastie Arjö s’est achevée et les elfes, ou plutôt nous, avons discrètement choisi la maison Isamjöl pour les diriger, jusqu’à ce que Szërdel pousse le peuple à se soulever contre un régime patriarcal et élitiste et se fasse couronner reine, la première de la maison Lendö. Les Pürdel sont arrivés aux pouvoir parce que Zaljzä avait déclaré la neutralité des elfes pour la Grande Guerre. Salvatore bénéficiait des services de mercenaires elfes, mais pour s’assurer de l’appui de l’armée des elfes, le blondinet a, à la mort de la reine, imposé à l’Assemblée une nouvelle maison à sa botte. Voilà un bref résumé de l’instabilité que provoque la mortalité. Chez les sorcières et chez nous, depuis le début, c’est la même famille qui dirige ; eux, ils ont rarement eu de leader charismatique ou capable d’amener un semblant de stabilité. La preuve avec ce que Shadow nous a dit au sujet de cette révolte qui semble germer.

« Crassia, la Reine des sorcières d’alors, et moi les avons fait se sentir tellement coupables que le roi que nous avions désigné pour succéder à Oscuro, Dürärj, a entamé la construction de leur ville cachée, pour que son peuple s’y terre »

 

Sid résuma :

– Il nous faut donc convaincre le roi, parce que l’Assemblée n’a aucun pouvoir ou presque contre sa parole.

Niccolò affirma, rêveur :

– C’est au moins un peuple qui a eu le courage d’aller vers le changement, permettant ainsi aux plus petits de pouvoir s’extirper de la misère.

– N’en sois pas si sûr, fit Alberto. Il y a une dizaine de maisons mais ce ne sont que des familles anoblies par un roi ou une reine, suite à des pots-de-vin ou du léchage de pompes en général. Ils représentent la classe haute de la société de Fjörstad. Le peuple elfe vit tranquillement sans se soucier des intrigues politiques, à moins que leurs droits ne soient touchés. C’est le seul peuple qui a toujours eu une population conséquente, selon les dires que j’ai récoltés depuis mon retour, ils sont plus d’un millier. Seule une centaine d’entre eux peut prétendre à un brin de pouvoir.

Le chef des Maninere baissa les yeux. Le Conseil des Six longeait le flanc du Monte Gemello Maggiore quand Alberto s’arrêta et dit :

– Nous y sommes.

Pas de porte, de tunnel ou même de mécanisme comme pour ouvrir la Croce Nera. Comment Alberto pouvait-il savoir que les vampires se trouvaient au bon endroit ?

– Nous sommes observés, expliqua-t-il.

Il leva les yeux et hurla :

– Descendez de vos perchoirs et venez nous mener à votre roi !

Il y eut un mouvement dans un des arbres alentour. Puis un coup de feu puissant se fit entendre, Sid et ses conseillers, Rosanna s’occupant de Niccolò, eurent juste le temps de se défaire des chaînes du temps pour éviter une balle qui alla se planter dans un tronc derrière eux. Une voix forte hurla :

– On ne bouge pas ! Mains derrière la tête !

Les vampires ne bougèrent pas et commencèrent à chercher les sentinelles dans les arbres. Il y eu un second coup de feu.

– Dernier avertissement !

Vittoria s’exclama :

– Vous êtes en train de tirer sur une délégation diplomatique, composée notamment de l’Ange Noir !

– Mains derrière la tête, fit cette fois une voix féminine, sinon nous prendrons votre manque de coopération comme de l’hostilité et nous ferons feu à volonté.

Sid fit un signe à ses compagnons. Les sept vampires mirent leurs mains derrière la tête, un elfe dans la force de l’âge descendit d’un arbre, un fusil de précision dans le dos. Il dit d’une voix autoritaire :

– À genoux !

Les vampires s’exécutèrent à contrecœur. Une jeune elfe, également armée, rejoignit la sentinelle et ils commencèrent à fouiller le Conseil des Six et Alberto. Les elfes portaient des équipements relativement modernes, avec une tenue se trouvant entre l’armure légère et le gilet en kevlar. Ils portaient tous les deux des bérets militaires. Alberto serra les dents et siffla :

– L’accueil elfe n’a que trop peu changé en deux siècles, j’espère qu’ils ont abandonné la fouille intégrale.

« Descendez de vos perchoirs et venez nous mener à votre roi ! »

 

Le plus vieux des elfes lui donna un coup de pied dans le dos :

– On la ferme tant que l’inspection n’est pas terminée.

Alberto le fixa dans les yeux. Soudainement, celui qui devait être le plus haut gradé des deux semblait moins à l’aise. Les elfes ressemblaient aux humains, à l’exception de leur teint crayeux, de leur cheveux colorés mais sombres, d’oreilles légèrement pointues et d’une silhouette plus fine, plus svelte. Leurs yeux étaient comme dépourvus d’iris car celui-ci était noir, à l’exception rare de quelques métissages avec les vampires ou les humains. Les elfes arrachèrent les épées des vampires de leurs ceintures, retirèrent les pistolets de Sid et d’Alberto et menottèrent Valeria, sûrement pour éviter qu’elle n’use de sortilège. La femme grogna :

– On en fait quoi ?

Son supérieur dit froidement :

– Ils veulent voir le roi, on les emmène voir le roi. Le grand là, c’est Alberto Cuoresanguinoso, il sait où se trouve Fjörstad, s’ils veulent voir le roi, ils finiront bien par le voir. Tu vas avertir le général Bolûl, qu’il soit au courant que le Conseil des Six est ici.

Ils menèrent les vampires devant une paroi rocheuse et le supérieur posa sa main sur un pli rocheux. Un long tunnel s’ouvrit dans la roche et les elfes y poussèrent le Conseil des Six.

– Bienvenue à Fjörstad, vampires, dit narquoisement un des elfes.

par

Illustration :