Chapitre 28

Sid parcourait les couloirs déserts des catacombes, enjambant cadavres et cercueils déplacés au cours du raid de Frasca. Giacco se dirigeait vers Spadina. Il risquait d’être surpris par les comités d’accueil l’attendant tant au Fort, s’il choisissait de prendre cette sortie, qu’à l’entrée se trouvant dans le village où les elfes avait été avertis de son arrivée. Le vampire blessé progressait lentement, handicapé par sa blessure et par le gaz inventé par Sid. Jester se rapprochait de lui au pas de course. L’Ange Noir pouvait entendre son ennemi tousser et grogner plus il s’approchait de lui. Sid eut une idée, il bifurqua sur une galerie parallèle à celle où se trouvait Giacco. Une fois assez proche, l’Ange Noir s’exclama :

– Tu fuis ? Je pensais que le grand Giacco Cuoresanguinoso ne tremblerait pas devant moi !

Les deux long couloirs où se trouvaient les deux vampires étaient reliés par de petits passages. La voix traînante de Giacco répliqua :

– Il faut croire que c’est de famille. Alberto, Lino, toi, Bloodheart… On sait quand il faut mettre les voiles. Nous ne sommes pas si différents que ça.

Sid ne répondit pas, il marchait le long de la galerie, se concentrant. Giacco siffla :

– Je sais que tu es proche, Bloodheart, et je sais que tu crèves d’envie de m’achever. Alors qu’est-ce que tu attends ?

Sid regarda par un des passages reliant les deux galeries et vit l’aîné des enfants d’Alberto regarder autour de lui comme un animal aux aguets, comme acculé. Il levait avec vigueur une épée, sa blessure l’ayant sûrement contraint à lâcher sa deuxième arme. Giacco ricana :

– Peut-être te trouves-tu trop noble pour frapper un homme blessé et vaincu, tout comme Lino. Il faut alors trouver de quoi te pousser à sortir de ta cachette.

Il continuait à regarder partout autour de lui. Il avait cessé d’avancer, comme s’il était conscient de l’impasse dans laquelle il se trouvait. Cependant, un rictus mauvais déformait son visage si étrangement impassible lors de ses précédentes rencontres avec Sid. L’Ange Noir préférait clairement quand Giacco semblait incapable d’exprimer la moindre émotion. Il paraissait dément quand son visage se tordait en un horrible sourire.

– Pourquoi ne pas commencer sur le sujet de ta petite sorcière préférée ? Je sais que tu cherches à savoir ce qu’elle cache. Je sais tout ce qui se passe dans la Vallée, rien n’échappe à mes yeux. Je parie qu’après la reddition de mes hommes, elle a lancé un sort de tabou que tu aurais pu empêcher si tu n’avais pas préféré pourchasser un chef déjà vaincu. Je suis la dernière personne qui peut te dire ce que la sorcière cache…

Sid continuait à se concentrer, sur le temps et sur ses capacités d’Ange. Les mots de Giacco ne l’atteignaient pas. Il laissa le vampire continuer :

– Si tu pensais que j’étais un monstre sans cœur et sans vergogne, je me demande ce que tu penseras de Frasca quand tu sauras que…

Il marqua une hésitation. Le gaz anti-vampire amplifierait-il la magie de leurs ennemies naturelles, les sorcières, au point que le sort de tabou ait atteint Giacco ? Sid l’ignorait. Le vampire reprit sa tirade provocatrice :

– Quoi que je dise sur Frasca, tu ne me croiras pas. Et puis un jour, ça lui tombera dessus, je sais qu’il y a certains mouvements en marche dans cette Vallée. Je me demande s’il ne vaut mieux pas que tu le découvres par toi-même. Après tout, tu es déjà conscient qu’elle n’est pas aussi blanche que son surnom laisse à croire. Et si on parlait de toi, des morts que tu n’as pas pu empêcher ?

Sid retira son masque à gaz, il était déjà bien éloigné de la zone infectée par sa grenade et la pression de la bulle de verre sur son visage l’empêchait de canaliser ses forces. Il ne devait en aucun cas perdre sa concentration. Il allait frapper fort et vite, mais avant il devait se préparer tout en acculant son adversaire.

« Je sais que tu es proche, Bloodheart, et je sais que tu crèves d’envie de m’achever. Alors qu’est-ce que tu attends ? »

 

– Depuis que j’ai appris que l’Ange Noir était le descendant de Lino, je t’ai fait suivre, dit Giacco. Que ce soit ici ou dans ta ville. Depuis que tu as douze ans, mon ombre te suivait. Puis, un jour, est apparu une sorte d’ange gardien, veillant sur toi, mes espions devaient redoubler de vigilance, d’autant que ce veilleur n’était autre que mon père.

Sid concentrait sa puissance d’Ange dans ses jambes, et ne comptait libérer que celles-ci de l’emprise du temps. Il les sentait parcourues d’une énergie presque électrique. Le vampire continua :

– C’est quand tu as renoncé à revenir après ta petite année sabbatique que j’ai compris. Tu avais peur, peur de moi. Si je n’avais pas senti cette peur, je pense que j’aurais pu me tenir à carreau du moment où tu ne me posais pas de problème. Mais l’idée de briser l’héritier de Lino était si douce, si agréable. Si tu avais été là, une soixantaine de mortels auraient échappé à un destin funeste et bien que je pense que ce conflit aurait eu lieu entre toi et moi, j’ose supposer que je n’aurais pas eu à faire autant de mise en scène. Allons, depuis ton retour, combien de personnes se sont ajoutées aux mortels ? Une bonne cinquantaine ? Cela fait plus de cent personnes que tu n’as pas pu sauver. Ce qu’il y a de plus drôle, c’est qu’en dehors des loyalistes à Spadina, ces personnes n’avaient rien à faire avec nous, elles se trouvaient juste au mauvais endroit au mauvais moment, mais leur Ange Noir n’était pas là pour les sauver. J’ai particulièrement aimé mon coup à la Croce Nera. Quand j’ai vu les loyalistes se rendre au Fort, j’ai su que c’en était fini pour moi si je ne trouvais pas un moyen de vous distraire. Et pendant que je guettais vos mouvements, je vois ce jeune exorciste, si innocent, si tolérant, si peu semblable à ses pairs. L’Ordre aurait été un ennemi de taille pour vous affaiblir. Mais j’ai échoué. Par contre j’ai la petite satisfaction d’avoir pu parler à ce jeune garçon et tu sais quoi ? Il est mort convaincu que tu étais responsable de ce qui lui arrivait, il te maudissait, Bloodheart, toi et tes vampires.

Il eut un rire cruel. Sid vit de petites étincelles argentées parcourir ses jambes comme si toute la puissance emmagasinée débordait par les pores de sa peau.

– Peut-être devrais-je parler de ton mentor, le petit protégé de mon frère. Ce mortel qui a osé me défier. Et pourquoi ? Ah oui, parce que tu l’as mêlé à cette bataille, bien que conscient qu’il n’était pas vraiment un nocturne. Encore un mort par ta faute ! Et c’est de moi dont tu avais peur ? Voyons, s’il y a un meurtrier entre toi et moi, je dirais que c’est plutôt toi, moi je ne tue que mes ennemis, toi, tu es responsable de la mort de tes alliés et d’innocents.

Giacco attendait une réaction et commençait à perdre patience :

– Allez Bloodheart, montre-toi !

Sid haussa la voix :

– Tu veux que je me montre car tu as peur de ce qu’il pourrait t’arriver quand je vais frapper. Tu ne sais pas d’où, ni quand, mais tu sais que tu n’as aucune chance. C’est ce que j’ai ressenti pendant cinq ans et je voulais que tu le vives avant de mourir !

Sid relâcha son énergie et fonça à travers un des minces passages dans le mur séparant le couloir de Giacco du sien et il frappa son ennemi dans la poitrine avant de passer dans un autre passage emporté dans son élan, qui lui profita pour contourner un pan de mur et donner un coup avec Kustu dans l’épaule de Giacco. Il courut jusqu’au bout du couloir pour faire face à Giacco. Il n’avait pas défait les entraves du temps cette fois, mêlant ses capacités de vampire et d’Ange, il allait bien plus vite que Giacco et même si celui-ci usait de la danse invisible, il ne pourrait frapper le Protettore tant celui-ci était projeté à la manière d’un boulet de canon, ses jambes dégageant une énergie argentée. Il regarda Giacco dans les yeux et lui cria :

– Je n’ai plus peur de toi et je ne suis pas Lino. Cette fois, c’est fini, tu ne feras peur à personne d’autre !

Sid se projeta, évita un coup d’épée hasardeux de son adversaire, planta son épée dans le ventre de Giacco et le cloua littéralement sur le sol. Kustu transperça le vampire et s’enfonça dans la poussière des catacombes. Alors que la lame déchirait la peau, Sid garda ses yeux plongés dans ceux de son ennemi, de cet « oncle ». Il mettait enfin un terme à la Guerre des Coeurs Sanglants. Jester se retrouva sur le sol aussi, à court d’énergie, la main tenant fermement Kustu. Il se releva et regarda Giacco. Le vampire allait mourir de ses blessures, mais il continuait de ricaner insolemment.

– Qu’est-ce qui te fait rire, enflure ? dit Sid dans un sourire dépité.

« Tu veux que je me montre car tu as peur de ce qu’il pourrait t’arriver quand je vais frapper. Tu ne sais pas d’où, ni quand, mais tu sais que tu n’as aucune chance. C’est ce que j’ai ressenti pendant cinq ans et je voulais que tu le vives avant de mourir ! »

 

Giacco grogna :

– Tu me rappelles ma sœur.

Il savait pour Lino, comment cela se faisait-il ?

– Je te l’ai dit, rien ne m’échappe, continua-t-il faiblement. J’ai compris que notre Lino était une femme quand elle avait cinq ans et que je l’ai surprise avec Erra et que celle-ci l’appelait pratä, princesse en fée. Je n’ai rien dit, trop de vampires peu scrupuleux auraient pu abuser d’elle.

– Alberto disait que c’était pour la protéger de toi.

– Oh, mon père m’a toujours considéré comme plus mauvais que je ne le suis. Je ne suis pas un enfant de cœur comme l’était Lino, pacifiste, diplomate. J’avais peur qu’avec ses manières trop élégantes, quelqu’un ne comprenne et si je disais à mon père que je savais, il n’avait plus de raison de garder le secret. Or, comme je vais te le raconter, si le secret de Lino avait été percé à jour, elle aurait été en danger. Quand notre peuple était uni, les salopards qui se sont ensuite rangés de mon côtés étaient déjà là. Comme tu as pu le voir chez les loyalistes, les préférences de Lino pour les femmes n’auraient pas été un avantage pour elle. Je vais te raconter une petite histoire, ce qu’il s’est vraiment passé avec Mauro Nosferi.

Haletant, Giacco soupira :

– Il était mon agent double, comme Wanda l’était chez moi, apparement. Mais Mauro n’avait vraiment aucun honneur. Un jour, il a vu Lino se baigner à la cascade. Pensant m’apprendre le secret de ma sœur, il a accouru vers moi. Quand je lui ai dit que je le savais, il a pensé se servir de la féminité de ma sœur pour s’élever au-dessus de la guerre. Il a ordonné à ses hommes de l’espionner et de l’isoler, avant qu’il ne puisse abuser d’elle, afin de la détruire psychologiquement. Il n’y est pas parvenu.

Giacco continua en toussant :

– Bien que Lino et moi étions en guerre, c’était ma sœur, mon sang. Et de quoi aurais-je eu l’air si on apprenait que mon père avait préféré nommer une femme à la tête du Conseil ? Ne faisant pas confiance à Mauro, j’ai veillé sur mon ennemie, jours et nuits, comme Alberto le fit avec toi. Et le jour où cinq Nosferi l’ont agressée, commençant à lui arracher ses vêtements, je suis sorti de l’ombre et je les ai tous massacrés. Le duel qui nous a confrontés Lino et moi était le remerciement pour mon acte, j’étais censé le gagner. Je pensais Lino assez noble pour déposer les armes. Cependant, elle s’est laissée attaquer par surprise. Elle me connaissait trop bien pour ignorer que me tourner le dos était une grosse erreur. Lino a fui, comme pour laisser notre affrontement en suspens, le temps pour elle de se remettre du choc. Un jour, elle est revenue, sans costume, telle qu’elle était vraiment. Elle m’a promis de ne pas s’en prendre à moi immédiatement, mais uniquement à ses autres ennemis, Frasca, Mauro et ses larbins, ainsi nous étions quittes. Malissia l’a tuée finalement.

– Tu as tué Pjefä, la femme que Lino devait épouser, c’est ainsi que tu montres ton respect à ta sœur ?

– L’assassinat était une conspiration entre moi et d’autres personnes. Une alliance entre vampires et elfes, une fédération entre nos deux peuples, n’était pas du goût de tout le monde. J’en était un des instigateurs mais aussi le bras armé.

« Mon père m’a toujours considéré comme plus mauvais que je ne le suis »

 

Sid le regarda et le vampire conclut dans un dernier souffle :

– Nabero m’avait promis un grand destin, c’est ainsi que celui-ci se conclut.

Giacco cessa de respirer. Sid lui ferma les yeux en murmurant :

– Meurtrier, conspirateur, terroriste, mais également frère, puisse l’Ange de la Mort te porter le jugement que tu mérites pour tes actes, qu’ils soient bons ou mauvais.

Sid prit son VamPad et dit aux autres :

– Il est mort, la guerre est finie.

Il coupa le son et resta à observer la dépouille de Giacco. Comment pouvait-on être si vil et avoir la sagesse de veiller sur nos ennemis au nom d’un certain honneur ? Sid fut à peine surpris de voir Alberto approcher de lui. La capacité de l’ancien chef du Conseil des Six à apparaître au bon endroit au bon moment était surprenante. Comme s’il savait ce qui allait se passer avant même que cela ne se passe.

– Mes trois enfants sont morts désormais, fit-il.

Devant le regard interrogateur de Jester, il ajouta :

– Quand je t’ai vu poursuivre le mouchard au poste de contrôle, j’ai deviné que tu poursuivais Giacco, je suis venu en renfort.

– Pourquoi ne t’es-tu pas montré plus tôt, alors ?

– Je voulais voir comment tu te débrouillais.

Il posa un baiser sur le front du cadavre de Giacco en murmurant :

– Désolé de t’avoir si mal jugé. Tu étais un salopard de première, mais tu avais plus d’honneur que ce que j’ai pu supposer.

– Tu as entendu ce qu’il a raconté ?

– Oui, mais je n’ai rien à dire à ce sujet. Soyons francs, une bonne action n’efface pas une vie de meurtres et de cruauté. C’est donc ça qui a pu changer Lino au point de la rendre presque folle.

Sid demanda :

– Giacco a parlé de Nabero, qu’est-ce que tu en sais ?

Alberto retira Kustu du corps de son fils et la tendit à Sid. Il soupira :

– Nabero est en grande partie responsable des dérives de certaines personnes dans cette Vallée, surtout quand il s’agit de personnes d’influence parfois incomprises. Il leur promet le pouvoir s’ils se mettent à genoux devant lui, c’est ce qui est arrivé à Oscuro, à certaines reines des sorcières, ainsi qu’à Giacco, mais je ne l’ignorais pas. Comprends bien, Nabero veut retrouver son influence dans la Vallée, en ayant des peuples à son service. Il s’octroie des armées afin de vaincre sa sœur.

« Meurtrier, conspirateur, terroriste, mais également frère, puisse l’Ange de la Mort te porter le jugement que tu mérites pour tes actes, qu’ils soient bons ou mauvais »

 

Jester prit Kustu qu’Alberto lui tendait. Il baissa les yeux :

– Y en a-t-il qui refusent son offre ?

– Oh bien sûr, cela ne veut pas dire que ce sont des gens bons, ni mauvais s’ils l’acceptent. Personne n’est bon ou mauvais dans la Vallée. Regarde Salvatore, il a eu l’opportunité de suivre la même voie qu’Oscuro, mais il a refusé, au nom de ses convictions et de sa religion, mais il considérait que celles-ci étaient supérieures aux autres et a tenté de les imposer, discriminant, convertissant parfois de force. Peut-on donc en dire qu’il était un homme bon? Ou un homme mauvais ?

Il ajouta de son ton immature et moqueur :

– On ne peut pas, mais nous pouvons nous permettre de dire qu’il était un petit con prétentieux.

Bien que tranchant avec l’atmosphère sombre des catacombes et l’ambiance lourde d’une fin de guerre, cette remarque eu le don de dérider Sidney.

– Dans l’autre sens, certaines personnes acceptent de s’allier à Nabero pour protéger des proches ou un peuple, même si cela implique de tuer, la cruauté ou la torture, considérant que leur idéal doit passer par le sang.

– Est-ce que Lino a eu une offre de Nabero ? Ou moi, est-ce que je risque de recevoir sa visite ?

Alberto sourit :

– Quand on a un grand destin, on n’a pas besoin du pouvoir pour le réaliser. C’est ce qui était écrit pour ma fille et ce qui est écrit pour toi.

– Un grand destin, moi ?

– Voyons, mettre fin à une guerre fratricide, c’est déjà un grand destin, est-ce le maximum qui t’es promis ? Nous le découvrirons, Sidney Bartholomew Bloodheart-Cuoresanguinoso, dit Jester, Ange Noir du Val Nessona, vainqueur de la Guerre des Coeurs Sanglants.

– J’ai vraiment un nom à rallonge. Toi, tu as tout abrégé en Le Magnifique.

– Oh, mon nom complet est long : Alberto Cuoresanguinoso, Le Magnifique, L’Incorruptible, le Maître du Fort, Le Premier Vampire, Le Fléau de Treghia, Le Sage de Luzziano, L’Omniscient, Vainqueur de la bataille de la Stregarossa et j’en passe. Quand j’étais le chef du Conseil, mes sujets devaient en connaître au moins quinze sur les trente-sept officiels. Toi, on peut abréger en Sidney, la Foudre des Catacombes. C’était très malin de ta part de te concentrer sur tes jambes. Après, à ce que je vois, tu manques de forces, tu as dû puiser toute ton énergie.

Sid rit :

– J’aurais grand besoin d’une bonne chope chez Camilo, l’énergie reviendra quand je verrai notre peuple se mêler aux autres à la Croce Nera.

Alberto précisa :

– Avant l’orgie chez Vallese, on va faire un grand banquet, Corro sera ravi de préparer le plus magnifique repas que le Fort ait connu depuis des siècles. Et puis, il faut s’occuper de nos prisonniers.

Sid se rappela de Frasca et de son sort de tabou. Il en fit part à son ancêtre. Alberto s’exclama :

– Non mais elle est irrécupérable ! Elle ne fait qu’aggraver son cas !

« Quand on a un grand destin, on n’a pas besoin du pouvoir pour le réaliser. C’est ce qui était écrit pour ma fille et ce qui est écrit pour toi »

 

L’Ange Noir lui fit part de sa colère à ce sujet et de son incompréhension.

– Elle va m’entendre, conclut-il.

Alberto le calma :

– Elle n’est pas bête, elle sait que tu vas remarquer son sort de tabou et que ça va te mettre en pétard. Elle sera sur ses gardes pendant quelques temps. Alors, voilà ce que tu vas faire, tu vas laisser couler et le moment venu, je te guiderai pour que tu découvres le passé de Frasca. Ainsi, je tiens ma promesse, mais ce sera clair pour toi. Ce sera dur pour toi, parce que la blondinette est ton amie, mais laisse passer pour cette fois.

Sid se mordit la lèvre, il ne supportait pas que son amie se comporte ainsi. Mais Alberto avait raison, et puis, comme il le disait, avant la grande fête à la Croce Nera, il fallait clarifier le cas des prisonniers. Pouvaient-ils rejoindre leurs rangs sans représenter un risque pour l’unité des vampires ? Mais il craignait un secret que quelqu’un se donnait autant de mal à protéger :

– Alberto, le secret de Frasca, est-ce qu’il pourrait mettre en péril la Vallée ? Me mettre en danger ? La tourner contre moi ? Ou être dangereux pour notre peuple ?

Le vieux vampire fit signe à son descendant de le suivre en direction du champ de bataille où les loyalistes devaient célébrer leur victoire. Il répondit :

– Tout dépend de comment toi tu l’accepteras. Comme tu le sais, ça concerne le passé de Frasca. C’est une partie de ce qu’elle est. Mais elle a changé, ne l’oublie pas, et elle le pense quand elle dit tenir à toi. Ce fameux secret te permettra juste de comprendre les rapports compliqués de Lino avec la Sorcière Blanche ainsi que la peur qu’elle inspire à notre peuple. C’est une bonne chose que tu considères que son intervention ce soir soit une façon d’effacer la rancune entre elle et les vampires. Les rancoeurs pourrissent les liens et empêchent d’aller de l’avant.

– Je comprends. J’appréhende quand même, elle le cache avec tellement de volonté, ce doit être horrible. Personne ne peut supporter de cacher quelque chose d’aussi gros aussi longtemps sans en souffrir intérieurement.

– Frasca est persuadée que personne ne comprendrait et toi encore moins. Mais ne t’inquiète pas pour ça, tu lui montreras que même cela ne peut casser votre amitié.

Ils arrivèrent là où Sid avait laissé les loyalistes capturer les vampires des catacombes. Les vainqueurs menottaient les vaincus sous la supervision du Conseil des Six. Sid demanda à Valeria :

– Il faudra aller chercher les trois fuyards de tout à l’heure à la Croce Nera. Avant de fêter notre victoire, nous allons nous charger des anciens fidèles de Giacco.

La mage fit :

– Frasca s’est proposée pour aller les chercher, elle les ramène au Fort.

Sid grimaça. Définitivement, la sorcière savait ce qu’elle avait à faire pour garder le contrôle sur sa situation. Shadow accourut vers Sid :

– J’ai interrogé certains de ces vampires, mais aucun n’est capable de me dire clairement ce que Frasca cache.

Sid se tourna vers la dragonne et lui fit :

– Elle les a ensorcelés à peine la bataille finie. Mais rassure-toi, Alberto va nous aider, mais pas tout de suite.

– La sale garce ! Tu vas lui dire quelque chose au moins ?

– Non. Chaque chose en son temps.

« Alberto, le secret de Frasca, est-ce qu’il pourrait mettre en péril la Vallée ? Me mettre en danger ? La tourner contre moi ? Ou être dangereux pour notre peuple ? »

 

Il prit Shadow dans ses bras :

– Merci d’avoir été là, ce soir.

– Prendre des risques pour que tu en reçoives les lauriers, c’est ma routine.

– Cette fois, c’est le Conseil des Six et ses alliés qui ont vaincu, pas moi. On a gagné tous ensemble.

Felicia se dégagea de l’embrassade et fit :

– Paie-moi une bouteille ou deux au bar, ce sera moins embarrassant.

Sid posa ensuite son regard sur le corps de l’Ancien. Certes, il avait été moins présent depuis l’apparition d’Alberto, mais il avait toujours été comme un grand-père bougon et grincheux, mais loyal et bienveillant pour lui. Sid sentit les larmes monter, il les retint. Il constata avec une certaine rage que Frasca avait préféré partir protéger son secret plutôt que de s’inquiéter pour l’Ancien avec qui elle passait aussi beaucoup de temps. Zjök et Alberto entourèrent Sid :

– Il serait mort dans les années à venir, la présence des nocturnes dans sa vie augmentait sa longévité, mais pas de façon infinie, fit Alberto, d’un ton grave. Je ne le connaissais pas personnellement, mais s’il a formé un Ange Noir comme Sid, il devait être un grand mentor.

– Plus que nous ne l’avons jamais été, soupira Zjök, il aura sa place au Panthéon, auprès des autres héros de la Vallée. Zjök suppose qu’il aurait préféré mourir ainsi que de se voir devenir une coquille vide.

Alberto adressa un regard noir à Zjök :

– Comment ça, plus que nous ne l’avons jamais été ? Oscuro n’a pas été formé tout seul, à ce que je sache !

Zjök dit à Sid :

– Avant que je ne devienne le maître d’arme des Anges Noirs, c’était Alberto qui les formait. Il a formé Vladi et mon frère, étant ainsi mon précepteur quand nous étions jeunes. C’est lui qui m’a délégué la tâche de la formation des Protettori.

Ceci expliquait le lien particulier entre l’elfe et le vampire, amenant peut-être une raison au caractère loufoque de Zjök.

– Sans oublier que Sid a aussi profité de mon enseignement, ajouta Alberto.

Sid les coupa :

– Silence, un peu de respect pour le Vieux.

Ils restèrent en silence devant le corps du vieil homme gisant parmi d’autres. Jester se souvint de ces dix années de formation avec l’Ancien. De son soutien pendant sa dépression, où il était le seul lien qu’il avait avec la Vallée. Sid ordonna, d’une voix tremblante d’émotion :

– Il y a une pièce adjacente à la Nécropole, c’est là où sont enterrées les personnes ayant contribué à notre communauté. Je veux qu’il repose là-bas.

Zjök demanda :

– Inscrit-on son nom complet sur sa tombe ?

– Mettez juste « L’Ancien : Ses jurons resteront à jamais dans nos cœurs ».

Shadow et Valeria les avaient rejoints, c’étaient les seules à avoir connu l’Ancien de son vivant en dehors des trois autres déjà présents vers la dépouille. Shadow admit :

– C’est sûrement la meilleure épitaphe pour lui, et la façon dont il voudrait qu’on se rappelle de lui.

– À chaque fois que j’irai sur sa tombe, je me souviendrai de quand il me traitait de demi-cerveau ou de jeune crétin sans neurones, fit Sid, la larme à l’oeil. À chaque fois que j’aurai besoin qu’on me donne un coup de pied aux fesses, je n’aurai qu’à regarder sa tombe.

Shadow eut un rictus :

– Tu n’as qu’à demander si tu veux que je te botte le train, mais je ne le ferai pas avec autant de talent que lui.

– Je me souviens du jour où il a envoyé sa botte au visage de Sid, fit Valeria, j’en suis tombée de ma chaise au bar.

Ils restèrent en silence à se souvenir de celui qui était tombé au combat, pendant que d’autres pleuraient des proches, comme Rosanna près de sa mère ou Vittoria et Niccolò près d’amis loyalistes. La première chose qu’ils allaient faire avant de rentrer au Fort serait de les enterrer, dignement. Sid, Shadow et Zjök se rendirent au Monte Friccio pour un dernier adieu à l’Ancien.

« Silence, un peu de respect pour le Vieux »

 

Dans la Nécropole, les fantômes de Malissia et Lunos, les deux précédents élèves du vieil homme, les accompagnèrent, la mine solennelle. Sangue, d’habitude si impassible, s’était assis sur sa tombe et sanglotait, incapable de soutenir la vue du corps de son fils adoptif. Ce jour qui aurait dû être une victoire pour lui, tué par Giacco, était marqué par le deuil. Même s’il risquait de revoir l’Ancien au Panthéon, la mort restait une épreuve. Quand Zjök ferma une des tombes vides, couvrant, avec l’aide de Shadow, le visage de l’Ancien, les trois élèves de celui-ci avaient le visage humide, les yeux brillants. Ce mortel qui avait côtoyé des êtres incroyables, qui semblait inusable, était tombé. Sid se demandait combien de fois il allait devoir accompagner un proche dans son dernier voyage, car c’était peut-être le destin d’un Ange Noir…

Une fois au Fort, le Conseil des Six se réunit en urgence pour organiser le jugement des vampires s’étant rendus. Il fut décidé de gracier ceux qui n’avait jamais tué en dehors de batailles ou qui n’étaient pas des meurtriers. Pour les autres, des peines allant à des travaux d’intérêt général, comme aider en cuisine ou l’entretien du Fort, sous la surveillance de vétérans, à l’enfermement pour des durées indéterminées, mais avec l’engagement de les libérer en cas de bonne conduite, pour les plus dangereux criminels. Certains de ceux-ci réclamèrent de se faire exécuter, pour tomber des mains de l’ennemi, disant ne jamais reconnaître le descendant de Lino comme chef. Sid répugnait à accepter l’idée de la peine de mort, mais à contrecoeur, il se plia au vote du Conseil à trois voix contre deux et une abstention, qui acceptait la mise à mort à la demande de l’accusé uniquement. Rosanna, Valeria et Massimo avaient approuvé cette décision, contre Vittoria et Sid, Niccolò ne souhaitant pas se prononcer. Jester refusa par contre fermement d’être le bourreau ou qu’un membre du Conseil le soit. Afin d’éviter que ce rôle ne crée des tensions entre clans, il fut décidé que celui qui se chargerait des exécutions devait être extérieur au peuple à moins d’être déchu de son appartenance à un clan. Illario se porta volontaire et sa famille devint la famille des bourreaux, dépendant du Conseil des Six uniquement et non pas d’un chef de clan. Sept vampires demandèrent la mort, Illario les décapita dans une salle à l’écart des regards afin qu’ils puissent mourir par l’épée, en témoignage de leur loyauté envers Giacco. À chaque condamné tombant sur le sol, l’Ange Noir baissait les yeux. Les jugements prirent la matinée. Quand la dernière mise à mort fut terminée, Sid se sentit plus léger, la Mort ne frapperait plus aujourd’hui, c’était enfin la fin des cadavres et des combats. Corro donna alors une liste de courses à Valeria pour un banquet royal.

par

Illustration :