Chapitre 14

Les jours passaient et se ressemblaient. Les résidents temporaires de Fort Cuoresanguinoso s’entraînaient sans relâche sous l’oeil avisé de deux des plus grands combattants non-Protettori de l’histoire de la Vallée. Bien qu’Alberto et Frasca avaient des styles typiques de leurs peuples respectifs, les séances de combat ne différaient pas de l’entraînement que Shadow et Sidney avaient eu avec leurs mentors, au point qu’ils se sentirent vite lassés des séances d’escrime avec le vampire et la sorcière. Ce qui était nouveau pour l’Ange Noir, en revanche, c’étaient les cinq heures intensives et quotidiennes d’entraînement physique : gainage, musculation, course à travers les couloirs du Fort et autres exercices de souplesse. Un soir, environ deux semaines après les événements de Spadina, Sidney dit à Alberto, après une séance de combat :

– Je ne vois pas pourquoi on s’adonne encore ces sessions d’escrime et de combat au corps à corps. Je faisais déjà ça avec le vieux et Shadow avec Zjök. Tu as vu que nous étions bons, on pourrait passer à la phase deux de ton entraînement super secret cloîtrés dans le fort.

Le vampire, ne supportant pas de voir ses méthodes mises en doute, grinça :

– Lors de ces séances de combat, ni toi, ni Shadow n’avez été capable de mettre Frasca ou moi à terre. Je sais que je suis le meilleur, mais si tu es si bon que ça, pourquoi la sorcière ne s’est jamais retrouvée le cul par terre ? Prends exemple sur Vittoria et cesse de jacasser.

Il pointa la vampire du doigt. Elle semblait apprécier de s’entraîner avec des partenaires prestigieux et elle était déterminée, envahie d’une soif de vengeance légitime. Elle n’avait jamais contredit Frasca et Alberto ni même haussé la voix envers Sid et Shadow. Frasca ricana :

– Il fait jeu égal avec moi, et ça depuis le début. Faire jeu égal, c’est prendre le risque que l’affrontement se joue sur la chance ou les circonstances… du moins c’est ce qu’on apprenait aux sorcières guerrières et même si je n’approuve pas tout ce qui se disait à Treghia, je pense que pour le coup, elles avaient raison. Sid rivalise avec moi parce que je retiens mes coups. J’ai participé à de nombreux combats aux côtés de Sangue et Malissia et j’ai affronté les pires adversaires possibles. Je pense, sans trop m’avancer, que je suis une des cinq personnes les plus fortes de l’histoire en excluant les Anges Noirs, et encore, il n’y a que ma sœur qui était plus puissante que moi parmi ceux que j’ai connus.

Alberto dit sur le ton de la discussion, comme s’il était seul avec Frasca:

– Voyons, voyons, les cinq, tu dis ? Premièrement, il y a moi, bien évidemment. Lino, même s’il n’était pas vraiment un guerrier, il tirait sa puissance de son influence et ses alliés. D’ailleurs, je suis très content qu’il ne t’ait jamais blairée, même après mon départ. Par contre son frère, tu m’étonnes qu’il se soit fait tailler en pièces s’il se laissait influencer par une sorcière. Donc ça fait déjà deux personnes – deux vampires, je précise – qui sont ou ont été plus forts et puissants que toi. Bien qu’il n’était pas un grand amateur de combat, si je me souviens bien, Lino t’a battue plus d’une fois en duel. Enfin bref, il y a aussi Zjök, Erra et Pjefä, la reine des elfes dont Lino s’était amouraché. Non, Frasca, tu fais partie des dix et tu es la première sorcière de ce classement en dehors de Rania, et nous savons tous les deux qu’elle est hors catégorie. Par contre concernant les Protettori, je veux bien croire que tu aies pu vaincre Vilius après l’avoir pourri avec ta mauvaise influence. Nox aussi, mais lui, malgré son sang de dragon, c’était un intellectuel plus qu’un guerrier ou un homme d’influence, c’est pour ça qu’il déléguait tout à Lino. Ce bon vieux Nox aurait préféré passer sa vie dans le Havre des Dragons à peindre ou à chanter plutôt que de veiller sur la Vallée. Je le comprends, moi non plus je n’aurais pas aimé qu’on me remette une communauté nocturne sur la paille et traumatisée par les guerres de Salvatore. En parlant de lui, tu l’as connu ?

Frasca semblait vexée par les mots d’Alberto, mais sûrement consciente que c’était le but du vampire, elle fit comme si elle n’avait rien entendu :

– Salvatore ? Bien sûr. Sa légende est très exagérée, je trouve. Je n’ai jamais eu l’occasion de me battre avec lui et en y réfléchissant, je ne regrette pas. Je sais que tu ne l’aimes pas, et moi non plus, pour d’autres raisons. Moins on me parle de lui, moins j’ai affaire avec lui, mieux je me porte.

Alberto eut un sourire en coin, comme s’il avait compris quelque chose que seul lui pouvait percevoir. Il reprit sa discussion avec Sid :

– Tu veux être dispensé de combat ? Tu veux passer à la phase deux de mon entraînement ? Fous-moi Frasca au tapis et sois le digne descendant de Lino !

La sorcière lança un regard noir à Alberto comme si l’inimitié entre elle et Lino était quelque chose la dérangeant. Elle tourna les yeux vers Jester et demanda :

– Tu veux tenter le coup ? Je t’avertis, si je te casse un bras, je n’aurais aucun remord.

« Si tu es si bon que ça, pourquoi la sorcière ne s’est jamais retrouvée le cul par terre ? »

 

Shadow qui observait la scène en silence, assise sur un banc de la salle d’entraînement, se leva et prit son épée.

– Si tu te dégonfles, j’affronterai la sorcière, dit-elle à Sid.

Elle semblait être de l’avis de l’Ange Noir, concernant l’entraînement. Vittoria observait la scène en silence. Les deux jeunes Protettori regardaient leurs entraîneurs. Jester dit sèchement à Felicia :

– Je me charge d’elle.

Frasca haussa les épaules. Sidney attendait qu’elle aille chercher son bouclier et son épée posés à l’autre bout de la pièce, mais elle n’en fit rien. Elle grogna :

– J’attends.

Sid attaqua alors la sorcière désarmée. Mais d’un geste brusque, elle s’écarta et roula jusqu’à un long bâton traînant dans un coin. Jester chargea à nouveau et Frasca dévia l’épée avec le bâton avant de frapper Sidney dans le dos. Elle esquiva l’attaque suivante, puis celle qui vint après. Elle finit, à force de se déplacer pour éviter les charges de l’Ange Noir, par se trouver à proximité de son bouclier et de son épée blanche qu’elle saisit en lançant le bâton au visage de Shadow :

– Je m’ennuie, essayez à deux !

La dragonne ne se fit pas prier. Elle et Sidney chargèrent Frasca, tentèrent de la frapper, mais leurs épées se fracassaient sur le bouclier de la sorcière ou se perdaient dans le vide laissé par les esquives de Frasca. Ce jeu dura une bonne vingtaine de minutes avant que Frasca ne tende un croche-patte à Sidney en assommant Shadow avec son bouclier, le tout dans la même passe. Elle posa son pied sur le torse de Jester et pointa son épée sur la gorge de Felicia.

– C’était plein de bonnes intentions, mais beaucoup trop facile avec l’aide d’Alberto.

Le vampire ne semblait pas avoir bougé. Il ricana :

– Ils sont prêts. Je voulais juste que vous preniez une petite leçon d’humilité. Sid aurait pu battre Frasca seul, si je ne m’amusais pas à dévier son épée grâce à la danse invisible. S’il avait réfléchi, il aurait sûrement cherché à l’utiliser.

Jester, vexé de s’être fait avoir comme un débutant, se releva en fulminant. Son ancêtre ajouta :

– De même que si Shadow avait utilisé ses pouvoirs de dragon, vous auriez pu me griller.

– Je n’allais pas utiliser mon feu contre quelqu’un n’ayant pas ses propres pouvoirs, dit sèchement Shadow.

Sid ajouta :

– De plus, c’était un combat à l’épée, je pensais que ce ne serait pas loyal de prendre Frasca en traître en usant des capacités des vampires.

Alberto soupira :

– Trop honnêtes. Dans un combat contre un adversaire comme Giacco, cela pourrait vous perdre. Mais j’ai vu de bonnes choses. Il vous faut maintenant sortir de la routine des combats singuliers et vous lancer dans de vraies batailles où vous risquez votre vie. Shadow, ce soir tu iras traquer les vampires qui surveillent le fort avec Frasca. Sidney, j’ai une mission pour toi. Il est temps de rendre la monnaie de sa pièce à Giacco. Je vais t’indiquer une planque où vivent une dizaine de vampires et tu vas la nettoyer, tout seul, comme un grand, sans que je sois là pour te sauver. Il faut que tu répondes aux provocations des traîtres.

« Je m’ennuie, essayez à deux ! »

 

Frasca tapa sur l’épaule de Shadow :

– Je vais te montrer comment on tue un vampire. J’ai eu affaire à eux quand ma sœur a quitté la Vallée et que j’assurais l’intérim. Quand on a une condition physique comme la tienne, des petits vampires sans envergures sont des adversaires très peu intimidants.

Alberto ajouta :

– Je sais que vous ne vous en rendez pas encore compte, parce que vous n’avez pas de point de comparaison, mais vous vous battez bien mieux que quand vous êtes arrivés. Vos entraînements avec Zjök et l’Ancien n’étaient que des bases, ici vous avez pu perfectionner votre technique. C’était la raison de la présence de Frasca, vous avez eu des adversaires guerriers et avec des styles différents. C’est en se frottant aux meilleurs que l’on s’améliore. Zjök se fait vieux et l’Ancien est un simple mortel, leurs exercices étaient gentillets. Ce soir, vous allez vous confronter à des adversaires hostiles et plus intelligents que des trolls et je vous demande d’user de toutes vos capacités, draconiques, vampiriques ou angéliques.

Vittoria sortit de son mutisme :

– Et moi ?

Alberto se tourna vers elle :

– Tu as aussi fait de grands progrès. Mais il faut que tu apprennes à être une cheffe de clan et à seconder Sid dans sa tâche de diriger les vampires. Tu vas rester avec moi et nous allons parler des loyalistes et de comment nous allons les unir sous la bannière du véritable Conseil des Six, et tu vas m’assister dans mes recherches. Le papier que Sid t’a confié à Spadina contient des informations cruciale pour notre peuple et je vais utiliser ces informations pour faire des expériences. Comme tu es avocate, tu pourras aussi participer à la création de lois régissant notre peuple.

La jeune vampire s’exclama :

– Je veux aussi me battre ! Les lois, les recherches, les loyalistes, je peux m’en charger tout le temps, mais là, ils partent tous traquer les meurtriers de ma famille et moi je dois rester ici.

Frasca proposa :

– Je suis d’accord sur le fait qu’il est temps que Sid apprenne à se débrouiller seul et je pense qu’il est capable de régler son compte à un groupe de vampires. Si Vittoria veut se battre aussi, elle peut venir avec Shadow et moi. Toi, pendant ce temps, tu peux réfléchir à ton Laser de la Mort ou à un médicament pour Sid.

« C’est en se frottant aux meilleurs que l’on s’améliore. Zjök se fait vieux et l’Ancien est un simple mortel, leurs exercices étaient gentillets. »

 

Alberto acquiesça. Il avait installé un grand laboratoire dans une pièce du troisième niveau, où lui et Sid poursuivaient les recherches de Lino sur le Venin. Ils n’avaient pas beaucoup avancé, par manque de moyen d’expérimenter le résultat de leurs recherches. Ils avaient besoin de matériaux humains pour voir comment le sang réagissait au Venin. Ils ne voulaient pas expérimenter sur des personnes vivantes, ils avaient envisagé de prélever du sang chez des volontaires. Ils avaient essayer d’injecter leur formule dans des rats, cependant après que leurs deux premiers cobayes soient devenu fous, ils avaient renoncé. Alberto pensait qu’ils avaient bel et bien synthétisé du Venin, mais dans sa forme originale, comprenant les risques d’effets indésirables. Ils avaient tu leurs recherches aux autres, prétextant travailler sur un remède aux crises d’angoisse de Sidney, même si celui-ci allait mieux. Camilo lui avait offert un thé relaxant qu’il prenait quand il sentait que ses nerfs allaient être mis à rude épreuve. C’était justement ce qu’il préparait dans la cuisine se trouvant au second sous-sol, afin d’être calme avant d’aller attaquer la planque des hommes de Giacco. Alberto le rejoignit :

– Je suis désolé de ma facétie de toute à l’heure, mais une petite leçon de modestie ne fait de mal à personne.

Sid était toujours frustré par l’intervention d’Alberto pendant son combat contre Frasca. Il huma le thé infusant dans l’eau chaude et grogna :

– Je commence à m’habituer à tes coups fourrés, mais là, tu as fait fort.

Le vampire renifla le thé et dit :

– Ce Vallese est bien plus malin que ses ancêtres, ce breuvage est apaisant rien qu’à l’odeur.

Sid s’assit à la petite table se trouvant dans la pièce aux murs de pierres. Il dit :

– Ne change pas de sujet. Si je suis le chef du Conseil des Six, tu me dois obéissance. Je ne suis pas un tyran, je crains qu’un jour tu me fasses un sale coup dans ce genre d’ampleur plus importante. Je te demande donc de me promettre de ne plus jamais me faire de coup fourré de n’importe quel genre.

L’ancien chef du Conseil répondit d’un ton sincère qui tranchait avec son ton habituel :

– Promis, chef. Je ne souhaite pas te nuire.

Sid hocha la tête. Il posa une question qui le perturbait depuis son face-à-face avec le Conseil de Giacco :

– L’autre jour, les vampires étaient six, pourtant tu as tué Lunascura. Ils l’avaient déjà remplacé ?

– Non, expliqua Alberto, Enzo et Humberto dirigeaient leur clan à deux, avant que tu ne tues Humberto. Ils sont jumeaux et leur père, Mario, ayant suivi Giacco, les nomma tous les deux à la tête du clan pour éviter un conflit au sein de la rébellion, d’après ce que m’a raconté Vilius. Dans mes souvenirs, Mario était un vieil aigri belliqueux, d’où son choix de suivre Giacco. Ses fils vivaient avec nous au Fort, mais sérieusement, je ne les ai jamais trouvé très malins, ils sont du même bois que Lunascura : arrogants, fourbes et sans honneur. Il faut que tu saches que les cinq chefs de clan restant sont des meurtriers, des enfoirés, même Wanda, qui nous rendra visite un de ces jours. C’est elle la Borgne dont Vilius a parlé. Rino Luzzianese est un buffle, tout en muscles, capable de briser un crâne à mains nues, ce qui compense le fait que, vu qu’il n’était pas chef de clan légitime, il ne possède pas la Majesté des Chefs. Gina Nosferi est une sadique et je suis surpris que Mauro ait préféré rejoindre les loyalistes, car ce gamin était toujours fourré avec sa mère et avec Giacco, heureusement Vittoria est différente. Pour ce qui est de Wanda, c’est une sympathisante de notre cause, mais elle ne rechigne pas devant un bon verre de sang humain.

Alberto soulevait une question importante : le sang humain. Sid lui demanda :

– Et toi, tu as bu le sang des exorcistes quand on s’est rencontré, tu arriverais à t’en passer ?

– Bien sûr, et pour être honnête, je n’ai jamais aimé l’hémoglobine mortel, la seule que je pourrais boire sans discontinuer serait le sang de sorcière.

Il eut un rictus moqueur. Sid comprit qu’il plaisantait, bien que l’humour fusse particulièrement morbide. Alberto expliqua que la soif de sang était une conséquence direct du Venin et que, sous son règne, beaucoup de vampires avaient renoncé à celui-ci, par éthique. Il supposait même qu’avec le temps, les nouvelles générations de vampires avaient vu cette soif diminuer au point de disparaître, Vittoria ne semblant pas friande d’hémoglobine. Puis il indiqua sur une carte à Sid l’emplacement de la planque que l’Ange Noir devait attaquer. C’était une petite masure au nord de Bialvo où un groupe de vampires surveillait le vin de Giacco. Jester n’aimait pas l’idée d’attaquer de simples gardes, peut-être obéissaient-ils par peur. Alberto le rassura :

– J’ai mené mon enquête, ce sont eux qui ont attaqué des mortels à Bialvo, le soir de ton retour. Et si ça peut te rendre la conscience tranquille, sache que ceux qui n’osent pas contredire Giacco et qui sont de son côté par crainte vont s’enfuir en apprenant que le vrai chef du Conseil des Six entre en guerre. Ils vont venir ici à Fort Cuoresanguinoso car ils savent sûrement que c’est l’endroit le plus sûr pour des vampires n’approuvant pas mon fils aîné. Il faut donc que tu frappes assez fort pour que ça résonne dans le cœur de ceux qui veulent un peuple libre et vivant en harmonie avec les autres peuples.

Jester alla se préparer. Alors qu’il mettait ses lames rétractiles, Vittoria le rejoignit dans sa chambre. Elle s’assit à côté de lui sur le lit qui jadis appartenait à Lino :

– La guerre va reprendre, soupira-t-elle.

Sid répondit :

– Arrangeons-nous pour qu’elle soit la plus courte possible. Que puis-je faire pour t’aider ?

Vittoria regardait dans le vide, elle semblait troublée. Elle dit :

– Je voulais juste être avec quelqu’un comme moi, avant d’aller nettoyer les environs du Fort avec la sorcière et la dragonne. Tu sais à quel point on peut être fragile à l’intérieur et là, je me sens comme lors de mon burnout: vide, épuisée et effrayée à l’idée que cet état soit permanent. Je me demande comment tu fais, tu n’as pas l’air d’avoir peur, alors que cette fois tu n’auras personne pour te venir en aide s’il t’arrive quelque chose.

Jester serra les sangles de ses lames en silence. Il laça ses chaussures piégées et enfila son manteau noir de Protettore. Il se tourna vers Vittoria :

– Moi aussi, je me le demande. Je me demande pourquoi je fais ça, je n’ai jamais voulu être chef des vampires, je n’ai jamais voulu être un héros. Mais je le suis par la force des choses, c’est notamment ça qui m’a fait sombrer. J’avais l’impression de ne pas pouvoir être celui que je veux. Si j’avais eu le choix, je serais informaticien, ingénieur ou bien chimiste. Cependant, depuis mon retour, je me rends compte qu’ici je suis chez moi, il y a mes amis, ma maison, mon monde. Je pourrais me contenter de laisser Shadow régler les problèmes – elle y tient tant et elle en a les capacités – et être un Ange Noir savant comme Lunos, mais ce n’est pas ce que je veux. Je veux une Vallée où mes amis sont heureux et peuvent vivre en paix sans craindre les horreurs cachées dans les bois, je veux un peuple de vampires qui montre au reste de la Vallée qu’ils ne sont pas des monstres et des abominations. Je ne suis plus un héros par la force des choses, je serai un héros parce que j’ai choisi de l’être.

La jeune vampire le prit dans ses bras, en larmes. Sidney la rassura et partit, la laissant avec Frasca et Shadow, s’armant pour leur patrouille. L’Ange Noir descendit à Spadina et monta sur l’Arlecchina. Il fila en direction de Bialvo. En roulant, il remarqua de la lumière à l’orée de la forêt et vit une maison correspondant à la description d’Alberto. Il laissa sa moto au bord du chemin et s’approcha furtivement de la maisonnette. Il se glissa sous la fenêtre. Un vampire demandait à un autre :

– Tu es un Lunascura, dans quel clan on t’a casé maintenant ?

L’autre avait une voix traînante :

– Je suis passé sous les ordres de Gina. Je n’ai jamais réussi à la sentir cette salope, mais quand Giacco décide d’un truc vaut mieux ne pas le contredire. Bon, j’ai connu l’époque où Alberto dirigeait et Giacco est bien moins pompeux que lui. Il ne se soumet pas à l’Ange Noir, si on veut du sang, on boit du sang. Tu ne demandes pas au Loup-Garou de manger de la salade. Nous sommes les chasseurs, les autres sont les proies, c’est la loi de la nature.

Un troisième vampire ricana :

– En parlant de l’Ange Noir, vous saviez qu’il a disparu depuis la mise à mort des loyalistes ? Il a piqué une grosse colère, tué Humberto et ensuite, il a déguerpi après s’être fait tabassé par Giacco.

Sid se mordit la lèvre. C’était Giacco qui avait fui, pas lui. Il sentait la colère monter en lui. Il était cependant curieux de savoir de quoi pouvaient parler les vampires de Giacco durant leur temps libre. Le premier vampire ricana :

– Ah oui, ce Jester ? Il est sorti du même moule que son ancêtre : c’est une gonzesse. Je suis surpris qu’il ait eu le cran de tuer Humberto.

Une femme répliqua :

– Ne nous mets pas dans le même panier que la lignée de Lino. Tu insultes les femmes en disant ça. Non, c’est un bébé qui pleure dès que la lumière est éteinte, pas une gonzesse.

« Je ne suis plus un héros par la force des choses, je serai un héros parce que j’ai choisi de l’être. »

 

Une dizaine de rires s’élevèrent de la bâtisse. Sid aurait voulu attaquer dès qu’il s’était fait insulter, mais durant son entraînement, Frasca et Alberto lui avaient fait remarquer qu’il était trop impulsif et attaquait souvent trop vite sans plan bien défini ou sans certitude. Il réfléchit tout en écoutant les discussions des vampires :

– Lino était un bon stratège, dit l’un des vampires. Sans lui, nous n’aurions peut-être jamais gagné la bataille de la Stregarossa contre les sorcières.

– Tu dis n’importe quoi, Pepe, fit celui qui avait parlé d’Alberto, Lino était trop occupé à s’assurer que les elfes et les mortels ne se retrouvent pas entre vampires et sorcières. C’est Giacco qui a mené nos troupes et contraint les sorcières à fuir. Je me souviens encore de la tronche de la reine Vallena quand Alberto lui a fait signer un traité de paix la forçant à payer des dommages et intérêts.

Une des femmes, plus jeune que la première à avoir pris la parole au son de sa voix, demanda :

– C’est vrai qu’à la Stregarossa, les sorcières se sont mises à rater des sorts de feu et se sont faites exploser toutes seules ?

Celui qui avait parlé de l’implication de Lino s’indigna :

– Bien sûr que non, elles étaient connes mais pas à ce point ! Selon certains, Lino avait inventé des canons, d’autres disent qu’il avait fait appel aux elfes et à leurs talents de canonniers, quoi qu’il en soit, il a fait bombarder les troupes de Treghia qui étaient bien supérieures en nombre !

Le vampire l’ayant contredit s’agaça :

– Je sais que tu étais à la Stregarossa, Pepe. Moi aussi. Si tu remets en question l’histoire de notre peuple en honorant un incapable enfariné d’ambassadeur, il vaut mieux que je te tue tout de suite.

Il y eut un coup de feu suivi du bruit sourd d’un corps s’effondrant sur le sol. Cet acte, que Sid pouvait deviner sans l’avoir vu, mit l’Ange Noir en colère. C’était donc ainsi que Giacco gardait ses fidèles, à force de propagande ? Il allait voir ce dont Jester était capable. Sid siffla depuis le rebord de la fenêtre. Le vampire qui avait l’air d’être le chef ordonna :

– Donni, va voir vers la fenêtre, j’ai entendu un bruit.

Un vampire s’approcha et quand il se pencha pour regarder à la fenêtre, Sid l’attrapa et le plaqua au sol, avant de lui planter une de ses lames rétractiles dans le cœur. Le Protettore contourna la maison alors que les vampires accouraient vers le dénommé Donni, gisant à terre. Il entra dans la seule et unique pièce où étaient entreposés une quinzaine de tonneaux. Les neuf vampires restants étaient penchés à la fenêtre où Sid se tenait auparavant, tournant le dos à l’Ange Noir. Le corps de Pepe, celui qui avait pris la défense de Lino, traînait par terre dans une flaque de sang. Celui qui dirigeait le groupe s’exclama :

– Qui a tué Donni ?

– On ne sait pas, Gondolfo, dit une des femmes, c’est peut-être l’Ange Noir.

– Ou bien des loyalistes, fit un homme de petite taille. Je pensais pourtant que le petit spectacle de Spadina leur avait servi de leçon.

Gondolfo pesta :

– Vous êtes aussi crétins les uns que les autres, les loyalistes se cachent depuis longtemps et Jester est un pleutre !

« Si tu remets en question l’histoire de notre peuple en honorant un incapable enfariné d’ambassadeur, il vaut mieux que je te tue tout de suite. »

 

Sid fonça dans son dos et planta une de ses lames dans sa nuque. Le vampire tomba comme une planche sur le sol. Sid usa de la danse invisible pour dégainer son épée et frapper deux vampires. Le temps reprenant son cours, il envoya un vampire contre un mur d’un coup de pied, il enfonça la tête d’un autre dans un tonneau. Il les sentait, ces journées de combats, il avait plus de force, plus d’agilité et de réflexes. Les vampires ne semblaient pas assez forts pour lui résister, ses coups leur brisant les os, sa lame vive et plus affûtée trouvant toujours sa cible. Une vampire voulut le prendre en traître en le frappant dans le dos, Sid se libéra du temps et lui trancha la gorge. Il sortit son pistolet et tira sur deux autres ennemis. Il tua tous les vampires sauf un, qui tenta de s’échapper, mais le Protettore s’écria :

Spider Sword !

Un filet de lumière surgit de la lame de son épée et s’enroula autour des jambes du fuyard qui s’effondra sur le chemin. Sid s’approcha de lui et s’accroupit pour lui parler :

– Écoute-moi bien, tu vas aller raconter à Giacco tout ce qui s’est passé. Que c’est moi qui ai mis en pièces tes petits copains. Et tu lui porteras le message suivant : je suis le chef du Conseil des Six et s’il pense le contraire, tant pis pour lui. Pour ce qui est des misérables dans ton genre, vous avez encore le temps de vous enfuir ou de me rejoindre, fais passer le mot ! Quand je frapperai les catacombes, je ne ferai pas de prisonniers.

Sid pointa son épée sur le torse du fuyard et dit :

Blood Ink.

Des mots se taillèrent dans la peau du vampire, déchirant ses vêtements. On pouvait y lire :

 

Fuyez ou mourez

 

Jester n’aimait pas user de la menace ou de la peur, or cela semblait être le seul langage que les vampires de Giacco comprenaient. Il avait espoir que certains vampires terrés dans les catacombes, effrayés par l’aîné des Cuoresanguinoso soient tentés de se joindre à lui. Il libéra le vampire et le regarda fuir sans demander son reste. Sid regarda la maisonnette et se dit que Giacco risquait de remettre une garnison à cet endroit. Alberto, grand amateur de vin vampire, ne lui pardonnerait pas son acte, Sidney lança des épées de feu sur la maison et l’incendia. Il dessina avec les flammes un cœur transpercé sur l’herbe. Comme les autres membres de son clan, il signait son acte. Il regarda la bâtisse de pierres brûler et monta sur son Arlecchina pour retourner au Fort.

« Pour ce qui est des misérables dans ton genre, vous avez encore le temps de vous enfuir ou de me rejoindre, fais passer le mot ! Quand je frapperai les catacombes, je ne ferai pas de prisonniers. »

 

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