Chapitre 13

Après l’intronisation de Vittoria, Alberto envoya les deux jeunes chefs de clan chez eux, content d’avoir pu enseigné les deux armes des vampires de sang noble rapidement. Il leur conseilla de s’entraîner à se concentrer sur la danse invisible, rappelant qu’un vampire se libérant du temps plus longtemps qu’un autre pouvait faire subir les dégâts de cette technique à un autre vampire de rang noble. Il donna également à Jester un double de la clé de Fort Cuoresanguinoso. Il faisait encore nuit noire et sur le trajet, Vittoria et Sidney purent faire connaissance. Ils parlaient les mêmes langues et appréciaient tous les deux les mêmes choses. Vittoria apprit aussi à Sid que sa mère était une mortelle, décédée quelques années plus tôt d’un cancer, mais que le sang noble avait besoin de plusieurs générations pour se tarir. Jester faillit lui proposer de l’accompagner à la Croce Nera, mais il se souvint que les loyalistes cachés parmi les mortels essayaient de se faire les plus discrets possibles. Il ne voulait quand même pas la laisser repartir seule chez elle. Il lui proposa de la conduire à Spadina en moto. Vittoria accepta. Quand Sidney dit qu’il comptait se coucher en rentrant chez lui, la jeune vampire lui dit :

– Dormir ? Toi ? Mais tu es l’Ange Noir, tu es censé vivre la nuit !

Sidney réalisa l’incongruité de la situation. Pendant cinq ans, il avait eu un rythme de vie normal, mais dans la Vallée, il pouvait se passer des choses à toute heure et il devait pouvoir les gérer en toutes circonstances. L’Ange Noir se promit de faire une cure de café et de boissons énergisantes afin de réhabituer son corps au rythme de vie du Val Nessona. Il sentit une certaine culpabilité de ne pas s’en être rendu compte les semaines précédentes. Il tenta de faire bonne figure :

– Oui, mais demain je vais m’entraîner avec Alberto, Frasca et Shadow, il faut que je sois en forme.

Vittoria prit le casque qu’Alberto avait mis plus tôt dans la soirée et que Sid lui tendait, elle demanda :

– Tu vas t’entraîner avec une sorcière et la fille qui a tenté de prendre ta place, mon grand-père t’assommerait pour ça. Mon père est un homme très posé et discret, mais mon grand-père serait capable de hurler à la mobilisation des loyalistes depuis le toit de l’église de Spadina. C’est un fervent défenseur de la cause, mon père doit calmer ses ardeurs pour éviter que les vampires de Giacco ne nous tombent dessus. J’imaginais qu’à mon retour à la fin de mes études, il y a quelques mois, il se serait apaisé, mais il est toujours le même vieux grognard qu’avant mon départ.

– Je vais m’entraîner avec une amie et une jeune femme désireuse de m’aider, corrigea Sid. Je n’ai pas beaucoup d’alliés pour le moment, toute aide est bonne à prendre.

« Dormir ? Toi ? Mais tu es l’Ange Noir, tu es censé vivre la nuit ! »

 

Vittoria dit à travers la radio de son casque :

– Je n’ai rien contre les sorcières ou contre celle qui se fait appeler Shadow. Mais beaucoup de loyalistes seront récalcitrants à l’idée de collaborer avec Frasca, elle a une réputation de sorcière tueuse de vampires.

– Vraiment ? Je sais qu’elle ne les aime pas, mais je ne pensais pas qu’elle serait capable de tuer juste parce que ce sont des vampires.

– Ce sont des racontars, beaucoup de ceux qui disent ça sont de vieux fous qui cherchent des histoires pour effrayer les plus jeunes vampires, si tu veux mon avis. J’ai vu Frasca dans la Vallée quelques fois, je ne pense pas que ce soit une psychopathe comme Giacco ou même une meurtrière.

Sid lança l’Arlecchina sur la route en direction de Spadina. Durant le trajet, Vittoria demanda :

– C’est vrai ce qu’on raconte ? Tu as disparu pendant cinq ans sans laisser de traces ?

Sid dit, gêné :

– Tu ne le savais pas ?

– Non, pour dire vrai, nous n’entendions que des rumeurs à ton sujet. Nous les transmettions parfois aux loyalistes. Pour certains, tu es parti t’entraîner en Écosse auprès de Lino en personne, pour d’autres, tu as pris la fuite. Quelques personnes ont supposé que tu étais mort et il y avait ceux qui pensaient que tu étais toujours là.

Jester dit avec calme et assurance :

– Je ne devais partir à Lausanne, ma ville natale, qu’une année, et des problèmes de santé m’ont retenu pendant quatre ans. J’ai fait une grave dépression due entre autres au poids qui repose sur mes épaules d’Ange Noir. Je ne connaissais que vaguement l’histoire de Lino avant mon retour ici, il y a quelques semaines. Par contre, je suis allé en Écosse et je peux t’assurer qu’il est bien mort, noyé dans le Loch voisin de son manoir. Que je n’ai malheureusement pas pu voir, je n’ai vu que sa tombe.

Vittoria ricana sans méchanceté :

– Vu ce que les vieux disent à son sujet, c’est une mort un peu pathétique.

– Je suis d’accord.

– J’ai fait un burnout durant mes études, dit la jeune fille, je devine que ton séjour à Lausanne n’a pas du être facile.

– Le plus dur, c’était de me dire que quand je reviendrais, les gens ne comprendraient pas. Ce n’est pas banal, ce genre de souci, parmi les habitants de la nuit, encore moins pour un Protettore.

Vittoria rit :

– Mon grand-père me disait au téléphone qu’une vampire ne pouvait pas être au bout du rouleau, que c’était physiquement impossible, que les burnouts n’étaient qu’une légende pour dissuader les gens de vivre parmi les mortels hors de la Vallée.

Ils passèrent sur le Ponte Minore et foncèrent vers Spadina. À l’entrée du village, Sid vit un homme à l’âge indéterminable s’arrêter sur le bord de la route à la vue de la moto déchirant la nuit. Son regard croisa celui du Protettore pendant une fraction de seconde qui sembla durer des heures. Sid put voir un visage blême encadré par des cheveux sombres et gras. Un faciès sans expression, sans émotion, le regard comme perdu dans la nuit. Jester se sentit soudain mal à l’aise, il avait presque pitié de l’homme qui semblait égaré, comme ne sachant pas où aller, cependant, il sentit aussi une grande peur monter en lui, ce personnage semblait presque irréel, mais terriblement malsain.

– Il y a le feu! hurla Vittoria.

Une maison brûlait au cœur du village. Sidney vit deux hommes en armure tenter de gérer les habitants paniqués du village. Il reconnut Ettorio et son fils Marco, les principaux membres de la Garde Nessonienne. La passagère de Sid bégaya :

– C’est chez moi ! L’incendie !

Sid freina brusquement devant la maison en flamme. Ettorio, dont la grosse barbe dépassait de son casque de garde, s’exclama :

– Pour une fois, un Protettore est là avant le matin !

Sid retira son casque de moto. Le garde ajouta :

– Je m’attendais presque à voir Mirelli. Quelle bonne surprise, Jester !

Marco accourut :

– Il faut que vous veniez voir dans le jardin, j’ai trouvé quelque chose.

Sidney, devinant que la découverte de Marco n’était pas des plus joyeuses, ordonna à Vittoria :

– Reste ici !

Il se précipita à la suite des deux gardes. En courant, il demanda à Ettorio :

– Il n’y a que vous ?

– Les derniers membres de la Garde nous ont quittés, lassés, dit gravement le chef de la Garde Nessonienne. Il ne reste que Marco et moi.

– Je suis désolé, dit Jester, c’est en partie de ma faute.

– Ne t’excuse pas, petit! Tu n’es pas le premier Ange Noir à s’accorder un congé sabbatique et certainement pas le dernier, grogna Ettorio sous son casque d’acier.

Ils arrivèrent dans le grand jardin de la famille de Vittoria où se dressaient de nombreux arbres.

« Sid put voir un visage blême encadré par des cheveux sombres et gras. Un faciès sans expression, sans émotion, le regard comme perdu dans la nuit. »

 

Ce que Sidney découvrit fut la pire vision de sa vie. Il pensait qu’il ne pouvait pas y avoir plus horrible que la tuerie de Pordio, mais il déchanta en voyant la mise en scène macabre qui s’étendait devant ses yeux : une vingtaine de corps, pendus aux arbres. Leurs cœurs gisaient sous leurs pieds. En lettres rouges, sur l’herbe, avait été écrit un nouveau message en lettres sanglantes :

Guerre ouverte,

mort à l’Ecossais !

Il reconnut Claudio et un homme d’une cinquantaine d’années au même nez pointu que Vittoria, qui devait être son grand-père. Il entendit un cri mêlant rage et sanglots, derrière lui. La nouvelle cheffe du clan Nosferi l’avait suivi et venait de découvrir sa famille morte. Elle cria :

– Tu me le paieras, traître !

Sid accourut pour la soutenir, elle parvint à articuler :

– Ce sont tous les loyalistes s’étant mêlés à la population mortelle. Giacco devait nous surveiller depuis des années, attendant juste le moment pour nous exécuter.

Marco vint vers les deux chefs de clan :

– Qui est-ce ?

– C’est la fille des propriétaires de la maison, dit gravement Sidney.

Marco était un jeune homme de l’âge du Protettore. Blond, bien bâti et volontaire, beaucoup disaient qu’il aurait fait un bien meilleur Ange Noir que Sidney. Mais par respect ,ou parce que le poste ne l’intéressait guère, Marco n’avait jamais fait attention à ces remarques, prenant souvent la défense de Jester devant ses détracteurs.

– A-t-elle un endroit où aller ?

Le jeune garde essayait de toute évidence d’être réconfortant, mais même lui, connu pour son calme et sa sérénité, semblait choqué par les cadavres se balançant lentement au rythme du vent.

– Elle va venir avec moi, dit sèchement Sid.

Il sentait monter en lui une rage folle, une colère sans limite envers le responsable de ce nouveau massacre. Il sentit l’énergie sortir de son corps et un vent froid se lever.

« Tu me le paieras, traître ! »

 

Il pensa à l’homme qu’il avait vu quelques instants plus tôt. Il songea à cette sensation dérangeante que son regard lui avait inspiré. Sid n’en avait aucun doute : il avait croisé le regard de Giacco Cuoresanguinoso. Il dit à Marco :

– Tout ceci dépasse la Garde. Je vais m’en charger. Le responsable paiera, je le jure. Vittoria, tu peux te lever ?

La jeune vampire se leva. Sid se calma et dit :

– Si tu souhaites quitter la Vallée, je le comprendrai.

Vittoria s’écria :

– Et déshonorer la mémoire de ma famille et de mes amis ? Non, je suis une de tes chefs de clan ! Le traître doit mourir ! J’ai voulu être avocate pour que justice soit faite, parce que j’ai grandi avec les récits des injustices commises par les traîtres de Giacco et maintenant que tu m’as choisie pour être une de tes lieutenantes, tu me proposes de partir ?! Je reste. Et je convaincrai l’armée de loyalistes cachée de te suivre même si je dois les torturer, leur arracher la langue pour qu’ils n’aient rien à redire !

Jester l’amena près de sa moto. Il expliqua calmement :

– Je voulais dire que je ne te forcerais pas à rester.

– Merci de ta compassion, mais ceux qui ont choisi de vivre cachés parmi les autres habitants connaissaient les risques qu’ils encouraient, et si leur mort contribue à la chute de Giacco, ce sera la meilleure manière de les honorer.

Sid lui tapa sur l’épaule le plus amicalement possible et sortit son téléphone abîmé de sa poche. Il appela Shadow :

– Felicia, tu es où ?

La voix de Shadow répondit :

– Chez moi, je me repose pour l’entraînement de demain, tu devrais en faire de même !

Sidney répliqua :

– On a un problème de vampire à Spadina. Giacco et ses hommes ont tué une vingtaine de personnes et incendié une maison. J’ai avec moi quelqu’un sur qui je dois veiller.

– Et tu es incapable de le faire toi-même ?

– Je dois partir, tu es la personne fiable la plus proche de Spadina. On risque de se croiser, j’ai repéré Giacco, il y a un peu moins d’un quart d’heure, il semblait se diriger dans la direction de Saffro.

– D’accord, je viens.

– Je vous rejoins une fois que j’ai eu une petite discussion avec mon « oncle ».

« Je convaincrai l’armée de loyalistes cachée de te suivre même si je dois les torturer, leur arracher la langue pour qu’ils n’aient rien à redire ! »

 

Sid raccrocha et appela Alberto :

– Alberto, ramène-toi à Spadina le plus vite possible! Va chercher Frasca à la Croce Nera ou chez elle! Elle a un double des clés de chez moi. Emmenez tout mon arsenal, les plans de Lino et surtout dépêchez-vous !

Il y eut un bruit de verre que l’on pose sur une table de bois recouverte d’alcool accumulé pendant des siècles de beuverie, le vampire se trouvait à la Croce Nera. Il dit :

– Je vais faire le plus rapidement possible. Frasca est à la Croce Nera, ça me fera gagner du temps.

Il raccrocha. Sid s’approcha de Vittoria debout à coté de sa moto. Il lui tendit les études sur le Venin. S’il rattrapait Giacco, il ne voulait pas prendre le risque que celui-ci ne récupère le travail de Lino.

– Garde ceci près de toi ! Shadow arrive pour garder un œil sur toi, dit-il.

La cheffe des Nosferi s’exclama :

– Et toi, où vas-tu ?

Sid enfila son casque et chevaucha son Arlecchina :

– Je vais dire deux mots au responsable de ce merdier.

Il fila en direction de Saffro avant même que Vittoria ne puisse dire quoi que ce soit. Il sentait une profonde colère l’envahir. Ces gens, ces vampires, vivaient paisiblement parmi les mortels, sans embêter personne, pas même Giacco. Claudio avait même l’air d’être quelqu’un de profondément bon et gentil. Il pensait aussi à Vittoria, désormais seule au monde. Il sentit son sang battre dans ses veines et lui monter à la tête. Sidney pouvait deviner que ses yeux avaient pris la teinte rouge de ceux des chefs de clan. Il croisa la moto de Shadow se rendant à Spadina à toute allure. Il traversa Saffro, continua sa route jusqu’à Bialvo, franchit le Pont d’Argent et Pordio avant de se retrouver à Capriggio. Sur le trajet entre son village et Spadina où il voulait retrouver Vittoria et Shadow, il aperçut un manteau de vampire volant au vent, accompagné par quelqu’un. Sidney s’attendait à retrouver Frasca et Alberto en route pour Spadina. Mais il y avait plus de deux personnes. Ils étaient six et ils s’étaient figé à cinq cent mètres de Jester. L’Ange Noir s’approcha. Il freina à dix mètre du rang formé par six vampires aux yeux rouges de colère, au centre duquel se trouvait l’homme qu’il avait vu à l’entrée de Spadina : Giacco. Sid descendit de sa moto et retira son casque, bouillonnant de rage et de satisfaction d’avoir retrouvé le meurtrier.

– Je te cherchais, enfoiré, hurla-t-il, je ne pensais pas avoir le plaisir de pouvoir me faire le Conseil des Traîtres en une fois.

Giacco fit craquer sa nuque. L’aîné des fils d’Alberto était voûté, comme incapable de se tenir droit. Il donnait l’impression d’être malade avec son visage émacié. On sentait la colère en lui, mais son visage semblait incapable d’exprimer la moindre émotion. Il dit d’une voix froide mais mielleuse, semblable à la caresse d’un sadique avant de frapper :

– Tu as fini de jouer avec tes couteaux, Bloodheart ? Tu ne pleures plus seul dans le noir ? Tu t’es trouvé un semblant de courage ou est-ce la folie du désespoir qui t’amène jusqu’à moi ?

« Je vais dire deux mots au responsable de ce merdier. »

 

Les cinq compagnons de Giacco se mirent à rire grassement. Il y avait deux femmes: La première au visage sombre et aux cheveux noirs attachés en chignon serré, ayant des traits communs avec Vittoria, qui devait être Gina Nosferi, et une autre plus petite aux cheveux courts, blancs comme la neige et portant une balafre sur l’oeil droit, mais qui semblait dans la force de l’âge, Sidney devina qu’il s’agissait de Wanda Nottebella, l’agent double des loyalistes. Les trois hommes les accompagnant étaient tous les trois grands: il y avait deux jumeaux se ressemblant en tout point si ce n’était une grosse moustache qui soulignait le nez de l’un d’entre eux et un monstre aussi large que haut. Jester grogna :

– Riez autant que vous le voulez, je vais vous faire payer un à un tout ce que vous avez fait depuis votre trahison !

L’homme à la moustache ricana :

– Venant de celui qui a abandonné la Vallée parce qu’il avait peur, c’est prétentieux.

Sid usa de la danse invisible, plus rien ne bougeait autour de lui sauf les chefs de clan qui tentaient de le contrer en se concentrant à leur tour. Le Protettore sortit son pistolet et tira dans la tête du moustachu. Il allait viser Giacco quand le temps reprit son cours pour lui, mais pas pour le chef des vampires qui le frappa au visage d’un coup de poing féroce avant de revenir à son point de départ. Le coup était puissant pour quelqu’un qui paraissait aussi chétif que Giacco. Sid vacilla mais ne tomba pas à la différence du moustachu qui chuta comme une planche, touché entre les deux yeux. Le jumeau de celui-ci dégagea un énergie puissante et imposante :

– Le petit merdeux ! Il a tué Humberto !

Sid dut se concentrer pour éviter la charge du chef de clan et lui asséner un coup de coude derrière la nuque. Giacco siffla :

– Enzo, cesse de te ridiculiser !

Après avoir juré et maudit Sid, le vampire retourna auprès de ses compagnons. Giacco grinça des dents :

– Tu ne comptes pas affronter le Conseil seul ? Tu bluffes. Tu es un simple avorton dont personne ne veut, tu es seul au monde. Je pourrais te briser, mais quel plaisir pourrais-je y prendre si personne n’est là pour te voir ?

Une voix de femme sortit d’un sentier rejoignant la route :

– Il n’est pas seul !

Frasca et Alberto surgirent de la forêt, armes dégainées. Le vampire portait un gros sac de sport, où devaient se trouver les armes, les livres et les vêtements de Sid. Alberto le laissa tomber sur le sol et tonna :

– Giacco, sale fils ingrat ! Tu oses t’en prendre au descendant de ton frère ?

Giacco fixait son père comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Aucune expression ne déformait son visage, Jester trouvait cela malsain et écœurant. Frasca dit sèchement à Sid :

– Remonte sur ta moto et fuis ! Tu n’es pas prêt à leur faire face !

Gina ricana :

– Frasca protégeant un vampire et se battant aux côtés d’Alberto. Les temps changent et pas pour le mieux.

Giacco siffla à son père :

– Un jour, nous nous expliquerons, père, mais pas aujourd’hui, j’ai tué mon quota de traîtres pour la nuit. J’espère que Bloodheart a apprécié l’œuvre d’art que j’ai faite pour lui.

Il fit un signe et le Conseil de Giacco usa de la danse invisible pour se disperser et s’enfuir dans la forêt alentour. Sid remit son casque et se concentra pour en percuter un ou deux avec l’Arlecchina mais il ne parvint qu’à sentir la cape d’un vampire lui passer sous le nez. Alberto et Frasca lui demandèrent un résumé de la soirée, ce qu’il fit brièvement. Il conclut :

– On se rend tous au Fort dès maintenant. Je passe récupérer Vittoria et Shadow à Spadina et on se retrouve à Fort Cuoresanguinoso !

« Tu ne comptes pas affronter le Conseil seul ? Tu bluffes. Tu es un simple avorton dont personne ne veut, tu es seul au monde. »

 

Il prit le sac qu’Alberto lui avait amené sur son dos et se rendit à Spadina. Le soleil pointait au sommet du Monte Fenicio quand il retrouva Vittoria et Shadow. Il laissa sa moto sur le parking de Spadina et amena les deux filles au Fort. Une fois dans les souterrains, Vittoria s’exclama du mieux qu’elle put, marquée par les événements de la nuit :

– Je découvre enfin le légendaire repaire de Lino ! Je suis triste que ce soit en de pareilles circonstances, mais il est magnifique !

Shadow grogna :

– C’est vrai que je ne m’attendais pas à pareil ouvrage.

Sid amena les filles dans une grande salle où était dressée une belle table. Quand Alberto lui avait fait visiter Fort Cuoresanguinoso pour la première fois, il lui avait expliqué que c’était la salle de réunion du Conseil des Six à l’époque. Jester alla chercher les clés des différentes ailes du Fort étaient rangées et en donna une à Vittoria. Il s’agenouilla devant elle et plongea ses yeux dans les siens en déposant les clés dans sa main. Des éclats de détresse brillaient dans le regard de la jeune vampire. Le Protettore lui dit gravement :

– J’aurais moi aussi préféré te montrer le Fort dans un contexte moins tragique, mais voici les clés de l’aile dédiée à ton clan. Tu es désormais chez toi, ici.

Vittoria referma la main sur les pièces de métal et dit durement :

– Ma maison est en flamme, ma famille est morte, mes amis aussi, pendant des années, nous étions surveillés sans le savoir, ce ne sont pas ces clés qui me feront me sentir mieux.

Sid hocha la tête et alla vers Shadow, laissant Vittoria seule. La dragonne le regarda et demanda :

– Ta nouvelle copine ? Frasca n’est pas trop jalouse ?

L’Ange Noir dit sèchement :

– Tu n’es pas obligée d’être méchante. C’est une loyaliste, une de mes cheffes de clan, la seule pour le moment. Je l’ai rencontrée cette nuit, ainsi que son père, une des victimes de ce soir. Alors s’il te plaît, garde ton cynisme pour toi pendant quelques temps.

Shadow grinça des dents :

– C’est juste que tu sembles proche d’elle, très proche pour quelqu’un qui l’a rencontrée il y a quelques heures seulement. Tu parais toujours proches des jolies filles, sauf de moi, évidemment.

Avant que Jester ne puisse interroger la jeune femme au sujet de sa dernière remarque, Alberto et Frasca déboulèrent dans la pièce. La sorcière s’assit sans dire un mot, elle semblait troublée par l’endroit où elle se trouvait. Alberto dit d’une voix forte :

– Nous avons de graves problèmes !

Shadow siffla :

– Je pensais que nous étions réunis parce que les licornes gambadent dans les champs sous les arcs-en-ciel ! Depuis le retour de Sidney, Giacco est déchaîné, il a tué un peu moins de quarante personnes en quelques semaines.

Alberto soupira :

– J’aurais préféré que mon fils occupe ses forces à surveiller le Fort, mais il a compris qu’en agissant de la sorte il avait un impact psychologique plus fort sur nous.

Sid dit :

– Je n’ai pas peur. Je suis en colère !

Alberto répliqua :

– Quand tu étais face au Conseil de Giacco, tu sentais la peur à plein nez. Tu as de la chance que Frasca et moi soyons arrivés ! Tu ne savais absolument pas ce que tu faisais ! Giacco sentait aussi ta peur. Sans nous, il aurait pu jouer avec toi jusqu’à demain et t’étriper sur la place publique avant de te dépecer et de se faire un manteau avec ta peau !

Le Protettore tenta de répondre, surpris d’avoir été cerné avec autant d’aisance :

– Mais…

Le vampire dit froidement :

– Tu as besoin de mon entraînement et il commence maintenant. Tu vas aller avec Shadow et Frasca t’entraîner dès que je vous aurais montré les pièces que j’ai aménagées à cet effet. Toi, ajouta-t-il à l’adresse de Vittoria avec plus de douceur, tu as quartier libre pendant l’entraînement des autres, je vais te montrer où tu peux trouver des livres pour t’occuper.

La jeune femme coupa :

– Je veux aussi m’entraîner avec eux. Je veux être capable de tuer les monstres qui m’ont mise dans cette situation.

– Tu n’en as pas besoin et leur entraînement est très avancé. Frasca est une sorcière combattante d’élite, elle se bat depuis plusieurs centaines d’années, Shadow a du sang de dragon et s’entraînait pour être Protettrice alors qu’elle n’avait que dix ans et Sid est un Ange et un Cuoresanguinoso, de plus il a eu une formation relativement difficile. Toi, tu es une petite avocate propulsée cheffe de clan par la nécessité ! Je comprends que tu sois en rage et c’est cette colère qui te donne cette fougue guerrière, mais quand elle sera apaisée, tu préféreras soutenir Sid en tant que membre du Conseil qu’en tant que combattante !

« Je n’ai pas peur. Je suis en colère ! »

 

– Ne me dites pas ce que je ressens, s’écria Vittoria en se levant, rouge de colère et les larmes aux yeux, je veux faire payer aux traîtres et leurs actes me donnent une raison de plus de me battre. Mon grand-père m’a parlé de la tendance des Cuoresanguinoso à penser savoir ce qui se passe dans la tête de tout le monde. J’ai acceptée de me battre pour le Conseil légitime, je suis revenue dans la Vallée parce que c’est aussi ma cause ! Alors Sidney, Alberto, ne vous avisez plus de spéculer sur ce que je ressens, je ne suis pas une sbire comme les pantins qui suivent Giacco, ou comme certains des clowns qui se sont succédés autour de cette table ! Ou je m’entraîne ici, ou je rejoins la planque des loyalistes du Monte Gattino et j’attends que vous daigniez pointer le bout de votre nez pour nous diriger, non pas comme des monarques tout-puissants mais comme des chefs responsables et à l’écoute de votre peuple !

Alberto dit simplement :

– Suivez-moi.

Il les amena dans le sous-sol le plus profond du Fort, où se trouvaient beaucoup de pièces vides quand il avait emmené Sidney à travers l’édifice qu’il avait bâti sous la Vallée. Il raconta :

– Non content d’avoir fabriqué l’Arlecchina, j’ai eu vraiment beaucoup de temps à tuer ces derniers jours. Comme je suis légèrement hyperactif, je ne suis pas capable de m’asseoir à la Nécropole et d’admirer le temps qui s’écoule. J’ai décidé de mettre ces jours à profit pour remplir certaines pièces inutilisées du Fort. Tout le troisième sous-sol est agencé selon les normes modernes, j’ai aussi transformé les salles d’eau, y compris dans les quartiers où se trouvent les appartements des vampires de rang noble, donc les chambres de Sidney, l’ancienne chambre de Lino et celle de Vittoria, ainsi que celles des futurs chefs de clan du nouveau Conseil. Vous pourrez admirer le travail durant votre temps libre, mais voici les salles de bain communes qui servaient aux vampires de bas rang, il y a celle des hommes à gauche, dit-il en montrant une porte fermée, et celle des femmes similaire en tout point si ce n’est par le sexe de leurs usagers, ce sera la salle de bain de la sorcière et de Shadow.

Il ouvrit la porte faisait face à la salle de bains des hommes. Un grand espace avec des cabines individuelles et un carrelage noir s’étendait sous leurs pieds. Personne n’aurait pu imaginer que la pièce se trouvait dans un bunker vieux de plusieurs siècles sous une vallée où résidaient vampires et sorcières. Frasca toisa Shadow avec mépris, ce à quoi la dragonne lui répondit avec une expression hargneuse.

Alberto dit :

– Vous aurez tout le temps de vous crêper le chignon ces prochains jours.

Frasca souffla au vampire comme si les mots qui sortaient de sa bouche lui tranchaient ses fines lèvres :

– Tu es incroyable, non seulement tu es un bon combattant, mais tu es aussi plombier, carreleur… Qu’est-ce que tu ne sais pas faire ?

Le vampire ricana :

– Fabriquer un Laser de la Mort, mais ça vaut mieux pour tout le monde si je n’arrive pas. Je planche dessus depuis que j’ai vu ce film avec les sabres lasers, prie pour que je ne parvienne pas à mes fins.

– C’est vrai que c’est incroyable que tu aies fait tout ça en moins de deux semaines et tout seul, admira Sidney.

Alberto se gratta la nuque, pas peu fier de son ouvrage :

– Quand on sait user de la danse invisible avec mon talent, on peut bâtir un petit village en quelques jours. Il faut juste s’armer de patience quand le ciment ou la peinture sèche. Heureusement j’avais de quoi m’occuper pendant ce temps.

Il ouvrit d’autres pièces, dévoilant quatre dortoirs destinés à accueillir les vampires sans grade. Chacun avait une dizaine de lits simples et des meubles de rangement. Bien qu’elles ne se connaissaient pas intimement et qu’elles n’avaient en soi aucune raison de s’insupporter – le statut de Protettrice de Shadow étant désormais acquis pour tout le monde depuis son approbation par Jester – Frasca et Felicia s’installèrent chacune dans un dortoir différent. Alberto avait gardé le meilleur pour la fin : il leur dévoila une grande salle d’entraînement digne des meilleurs centres sportifs. Malgré le cynisme et l’indifférence qu’elle affichait envers Sid et ses amis et qu’elle s’appliquait à garder en toute circonstances, Shadow ne put cacher son enthousiasme très longtemps. Elle se précipita dans la pièce et examina chaque sac de sable, chaque machine millimètre par millimètre.

– Je veux devenir une vampire pour pouvoir avoir accès à cet endroit toute ma vie, lâcha-t-elle.

– Tu es sérieuse ? demanda Sid.

– Bien sûr que non, t’avoir comme chef ça me tuerait, grinça-t-elle en tentant de réprimer un sourire taquin.

Alberto avertit juste :

– Il y a une porte au bout du couloir. Elle est condamnée, ou plutôt seul moi peut l’ouvrir. C’est la sortie qui mène au Labyrinthe. Je vous déconseille de vous en approcher, il y a toujours trois vampires de Giacco qui veillent, juste au cas où quelqu’un serait assez con pour ouvrir cette porte. Parfois, ça les amuse d’insulter les gens dont ils entendent les pas ou qu’ils voyaient à travers le trou de la serrure avant que je ne tire dans l’oeil de l’un d’entre eux et que je mette un chewing-gum dans le trou. Je serai surpris s’ils l’ aient enlevé, mais si vous voulez vous promener en tenue d’Ève ou d’Adam, soyez avertis qu’un groupe de petits cons savoure peut-être le spectacle. Maintenant, au travail !

L’entraînement commença sous les ordres d’un maître d’armes décidé à faire de ses poulains des guerriers d’exception, et d’une sorcière déterminée à partager son art du combat avec ses compagnons.

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