Chapitre 21

Samantha Bloodheart se tenait sur la terrasse de la maison de Sid, accompagnée de Valeria et de la mère de la mage. La sœur de Sid était plus petite que les Conti et aussi un peu plus forte. Elle avait amené trois immenses caisses. Ce n’est qu’en les voyant que Jester se rendit compte qu’il n’avait pas réfléchi à comment les porter entre Pordio et Capriggio. Samantha lui dit :

– Je te rassure, Valeria était là et connaît quelques centaures, ils étaient ravis de pouvoir rendre service contre rémunération.

– Connaître est un bien grand mot, disons que je sais qui peut me dépanner si je vais faire de grosses courses en ville, comme par exemple quand Felicia est allée chercher des meubles au moment où elle a emménagé seule. Le seul souci, c’est que chaque communauté de centaures ne possède qu’un portable, que le leader porte dans sa veste s’il en porte, ou qu’il pose à l’endroit où ils sont établis. Heureusement, Fritz sait qu’il peut être appelé pour rendre service avec ses compagnons, alors il n’y a pas eu de problème. Par contre, tu me dois cinq cents saphirs par caisse, quand ils ont appris que c’était pour toi, le prix a doublé. Malgré les semaines, certains t’en veulent encore pour tes cinq ans d’absence…

Sid lui dit qu’il payerait plus tard et ouvrit les caisses. Dans l’une d’entre elles se trouvait du matériel électronique et informatique de pointe, dans la deuxième, des armes à ne plus savoir qu’en faire et, finalement, dans la troisième, divers pièges, gadgets et uniformes. Sid plongea dans la caisse d’électronique et en sortit ce qui ressemblait à un smartphone des plus banals. L’Ange Noir le mit en route en l’accrochant à son poignet. Une carte de la Vallée apparut sur l’écran. Quand Sidney zooma, on pouvait voir sa terrasse et une vingtaine de points rouges dessus.

« Le seul souci, c’est que chaque communauté de centaures ne possède qu’un portable, que le leader porte dans sa veste s’il en porte, ou qu’il pose à l’endroit où ils sont établis »

 

– Il ne me reste plus qu’à faire une mise à jour du logiciel et, plus tard, ce petit bijou pourra afficher la carte exacte du Labyrinthe dès que nous nous trouverons à plus de cinq mètres sous le sol. Il y en a vingt reliés entre eux et qui affichent automatiquement où se trouvent les autres. J’ai eu beaucoup de temps à tuer à Lausanne.

Samantha soupira :

– C’est pas faute d’avoir essayé de te trouver une occupation. Je repars dans l’heure, j’ai réservé un hôtel à Locarno. Tu m’as bien fait comprendre que ce n’était pas une bonne idée de rester ici.

– Merci quand même, Sam, s’exclama joyeusement Sid.

La sœur de l’Ange Noir le prit dans ses bras. Afin qu’elle ne marche pas seule entre Capriggio et Pordio, Sidney lui dit qu’il la ramènerait à Pordio avec l’Arlecchina. Avant, il devait discuter avec Valeria et sa mère. Conti ne semblait pas approuver entièrement la décision de sa fille, même si, à ce que Sidney avait compris, elle y voyait également des avantages. Cependant, c’était l’inquiétude légitime d’une mère aimante qui expliquait sa présence. Sid expliqua le traitement qu’il avait perfectionné durant les jours précédents :

– Une injection serait trop brutale, je pense, même par petites doses. J’apprécie Valeria et c’est mon amie, je désire que cela soit le moins douloureux possible. J’avais pensé à un gaz, mais j’ai préféré que ce soit par voie orale que le Venin te soit transmis, tu vas le prendre sous forme de pilules deux fois par jour. Tu resteras ici, sous ma protection et sous la protection de l’Ancien, quand je devrai m’absenter. Votre fille ne sera pas seule, Signora Conti, vous pouvez être fière de sa décision.

D’un ton poli, laissant une certaine menace planer, la syndic de Pordio dit à Sid :

– Je suis fière de ma fille et je le serai toujours, mais si elle devait souffrir de ce traitement sur le long terme, je vous demanderais de cesser de me considérer comme une alliée politique et de compter sur le soutien des communes et des mortels.

Sid déglutit, il savait que le traitement était peut-être dangereux, cependant il n’avait pas pris en compte ce que cela pouvait représenter pour les proches de Valeria et encore plus pour sa famille, s’il devait lui arriver quelque chose. La mage dit avec une voix tremblante d’appréhension :

– C’est désormais Maurizio Baldiviano qui mène la Compagnie des Mages. Il est de ceux qui te tiennent pour responsable de nos ennuis avec les vampires. Il m’a quand même dit que si Giacco était éliminé, il serait prêt à revoir son jugement sur toi. Bon, finissons-en !

« Tu m’as bien fait comprendre que ce n’était pas une bonne idée de rester ici »

 

Elle prit une pilule dans le tube que Sid avait sorti de sa poche et un verre d’eau. Elle ferma les yeux en murmurant :

– Que Dieu et les gardiens de la Vallée, Anges ou Esprits, me soutiennent dans cette décision et cette démarche.

Valeria, comme beaucoup de mortels nessoniens, était catholique et pratiquante, mais le catholicisme du Val Nessona était teinté de croyances locales ou de légendes nessoniennes. Elle prit la pilule rouge et l’avala. L’effet ne fut pas immédiat, mais plus les minutes passaient, plus le teint de la mage se faisait pâle,de moins en moins vivant. Conti quitta Capriggio peu après. Alors que Sid et sa sœur échangeaient un peu au sujet de leur famille, ils virent la mage tituber. L’Ange Noir la prit dans les bras et la porta dans la chambre d’ami. Il la coucha sur le lit et lui dit :

– Dors autant que tu peux, je finis mon thé avec ma sœur – tradition britannique à laquelle j’apprécie de me plier – je la ramène à Pordio et je reviens. Je vais verrouiller les portes pour que tu sois en sécurité. Je serais de retour d’ici moins d’une heure.

Valeria dit dans un bâillement :

– Tu peux profiter de ton passage à Pordio pour prendre un pyjama chez ma mère, ou même deux, je ne vais pas quitter ce lit, je pense, et pour me reposer je serai plus à l’aise.

Sid approuva. Il descendit finir son thé avec Samantha.

« Que Dieu et les gardiens de la Vallée, Anges ou Esprits, me soutiennent dans cette décision et cette démarche »

 

Sa sœur constata :

– Je me suis toujours demandé pourquoi cette jeune fille et toi n’avez jamais été des amis proches. Je t’ai toujours vu traîner avec Felicia, Frasca et Camilo, en plus des vieux comme l’Ancien et l’elfe, Zjök, c’est ça ?

Sid hocha la tête et dit :

– Frasca et les vieux gardaient un œil sur le jeune Ange noir que j’étais, même si Frasca, par sa jeunesse d’esprit, a toujours été une amie particulièrement proche. Camilo a plus ou moins mon âge et on a pris tellement de cuites ensemble que ça ne peut-être qu’un ami. Felicia, je ne sais pas, je pense que qui aime bien châtie bien. Valeria était toujours occupée à gérer ses mages ou les trajets qu’elle devait faire en ville. Je ne la connais pas si bien que ça, c’est juste qu’au fond de moi, je sais que c’est quelqu’un de confiance. Enfin, je me rends compte ces dernières semaines que je ne connais pas tant que ça ceux que je considère comme mes proches dans la Vallée. Je suis légèrement en froid avec Frasca, Felicia se révèle être un peu plus profonde qu’une simple prétentieuse réclamant un héritage qui ne lui revient pas et Camilo a été vraiment blessé par mon absence, bien que ça aille mieux maintenant.

– Toi ? En froid avec Frasca ? Moi qui, en arrivant, étais persuadée que vous seriez devenus un peu plus que des amis. Enfin, en cinq ans, il s’en passe des choses.

Sid comprit le manège de sa sœur :

– C’est moi ou tu commences à m’interroger indirectement sur ma vie sentimentale ?

Samantha rougit, signe qu’un Bloodheart manifestait souvent quand il était pris sur le fait, Jester y compris. La jeune femme dit pour sa défense :

– Ce n’est pas moi que ta vie sentimentale intéresse…

– Tu as été contactée par les Altreï, c’est ça ?

Franck et Laura Altreï, frère et sœur, étaient des amis de Sidney à Lausanne. Franck était détective du paranormal et expert en occultisme, jeune professeur en ce domaine à l’Université de Lausanne et Laura était une jeune agent à Interpol l’aidant dans ses enquêtes. Sid avait eu une relation avec Laura pendant trois mois durant lesquels il avait rencontré Franck. En les aidant dans une enquête, Sid leur avait appris qu’il était l’Ange Noir, gardien d’une Vallée où les légendes n’en étaient pas. Cela avait mis un terme à sa relation avec Laura, pour diverses raisons, il était resté ami avec les Altreï, les aidant toujours pour leurs enquêtes s’ils avaient besoin de quelqu’un de doué en informatique.

– Dis à Laura que je ne me mêle pas de qui elle met dans son lit et qu’elle ferait bien d’en faire de même, mais sa prévenance et son intérêt pour mon bien-être émotionnel me vont droit au cœur, fit Sid avec un sourire.

– C’est ce qu’elle m’a dit quand je lui ai dit que tu m’avais demandé comment elle allait niveau cœur, répondit Samantha.

– Je ne t’ai jamais demandé ça.

– C’est fou, la petite mémoire que tu as.

– Sam !

– C’est bon, je plaisante. C’est que je veux que mon petit frère, désormais à la tête d’un peuple de vampires, soit heureux. Et pendant ta dépression, tu n’as jamais été aussi bien que quand tu étais avec Laura. Si tu ne l’avais pas rencontrée, tu serais encore à Lausanne à te morfondre.

« Toi ? En froid avec Frasca ? »

 

– Franck aussi, derrière ses airs d’intellectuel trop sûr de lui et pédant, m’a aidé. Mais tu marques un point, sans eux, je serais sûrement encore devant la télé avec des chips à attendre que le temps passe. J’espère qu’ils vont bien. Si tu les revois, dis leur que même si je suis ici, dès que j’en aurai fini avec mon problème de vampires, je serai à nouveau à leur entière disposition pour un soutien technique et informatique, en cas de besoin.

Samantha ricana :

– Tu changes encore de sujet, mais je le leur dirai. Quand je les ai vu, ils rentraient d’Égypte, une affaire de malédiction, qui finalement a failli tourner à l’attentat au Caire. C’était dans tous les journaux. Bien sûr, leur nom n’est pas mentionné mais je t’ai amené le 24 Heures qui mentionne cette affaire.

Sid prit le journal et lut la une :

Attentat contre les dirigeants de la Ligue Arabe déjoué au Caire

LE CAIRE – Un attentat à la bombe a été évité alors que les dirigeants de la Ligue Arabe se réunissaient dans la capitale égyptienne. Aucun indice au sujet du suspect n’a été trouvé, les bombes ont été désamorcées avant que celui-ci ne puisse arriver à ses fins qui, semblerait-il, étaient de provoquer un incident diplomatique majeur. Voir p. 3

Sur la photo, derrière les policiers égyptiens évacuant les dirigeants, Sid put apercevoir l’imperméable de son ami, grand et athlétique, à la chevelure noire comme la sienne, les mains dans les poches. À côté de lui se tenait, Laura, le bras en écharpe, dans un haut taché de sang. Malgré son arcade sourcilière ensanglantée, la jeune femme conservait son charme. Ses cheveux bruns bouclés étaient attachés en queue de cheval, elle semblait cependant plus sereine que son frère. Sid devinait que s’il n’avait pas attrapé le coupable, Franck devait être en train de fulminer intérieurement. Voir les Altreï, même dans un contexte de ce genre, lui fit plaisir. Il se promit de les appeler dès qu’il aurait un peu de temps. Il répondit à Samantha au sujet de sa vie amoureuse :

– J’ai d’autres chats à fouetter, d’autant que j’ai l’éternité pour me trouver quelqu’un.

Après cette mise au point, Sid ramena sa sœur à Pordio et lui promit d’être prudent. Il passa prendre les pyjamas de Valeria. Dans la chambre de la mage, il ne passa pas beaucoup de temps, mais en découvrit plus sur son hôte. Il aperçut son journal. L’Ange Noir hésita à l’ouvrir pour trouver des sujets de discussion, mais il y renonça. Il le prit avec lui, peut-être que quand elle aurait plus de forces, écrire lui ferait du bien. De retour chez lui, Sid vit l’Ancien devant chez lui.

– On a un problème. Giacco a décidé de contre-attaquer, il vient de frapper à la Croce Nera, on a plusieurs morts à déplorer. Même si le bar n’est plus aussi fréquenté depuis quelques semaines, le récent calme avait encouragé quelques elfes et centaures à revenir.

Sid courut dans la chambre de Valeria. La mage dormait fermement. Il posa un mot avec son journal, précisant au passage qu’il ne l’avait pas lu. En descendant, il demanda à l’Ancien :

– Tu peux veiller sur elle ? Je vais appeler Alberto pour qu’il vienne t’aider.

– Bien sûr, Zjök et Shadow sont sur place. Camilo va bien, il a eu le réflexe de se cacher dans sa réserve. Par contre, Antonio est blessé, gravement, et on va avoir de gros problèmes…

– Pourquoi ?

– Leo Gicchi fait partie des victimes.

« Attentat contre les dirigeants de la Ligue Arabe déjoué au Caire »

 

 

– Il était au plus mauvais endroit au plus mauvais moment, fait chier ! Vraiment ! Maintenant en plus de ce connard de Giacco, on va avoir les exorcistes sur le dos ! Je file, je dois être sur place avant Alessandro et Carletta !

Il courut à l’Arlecchina en appelant Alberto. Arrivé à la Croce Nera, Felicia se précipita vers lui :

– Ce n’est pas beau à voir. Ce que les survivants m’ont raconté fait froid dans le dos. Ils avaient pris mon cousin en otage et…

Elle dut se retenir pour ne pas s’effondrer en larmes. Après s’être reprise, elle conclut :

– Il portait une bombe, après avoir bu le sang de Leo, ils l’ont fait exploser au milieu de la salle. Ce n’était pas une très grosse détonation, mais assez pour le réduire en charpie et tuer ceux qui se trouvaient à proximité. Milana, la sœur de Giula, est morte, Antonio a perdu beaucoup de sang, il y a aussi des elfes qui sont morts ou grièvement blessés. Les centaures, eux, n’ont presque rien, ils étaient dans un coin du bar. On n’a pas encore contacté ma famille. Je voulais que tu sois là quand mon oncle et ma cousine débarqueront.

Sid entra dans le bar et vit les tables et les chaises dispersées ou détruites, ainsi qu’une grosse marque noire et rouge au centre de la pièce. La bombe devait être basique, un contenant plein de poudre à canon et une mèche, selon l’Ange Noir. Il y avait du sang partout, ainsi que des morceaux de chair et de peau. Les blessés étaient alignés contre le mur. Les morts étaient posés vers l’âtre de la cheminée. Si on y ajoutait le corps anéanti de Leo, on pouvait dénombrer quatre morts. Ce n’était pas le pire massacre commis par Giacco, mais cela démontrait encore une fois la monstruosité du vampire aux yeux de Sidney. Il hurla de rage dans le centre de la pièce, donnant un coup de pied rageur dans une chaise à proximité. Il resta debout en silence. Pensant au titre de journal que sa sœur lui avait amené, revoyant dans sa tête la photo montrant ses deux amis en arrière-plan, il se murmura à lui-même :

– J’espère que vous ne vivrez jamais ça.

Camilo buvait dans un coin, contrairement à son habitude il ne souriait et ne riait pas, il tenait sa bouteille de vin et la vidait, la tête basse. Sid s’empara de la bouteille et s’assit à côté de lui, buvant une gorgée pour retrouver, au moins dans sa tête, un semblant de tonicité.

– Tu as bien fait de te cacher, dit l’Ange Noir, je suis content que tu ailles bien.

Camilo leva les yeux et dit :

– Je ne me suis caché que quand les vampires étaient là. Quand ils sont partis après avoir allumé la mèche, j’ai hurlé à Antonio et Milana de contenir la détonation avec moi, et aux autres de sortir. Ils se sont exécutés, mais trop tard pour certains malheureusement. Cette bombe aurait détruit le bar et tué tout le monde, c’était une grande jarre remplie de poudre à canon. J’ai réussi à éviter un incendie grâce à la Magie des Éléments, l’impact a quand même tué Milana, l’exorciste et ces deux elfes. J’aurais dû intervenir avant, les empêcher d’allumer la mèche. Je suis un couard et un ivrogne. J’aurais pu éviter ces morts.

– Non, personne ne pouvait le prévoir. Giacco a dépassé les bornes depuis un moment, j’aurais dû désigner quelqu’un pour protéger la Croce Nera.

Les exorcistes arrivèrent, ainsi que Giula, Frasca, des elfes et les membres de la Garde Nessonienne. Passé le choc de la situation, Gicchi hurla :

– Mon fils est mort à cause des vampires, qu’on me donne la tête de leur chef !

Sid lui fit face et grogna :

– Je me charge de Giacco.

Giula s’exclama :

– Cela fait cinq ans que tu aurais dû t’en occuper ! Dès qu’il a commencé à massacrer tous ces gens !

« Fait chier ! Vraiment ! Maintenant en plus de ce connard de Giacco, on va avoir les exorcistes sur le dos ! »

 

– Je ne parlais pas de cette vermine que vous semblez tous craindre, corrigea Gicchi, je parle de celui qui marchait à la tête du cortège l’autre jour, celui qui est censé protéger les mortels contre les monstres comme vous, je parle de l’Ange Noir et de ses messages d’amitiés et de paix qui ne sont que des pièges pour nous attirer dans vos filets de buveurs de sang, de magiciennes meurtrières ! Exorcistes, tuez-les t…

Sid utilisa la danse invisible et le frappa, dans sa rage, de toutes ses forces. Une fois Gicchi à terre, les exorcistes sortirent leurs armes. Comme le jour de son retour, Sid était entouré, mais cette fois, il n’était pas seul. Shadow s’était précipitée au centre du cercle, collant son dos à celui du chef du Conseil des Six, ils furent rejoints par Frasca et par Camilo. Shadow hurla à sa cousine :

– Tu veux vraiment tuer ton seul espoir de venger Leo ? Ton père est assez dingue et arrogant pour penser pouvoir liquider tous les dangers de la Vallée sans les nocturnes, mais toi, tu sais que vous ne tiendrez pas longtemps.

Frasca ajouta :

– Si vous tuez l’un d’entre nous, ou même les quatre, vous risquez d’avoir d’autres soucis que Giacco. Alberto ne sera pas content du tout et il peut vous égorger dans votre sommeil sans que vous ne lui mettiez la main dessus. Trop de sang a été versé, nous pouvons éviter un massacre, mais, pour cela, il ne faut pas se tromper d’ennemi.

Gicchi réitéra :

– Exorcistes, tirez !

Sid vit Zaretto, à côté de Carletta, presser sur la détente. À nouveau, se défaisant des chaînes du temps, il se précipita, attrapa la balle et désarma l’exorciste avant de retourner à l’endroit où il se tenait. Tout geste trop brusque pouvait mettre le feu à la poudrière. Certains exorcistes avaient eu un mouvement comme s’ils étaient prêts à faire feu mais, voyant l’arme d’un de leurs chefs tomber par terre, vidée de ses munitions, ils baissèrent leurs armes. Jester dit sèchement à Gicchi :

– Si vous ne la fermez pas, votre fille n’aura pas seulement perdu son frère, elle perdra également son père. Je ne compte pas vous tuer, bien que certains de mes amis en rêvent sûrement.

« Trop de sang a été versé, nous pouvons éviter un massacre, mais, pour cela, il ne faut pas se tromper d’ennemi »

 

Alors que le chef des exorcistes allait s’en prendre physiquement à Sidney, Carletta dit :

– Une semaine.

Sid se tourna et l’exorciste répéta :

– Tu as une semaine. Une semaine pour répliquer.

– J’ai un plan pour mettre fin aux agissements de Giacco, mais il ne sera pas prêt en une semaine, s’exclama Sid.

Carletta fit signe à ses hommes de la suivre et répondit avant de sortir du bar :

– Tu as une semaine pour répliquer après ce carnage. Si rien n’a été fait, tu répondras de tes actes devant l’Ordre. Père, on s’en va.

Gicchi quitta la pièce, furieux, à la suite de ses hommes. Sid et Shadow se regardèrent. La descendante de Nox grogna :

– Ce crétin ne se doute même pas que la mort de mon cousin puisse m’affecter moi aussi. Je suis désolée, je suis restée assez longtemps ici, sans avoir vraiment eu le temps de…

– … souffler, pleurer, t’isoler, dit Sid, je comprends. Je me charge du reste, rentre chez toi. Je suis sincèrement désolé pour ton cousin.

Shadow partit. Sid était avec Camilo et Frasca au milieu d’une Croce Nera remplie de curieux qui s’étaient accumulés depuis l’annonce du drame. Sid releva une table et se mit debout dessus. Il était le chef des vampires, mais aussi le responsable de cette communauté, son leader officieux. Il se décida à faire ce qu’il aurait dû faire plusieurs semaines auparavant :

-Je sais que la plupart d’entre vous me tient responsable des crimes commis par Giacco. Je sais que pour beaucoup, je suis un lâche, un déserteur. Depuis que je suis de retour, ce bar, notre seconde maison, ce lieu où nous nous retrouvons malgré nos différences, que l’on soit elfe, centaure ou mage, s’est vu ôter son âme, par la peur. Aujourd’hui, celui que vous craignez a encore frappé, de manière répugnante. Il est normal d’avoir peur. J’ai passé cinq ans de ma vie à avoir peur de vous, de lui et de moi-même. Mais n’oubliez pas que même le pire des cauchemars n’est rien si l’on a quelqu’un à nos côtés. La peur ne vaincra pas ! Et dès demain, Giacco va apprendre à avoir peur ! S’il ne me craint pas, il nous craindra nous !

Sans réponse à son discours, ni huées, ni applaudissements, Sid quitta la Croce Nera, sachant que s’il ne répondait pas à l’attaque de Giacco très vite, il n’aurait fait que se rendre ridicule. Un centaure lui mit la main sur l’épaule à la sortie du bar et le regarda dans les yeux :

– Prouve-nous que tu dis vrai, et après tu seras notre Ange Noir.

Sid reconnu Garz, le centaure qu’il avait frappé. Celui-ci prit la direction opposée en chantonnant :

Jester, le Cogneur,

Qui n’a pas peur.

Le Bouffon Noir,

Porteur d’espoir.

Un jour, il revint et mit un pain,

A un centaure, un sac à vin,

Dont l’œil fut noir,

Pendant un mois, tu peux me croire.

Jester, le Cogneur,

De rien n’a peur.

Le Bouffon Noir,

Plein d’espoir.

Un autre jour, il mit à terre,

Devant une ligne de revolver,

Le chef hurleur des Exorcistes,

Cet espèce de vieux raciste.

Les centaures aimaient inventer des chansons sur tout et sur rien. Sid sourit en montant sur son Arlecchina, ne pouvant s’empêcher de répéter la mélodie – un peu trop entraînante – entonnée par le centaure. Dès le lendemain, Giacco allait comprendre que Jester n’était plus là pour plaisanter. Il mit le contact de sa moto et fonça en direction de Fort Cuoresanguinoso.

Il est normal d’avoir peur. J’ai passé cinq ans de ma vie à avoir peur de vous, de lui et de moi-même

par

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