Chapitre 26

La semaine suivante, les vampires étaient sur le pied de guerre. Plusieurs pièces non utilisées devinrent de véritables salles d’armes, tapissées de lames courtes et de mannequins. Beaucoup de jeunes vampires s’étaient mobilisés, motivés par les discours fédérateurs de Niccolò et par les histoires contées par les anciens. Sid ne s’attendait pas à un tel engouement. Il espérait à peine une trentaine de volontaires, mais il avait l’impression que presque tous les vampires du Fort allaient se joindre au combat. Les couturiers avaient créé des uniformes neufs pour tout le monde, de longs manteaux noirs au col mandarin. Sid formait trois vampires à l’électronique et à l’informatique. Alberto faisait des allers-retours entre Locarno et Pordio avec la voiture de Valeria, occupée à former ses vampires à la Magie des Grimoires, pour obtenir le matériel nécessaire. L’enthousiasme du retour au Fort, les chants et les rires laissaient place à la détermination et à la rage inspirées par les récits des méfaits de Giacco. L’Ange Noir craignait une déformation des propos, il ne voulait pas faire de propagande. Mais il y avait également la perspective de mettre fin à la guerre entre vampires, de faire vaincre la loyauté et de mettre à terre les monstres responsables des différents massacres perpétrés dans la Vallée cet été. Sid voulut rendre visite à Frasca. Son rôle impliquait un grand risque pour elle et le Protettore ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose alors qu’elle et lui étaient en froid. Il la vit s’entraîner à l’arrière de sa maison dans les hauts de Capriggio. Les mannequins étaient ornés d’un visage avec des dents pointues. Sid poussa le portail du jardin et la salua. Elle lança son épée qui se planta entre les deux yeux d’un mannequin.

– Salut, Sid, fit-elle en se passant un linge sur le front, tu n’es pas venu par courtoisie, tu as sûrement d’autres choses à faire que de parler à la Tueuse.

L’Ange Noir répondit simplement :

– Je venais voir si tu étais prête.

Frasca lâcha :

– J’ai déjà affronté une vingtaine de vampires seule, ce n’est pas les débris qu’il reste dans les catacombes qui m’effrayent. Ton armée commence à devenir légèrement plus inquiétante qu’eux, enfin, inquiétante… Elle pourrait me donner du fil à retordre.

Sid s’assit sur le banc de bois accolé à la maison de la sorcière :

– Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose au cours de la bataille.

Son amie s’assit à côté de lui et lui prit la main :

– Tu sais que moi non plus, je ne veux pas que tu tombes pendant l’assaut. Je sais que je t’en demande beaucoup quand je te demande de respecter mon passé, surtout vu la manière dont les vampires parlent de moi. Mais quand je dis que tu comptes pour moi, je veux que tu saches que je le pense.

Le Protettore la fixa et soupira :

– J’ai d’autres soucis que ton passé, bien qu’il faille t’attendre à ce que je le découvre un jour. Je préférerais quand même que ce soit toi qui me le dises.

– Donc sois patient. S’il m’arrive quelque chose durant l’assaut, le sort de tabou sera levé sur les vampires. Comme je ne veux pas que tu te fasses une fausse image de moi, je ferai tout pour survivre. Si tu entendais leur version, tu serais persuadé que je suis un monstre.

Sid demanda :

– Pourquoi est-ce si important que cela reste caché ?

– Parce que je n’en suis pas fière et que ce passé a son influence sur le présent et le futur de la Vallée.

– C’est à cause de ce secret que Lino te haïssait ?

Frasca attrapa un couteau de lancer sur le banc et le lança en direction d’un mannequin, le touchant au cœur. La question semblait la perturber. Elle l’éluda :

– Lino était la fille d’Alberto, elle détestait toutes les sorcières.

Sid n’insista pas mais Frasca constata :

– Tu ne crois pas à mon histoire au sujet de la bataille de la Stregarossa.

Sid lui dit la vérité :

– Absolument pas. Mais je m’en fiche, demain soir, nous allons mettre fin au règne de terreur de Giacco.

Ils se levèrent et entrèrent dans la maison de Frasca. La sorcière prépara deux tasses de thé. Sid lui communiqua des informations sur le plan du lendemain :

– Tu vas avoir un VamPad un peu spécial. Il a une caméra qui sera connectée au mien; de plus, je le commanderai à distance.

La sorcière grimaça :

– Manque de confiance ?

Sid la regarda durement :

– Je ne veux pas qu’en pratiquant ton passe-temps favori, tu en deviennes téméraire ou que tu fasses n’importe quoi.

Frasca ricana :

– Mon passe-temps favori ? Non, le massacre de suceurs de sang ce n’est que le second, juste après inventer des potions pour les tuer de manière plus subtile. Mais donc: manque de confiance.

« Quand je dis que tu comptes pour moi, je veux que tu saches que je le pense »

 

Sid admit froidement :

– Dans ce contexte, oui. C’est à la Tueuse de Vampires que je ne fais pas confiance, pas à mon amie. D’autant que tu sais comme moi que c’est la dernière fois que tu pourras faire honneur à ton surnom.

La sorcière regarda le VamPad posé sur sa table et soupira :

– C’est ta guerre, tes règles.

– Tu seras en communication privée avec moi sans interruption.

– Quel romantisme…

Sid dit d’un ton cassant :

– Je suis venu pour te dire que je ne veux pas te perdre et toi tu recommences à te comporter comme…

– Comme une sorcière ! Allez, dis-le !

Sid allait s’arracher les cheveux. Il avait l’habitude de ses disputes avec Shadow, mais avec Frasca, c’était complètement différent. Sid et Felicia avaient quasiment bâti leurs rapports sur ces conflits, ils savaient comment énerver l’autre et quand ils avaient atteint leur but. Frasca était passée de la bonne amie réconfortante à hystérique. Sid aurait su comment réagir face à la descendante de Nox, mais là, face à la sorcière, il était désarmé. Jester constata :

– Depuis que je suis chef du Conseil des Six, tu es beaucoup plus agressive avec moi. Pourtant c’est bien toi qui disait que ça ne changerait rien.

– C’était avant que tu ne commences à me traiter comme une psychopathe ! À croire que tu fais plus confiance à ces gens que tu ne connais que depuis quelques semaines qu’à ta meilleure amie. Ce n’est pas parce qu’ils parlent de moi en mal que je suis une mauvaise personne.

– Ce n’est pas ce qu’ils disent qui me fait agir ainsi. C’est justement ton comportement. Tu te dessers toute seule.

– Sérieusement ? On parle de la trouille que j’ai fichue à Vittoria et de comment le noble chef du Conseil est venu remettre à l’ordre la méchante Tueuse ?

– Frasca, tu es mon amie et ils doivent l’accepter. C’est ton agressivité qui te nuit.

La sorcière défit son corset blanc et baissa le col de sa chemise dévoilant une cicatrice sur la clavicule :

– « Vous, les sorcières, ne comprenez que la violence et le sang ». C’est l’épée que tu portes à la ceinture qui m’a fait cette blessure; je te laisse deviner qui la tenait et qui a dit ces mots. Et voilà, maintenant, tu te comportes comme elle.

– Ce n’est pas ce que j’ai dit, Frasca !

Sid l’attrapa par les épaules et l’immobilisa. Il la fixa droit dans les yeux :

– Nous ne sommes pas ennemis et je ne veux pas qu’on le soit. Je tiens à mon peuple, mais j’ai aussi un autre peuple, la communauté nocturne, et tu en fais partie. Alors tu vas te calmer et cesser de croire que nous sommes en guerre entre vampires et sorcières. S’il te plaît !

« C’est ta guerre, tes règles »

 

La sorcière fulminait :

– J’espérais que mon accord pour être la première vague d’assaut contre les catacombes serait une preuve de ma bonne volonté.

– Les paroles sont belles, mais les actes valent mille fois plus.

Frasca se dégagea et posa nerveusement les deux tasses sur la table. Sid ajouta :

– C’est avec moi que tu seras en contact et je pense que tu es assez maligne pour avoir compris que ce n’est pas seulement par méfiance, mais aussi pour savoir que tu vas bien que j’ai connecté nos VamPads ensemble.

La sorcière grogna :

– Très bien, je vais prendre ton machin.

Elle accrocha le VamPad au poignet du mannequin portant son armure quand celle-ci ne se trouvait pas sur son dos. La sorcière serrait les dents.

– Si on s’en sort, ce dont je ne doute pas, j’espère que tu commenceras à nouveau à te comporter comme un ami et pas comme tes prédécesseurs à la tête du Conseil des Six. Je considère cette attaque sur les catacombes comme une éponge passée sur mes rapports houleux avec ton peuple. Une fois que ce sera terminé, j’aurai payé mes erreurs et tu as intérêt à le faire comprendre à tes anciens.

– Ce serait plus facile pour moi si je savais de quoi tu parlais, mais soit, admit Sidney. Je vais signer un papier disant qu’en échange de ta coopération, mon peuple s’engage à te traiter avec respect et sympathie.

Frasca se décrispa :

– Tu vois, quand on me parle comme ça, je suis moins tendue. C’est comme ça que ça marche dans la Vallée. Donnant-donnant.

« Les paroles sont belles, mais les actes valent mille fois plus »

 

– Entre amis, on donne sans compter, marmonna Sid de façon à ce que la sorcière ne l’entende pas.

Il but son thé et Frasca demanda :

– Pourquoi mes secrets semblent te déranger et ceux d’Alberto non ? Ce vampire est ton ancêtre donc tu es proche de lui, comme tu es proche de moi, et il passe son temps à mentir et à omettre accidentellement des éléments, par exemple au sujet de la mère de Lino, qui est elle aussi ton ancêtre. Tu n’es même pas intéressé par ça ?

Sid soupira :

– Alberto est Alberto. Ce que je veux dire, c’est que tout le monde s’attend à ce qu’il soit magouilleur, menteur et malhonnête. Toi, tu as toujours été gentille et relativement honnête, te voir aussi agressive et sur la défensive est dérangeant. Quand les secrets influent sur la relation que l’on a avec quelqu’un, on veut savoir ce qui pourrit une amitié.

– Les secrets d’Alberto ne troublent pas la confiance que tu as en lui ?

– Non, car j’ai le pressentiment qu’il le fait pour d’autres raisons que son simple intérêt personnel.

Il finit son thé et lança en sortant de la maison :

– Mais comme je te l’ai dit, j’ai d’autres chats à fouetter que tes cachotteries. Arrange-toi pour rester en vie demain.

Il retourna au Fort, après un détour chez lui pour s’équiper en vue de l’assaut du lendemain. Il avait donné l’ordre à ses chefs de se diviser entre Rino et Gina, les chefs de clan restants avec Wanda, qui avait confirmé que les Nottebella allaient enfiler le brassard rouge dès que Frasca entrerait dans le Labyrinthe. Lui, il allait se concentrer sur Giacco. Il avait passé son temps libre ses derniers jours à exercer sa danse invisible. L’Ange Noir était prêt à en découdre, il avait hâte d’en finir. Pour lui, affronter Giacco, c’était affronter ses peurs, les causes de sa dépression, démontrer que les gens s’étaient trompés sur son compte.

« Alberto est Alberto. Ce que je veux dire, c’est que tout le monde s’attend à ce qu’il soit magouilleur, menteur et malhonnête. Toi, tu as toujours été gentille et relativement honnête, te voir aussi agressive et sur la défensive est dérangeant »

 

De retour dans ses appartements du Fort, Sid s’assit sur le lit à baldaquin. Il venait d’envoyer Niccolò comme messager auprès de Gürk pour avertir les elfes afin qu’ils commencent à mettre leurs canons en place. Il regarda l’armure de cuir de Lino se tenant fièrement dans l’armoire ouverte devant lui. La première fois qu’il l’avait vue, Lino était pour lui un homme, un chef, un diplomate respecté et juste. Depuis, il avait appris qu’il s’agissait d’une femme, ayant petit à petit sombré dans la folie. Il ne savait pas que penser de son ancêtre, génie ou cheffe sanguinaire, pacifiste ou va-t-en-guerre ?

– Même les morts ont des secrets à me cacher, murmura-t-il dépité. Quand je suis rentré cet été, tu n’étais qu’une mention dans les livres d’histoire. Maintenant, je connais mieux tes actes, mais je ne sais plus comment je dois t’imaginer, Lino.

Il baissa les yeux, soudain en proie au doute. Pourquoi avait-il une telle soif de victoire ? Pour les loyalistes, Qu’il connaissait depuis quelques semaines à peine ? Pour la mémoire de Lino ? Cette ombre du passé qui planait sur Fort Cuoresanguinoso, mais dont la fin était tellement floue et incohérente qu’il était impossible de démêler le vrai du faux ? Pour la communauté nocturne, ceux qui l’avait méprisé, traité, à raison, de déserteur ? Ou simplement le faisait-il pour lui, emmenant tout ce petit monde dans sa chute en cas d’échec ? Depuis l’arrivée des loyalistes à Fort Cuoresanguinoso, on lui avait conté maintes fois le massacre des catacombes, comment, à force d’égarement et de confusion, une bataille rangée s’était transformée en boucherie, des vampires parfois alliés au début de l’attaque s’en prenant les uns aux autres, comment la rivière souterraine s’était teinte du sang rouge de la grande partie d’un peuple. Dans cette même pièce, il avait dit à Vittoria qu’il n’était plus un héros par obligation, mais par choix. Avait-il vraiment le choix ? Pouvait-il laisser le jeu de massacre se prolonger ? La bataille et les pertes inutiles étaient-elles la seule solution ? Se rendre n’était-elle pas la meilleure des options ? Ou chercher la coopération, l’unité ? Ou bien ne serait-ce que gracier des criminels ? Il regarda Kustu, l’épée du devoir. Il devait mener cet assaut par obligation envers ceux qui avaient souffert pour leur loyauté et pour ceux qui pourraient être victimes des noirs desseins de Giacco. Mais devait-il emmener autant de monde dans son entreprise ? Ne prenait-il pas le risque d’un nouveau bain de sang comme Lino avant lui ?

Quelqu’un s’assit à côté de lui sur le lit et lui posa la main sur l’épaule. Il se tourna et vit le visage mal rasé d’Alberto.

– Tu souffres des doutes qui envahissent un capitaine avant la bataille, fiston ?

Quelle clairvoyance. Sid lui fit en part. Le vieux vampire semblait plus âgé qu’à leur rencontre, des cheveux blancs striaient désormais ses cheveux noirs et lisses. Gagnait-il en maturité, comme le disait la croyance que chez les quasi-immortels, les marques du temps étaient le reflet de la sagesse et de la maturité d’une personne ? À force de le fréquenter chaque jour, Jester ne l’avait pas remarqué mais de la quarantaine apparente, Alberto semblait avoir pris une bonne dizaine d’années, le transformant en quinquagénaire fringant, mais déjà marqué par le temps, comme si son choix de soutenir le descendant de Lino l’avait changé.

– Avant chaque bataille, je me suis posé ces questions. Encore plus durant la Guerre Nessonienne, où je savais que je prenais le risque de frapper des innocents.

« Quand je suis rentré cet été, tu n’étais qu’une mention dans les livres d’histoire. Maintenant, je connais mieux tes actes, mais je ne sais plus comment je dois t’imaginer, Lino »

 

– Et tu partais quand même l’arme au poing ?

Alberto regarda dans le vide et dit :

– Il y a un moment où tu ne peux plus faire demi-tour. En général, c’est quand apparaissent ces doutes. Si tu renonces maintenant, tu seras perdant sur toute la ligne et aux yeux de tout le monde. Si je n’avais pas mené ces batailles contre Salvatore, qui, mine de rien, était un petit dictateur, peut-être que mon peuple aurait souffert, discriminé par l’Ange Noir vainqueur. Si j’avais fait marche arrière, mes hommes auraient-ils maintenu leur confiance en moi ? Tes vampires, qui sont bien moins bêtes que leurs ancêtres, sont de braves gamins et de bons petits guerriers. Les années passées au Monte Gattino leur ont appris à être plus débrouillards, ils sont peut-être moins cultivés pour le moment, mais ils sont capables de survivre et de savoir ce qu’il y a de mieux pour cela. Ils te font confiance, tu es le plus grand espoir pour eux. Tu es le meilleur chef que le Conseil des Six ait connu, car tu es honnête avec tes gens. Lino et moi étions des politiques, le secret, les magouilles et les accords cachés étaient notre métier. Tu peux encore ajouter à mon sujet que je suis un sac à bobards sans égal dans la Vallée, voir dans le monde. Toi, tu leur as donné un toit, tu leur as dit que tu comptais ne pas respecter certaines traditions élitistes, tu leur as promis une victoire. Comme je sais que tu es honnête et que tu tiens tes promesses, je sais que tu vas la leur donner. C’est rare que quelqu’un veuille qu’une victoire soit celle d’un groupe et pas la sienne. C’est pour cela que tu as attendu que Valeria nous rejoigne pour attaquer.

– Comment sais-tu que je vais leur donner la victoire, n’y a-t-il aucune probabilité que j’échoue ?

– Les chaînes de Kustu brillent, c’est souvent prémonitoire.

Sid regarda son épée et vit que les chaînes qui la décoraient brillaient d’une étrange lueur blanchâtre.

Alberto dégrafa quelque chose de son vieux manteau noir. Une broche représentant un cœur percé d’une épée. Il dit :

– Je voulais que l’on t’en forge une bien à toi pour ne pas avoir à me défaire de la mienne. Tu es le seul chef de clan qui ne porte pas son emblème. Je pense que dans mon cœur je me prenais encore pour le chef du Conseil des Six, mais il faut bien qu’un jour, je me rende à l’évidence : ma descendance dirigera mieux ce peuple que je ne saurai jamais le faire. C’est pour ça que, solennellement, je te nomme à la tête du clan Cuoresanguinoso, Sidney, et à la tête du Conseil des Six, de facto. Puisses-tu faire honneur à notre peuple et lui rendre la splendeur qui fut la sienne.

Il accrocha la broche sur le col du manteau noir de l’Ange Noir et lui ébouriffa les cheveux :

– Tu es un bon garçon qui est devenu un grand homme, peu importe ce qu’il se passe demain soir.

Comme en signe de bénédiction, le vampire embrassa son descendant sur le front.

Sid eut de la peine à trouver le sommeil et pourtant il savait qu’il devait se reposer. Il s’imaginait toutes les issues possibles à la bataille du lendemain. Pourtant Alberto avait trouvé les mots justes pour l’apaiser et après plusieurs heures à se retourner dans le lit de la chambre de Lino, désormais sienne, il s’assoupit.

À midi, le jour de l’assaut, Sidney convoqua elfes, vampires et membres de la communauté nocturne participant au raid dans l’auditoire aux six trônes. Lui et ses chefs se tenaient debout devant l’hémicycle. Niccolò lui murmura :

– Je sais que tu n’aimes pas faire de discours, ainsi, j’ai préparé quelques mots, au cas où.

Sid lui tapa amicalement sur l’épaule et dit calmement :

– Je suis sûr que tu as su écrire de quoi galvaniser nos troupes, mais c’est à moi de trouver les mots juste. C’est moi qui vous emmène là-bas, dans cet enfer qu’est la guerre.

« Je pense que dans mon cœur je me prenais encore pour le chef du Conseil des Six, mais il faut bien qu’un jour, je me rende à l’évidence : ma descendance dirigera mieux ce peuple que je ne saurai jamais le faire »

 

Niccolò garda le parchemin qu’il tendait à Sid, mais le Protettore ajouta :

– Je sais que tu n’es pas un guerrier, tout comme Vittoria. Alors, j’ai une tâche particulière pour toi et elle. Tu manies les mots mieux que quiconque dans notre peuple, pourrais-tu rester en retrait avec elle pour ensuite narrer à nos descendants, à travers des archives, le jour où une page sanglante de notre histoire se tourna pour laisser place à un nouveau chapitre ?

Niccolò s’exclama :

– Je dois avouer que j’étais effrayé à l’idée de me battre, mais être témoin de notre victoire et en être le narrateur est pour moi le plus grand honneur imaginable. J’accepte cette tâche avec grande humilité et avec grand enthousiasme.

– Bien. Rosanna et Massimo ont ordre de veiller sur vous, particulièrement sur toi qui ne possèdes aucun atout des vampires de sang noble. Si je venais à tomber durant cette bataille, tu seras chargé de donner une nouvelle âme à notre peuple, avec ta flamme, ta plume et ta fougue et d’assister Alberto qui reprendrait les rênes. Tu es peut-être le moins fort d’entre nous six, mais tu es le plus brave, Niccolò. En quelques semaines, tu as gagné toute mon estime et tu m’as confirmé que j’avais fait le bon choix en te nommant chef de clan, mon frère.

Le chef des Maninere enlaça longuement Sidney :

– Je ne te décevrai pas.

Au moment où l’enthousiasme débordant de son chef de clan devint légèrement gênant devant l’assemblée réunie dans l’auditoire, Sid se défit de l’accolade et regarda fièrement son peuple et ses alliés :

– Nous sommes aujourd’hui réunis pour clore une guerre qui n’a que trop duré. Depuis presque trois cents ans, notre peuple est scindé en deux. Vampires, vous avez enduré, subi, vécu dans la peur, vous avez survécu dans des couloirs sales et sombres, trop petits pour notre grand peuple. Vous avez fait preuve d’une loyauté sans limite pour une cause qui semblait perdue, envers une cheffe qui avait disparu, envers un héritier qui fuyait ses responsabilités. Ce soir, pour la dernière fois, les vampires vont se battre entre eux, dit-il avant de lever son épée en s’exclamant, ce soir, pour la dernière fois, nous sommes un peuple divisé !

Des hourras parcoururent la foule, le Conseil des Six applaudit son chef. Sid continua :

– Ce ne sera pas la victoire d’un clan, d’une lignée, de l’Ange Noir, mais la victoire de tout un peuple, la victoire du Conseil des Six et du peuple vampire. Ce soir, nous n’allons pas retrouver notre grandeur d’antan, mais nous allons commencer à bâtir une nouvelle ère pour nous ! Une ère sans crainte, une ère de joie, une ère de partage avec nos alliés !

Les vampires se déchaînaient en tribune, tapant des pieds et des mains, criant le nom de l’Ange Noir. Dans les premiers rangs, Frasca, Shadow et les elfes restaient impassibles, sûrement peu concernés, mais l’Ancien et Zjök applaudissaient poliment. Sid reprit :

– Des alliés qui sont là aujourd’hui, pour nous aider à rétablir l’unité dans notre peuple, la Protettrice Shadow, la Sorcière Blanche, Frasca Macchiavetti, l’Ancien, Zjök, ainsi que la maison Pürdel de Fjörstad. Amis du peuple vampire, ce soutien est une dette que nous avons envers vous, vous serez ainsi toujours les bienvenus parmi nous, tout comme la communauté nocturne nous a accueilli.

« Je suis sûr que tu as su écrire de quoi galvaniser nos troupes, mais c’est à moi de trouver les mots juste. C’est moi qui vous emmène là-bas, dans cet enfer qu’est la guerre »

 

Il savait que ses vampires n’avaient pour la plupart encore jamais mis les pieds à la Croce Nera et que cette dernière phrase n’était que pure politesse, mais il avait espoir qu’elle ne soit pas vaine et qu’après la bataille, cette nouvelle génération de vampires puisse s’intégrer au Peuple de la Nuit. Il s’attaqua à la partie la plus douloureuse de son monologue :

– Peut-être avez-vous peur de perdre des proches dans la bataille, peut-être craignez-vous de tomber là où vos mères et vos pères sont tombés avant vous. Personne ne tombera en vain et chaque goutte de sang versée par ces traîtres se fera payer au centuple.

Sid reprit les paroles du chant populaire que les vampires chantaient à leur retour au Fort et les modifia comme un ultime verset au chant écrit par Nox :

On ne craint pas la nuit, dans le ciel brillent les étoiles.

On n’a pas peur du soir, ici veille l’Ange Noir.

On n’a pas peur du noir, car on est tous, ici, unis,

Sous le ciel aux milles étoiles du Val Nessona !

L’assemblée reprit les mots de Sid et les chanta à tue-tête. L’Ange Noir se tourna vers son Conseil et Alberto assis sur un trône en retrait :

– Ce soir nous nous battons pour nous et pour eux, nous sommes responsables de leur sort. Tâchons de remplir la mission qui nous est confiée en tant que chefs de clan : protéger notre peuple.

Les six chefs de clan levèrent leurs épées et firent en sorte que les pointes se touchent, comme pour sceller un pacte, une union, une alliance entre les six clan :

– Pour le Conseil ! Et pour la Vallée !

« Personne ne tombera en vain et chaque goutte de sang versée par ces traîtres se fera payer au centuple »

 

Les mots de Sid furent répétés par les autres chefs de clans avant d’être remplacés par une toute autre devise que tous reprirent, chefs, vampires, elfes, Frasca et les autres, deux mots appelés à être répétés maintes fois après la bataille. Deux mots tissant des liens incassables entre les personnes les proclamant :

Per Nessona !

C’est sur ces deux mots, que Sid, Shadow, l’Ancien, Zjök et Frasca se virent pour la dernière fois avant la bataille, s’échangeant des regards qui pouvaient être les derniers. Les armes étaient prêtes et dès que la constellation du Bouclier aurait disparu derrière le Monte Friccio, les catacombes ne seraient plus un lieu sûr pour les vampires de Giacco. L’assaut final d’une guerre fratricide qui allait se finir comme elle avait commencé, dans les profondeurs de la Vallée, tintant de sang la rivière souterraine. La Guerre des Cœurs Sanglants allait enfin s’achever, quelle qu’en soit l’issue.

« Per Nessona ! »

par

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