Chapitre 19

Felicia faisait face à l’Ancien,  Zjök,  Frasca et Valeria autour d’une table de la Croce Nera. Elle avait l’autorité, pour une fois, et avec l’accord de Sid en plus. Elle avait convoqué Valeria, ne souhaitant pas être seule au milieu des Doyens.

– Depuis le raid de Bialvo, les vampires se tiennent tranquilles, dit Zjök. Zjök pense que Sidney pourrait laisser les vampires des catacombes en paix tant que le statu quo est en place.

Frasca hocha la tête. Elle semblait moins autoritaire depuis que Sid lui avait fait comprendre qu’elle devait rester à sa place. Elle donnait peu son avis et se contentait d’approuver certaines décisions d’un signe de tête. Shadow était persuadée que la Sorcière Blanche boudait. L’Ancien répondit à Zjök :

– Ce n’est qu’une trêve. Si Sid a envoyé un signal à Giacco et  sa troupe et que ceux-ci se disent qu’ils l’ont sous-estimé, tant mieux. Mais ça ne durera pas, ils sont sûrement en train de digérer le choc ; d’ici un mois ou deux, ils auront remanié leur stratégie et attaqueront encore plus fort. Lino n’a pas réussi à effrayer son frère et pourtant, elle a organisé de nombreuses actions de ce genre. Ça m’étonnerait que cela suffise pour forcer Giacco à se terrer dans ses catacombes. On est toujours surpris quand un insecte pique et qu’on ne s’y attendait pas, non pas que je dise que Sidney est un insecte, mais c’est ainsi que pensent les sbires de Giacco. La question la plus importante est: quand ces énergumènes se sentiront prêts à frapper à nouveau ?

Shadow dit d’un ton impérieux :

– En tant que Protettrice, je suggère que nous continuions les patrouilles. Pendant que nous étions au Fort, vous avez très bien réussi à dissuader les vampires de foncer sur les mortels.

Frasca marmonna :

– C’est ce que Sid a dit l’autre jour à la Nécropole, ne t’attribue pas ses mots et ses idées.

– Tu as quelque chose à dire, Frasca ? demanda Shadow.

– Non, je pense que ton idée est très bien.

La dragonne ajouta :

– C’est sûrement ce que Sid veut, il ne devrait pas avoir besoin de trop de temps au Fort ou chez les loyalistes, mais en attendant son retour, agissons comme nous le faisions auparavant. Valeria, tu vas aller avec l’Ancien et Frasca, vous vous occuperez du sud de la Vallée:  les villages de Pordio, Capriggio et Bialvo. Zjök et moi, accompagnés de ce qu’il reste de la Garde Nessonienne, nous veillerons sur Spadina, Saffro et Volpino…

« La question la plus importante est: quand ces énergumènes se sentiront prêts à frapper à nouveau ? »

 

Un elfe entra en trombe dans la Croce Nera. Shadow avait choisi de tenir sa réunion l’après-midi afin de ne pas être dérangée. Malgré la fuite de la clientèle résultant en premier lieu de l’absence de Sid et des descentes d’exorcistes (qui avaient cessé depuis le retour de l’Ange Noir), et ensuite des récentes attaques de vampires, la Croce Nera accueillait toujours une dizaine de visiteurs occasionnels, les elfes n’en faisaient cependant pas partie. Ils préféraient la sécurité de leur cité sous la montagne, Fjörstad, à mi-chemin entre Pordio et Capriggio. L’elfe était exténué, ses cheveux vert bouteille lui tombaient devant le visage, il avait couru pour venir au bar.

– Des vampires, plus d’une cinquantaine ! Sur les flancs du Monte Gattino ! Nos sentinelles ont vu cette colonne noire marcher en direction du nord de la Vallée, le prince Gürk m’a immédiatement ordonné de venir voir si je trouvais quelqu’un ici. C’est presque une armée !

Shadow fit signe aux autres de la suivre. Ils coururent vers le point d’observation se trouvant sous l’église San Salvatore de Capriggio. Shadow sortit de sa poche des jumelles qui ne la quittaient jamais depuis qu’elle s’était proclamée Protettrice. Elle regarda en direction d’une sorte de serpent noir filiforme surgissant hors de la forêt du Monte Gattino. Elle dit :

– Ils marchent sur Saffro, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’ennemis.

Frasca lui prit les jumelles des mains en demandant sèchement :

– Et comment le sais-tu ?

Shadow répondit :

– Parce que si ce sont des vampires de Giacco, je dirais que Sidney, Alberto et Vittoria sont devenus étonnamment dociles. Regarde qui mène de la troupe.

Frasca regarda à travers les jumelles. Des dizaines de vampires marchaient, levant des bannières rouges et noires, portant de vieux uniformes datant de la guerre entre vampires et sorcières. La Sorcière Blanche se mordit la lèvre en pensant à la dernière fois qu’elle avait vu pareil défilé. Ce n’était pas un de ses meilleurs souvenirs. Cependant, à la différence de l’armée des vampires ayant marché sur Treghia, les membres de la troupes semblaient mal nourris, comme s’ils avaient vécu les uns sur les autres durant des siècles.

« Des vampires, plus d’une cinquantaine ! Sur les flancs du Monte Gattino ! »

 

À la tête de la colonne Sid et Alberto souriaient. Frasca comprit qu’il s’agissait des loyalistes se rendant à Fort Cuoresanguinoso. Elle rendit les jumelles à Shadow en racontant ce qu’elle avait vu aux autres. La descendante de Nox dit :

– Ils ont l’air de vouloir traverser Saffro. Malheureusement, je doute que mon oncle et ma cousine ne bronchent pas. Les exorcistes agissent rarement quand il le faut, mais quand il s’agit de poser des problèmes aux innocents, ils sont toujours là. Je vais me rendre à Saffro en moto, en espérant arriver avant les loyalistes. Tu peux dire à ton prince qu’il n’y a rien à craindre, ajouta-t-elle à l’adresse de l’elfe aux cheveux vert bouteille.

– Je viens avec toi, s’exclama Frasca, si les exorcistes n’en font qu’à leur tête, nous ne serons pas trop de deux pour les calmer.

Shadow fit une grimace, et hocha la tête en signe d’approbation. Valeria dit à la Protettrice :

– Je vais à Spadina avec Zjök et l’Ancien pour me charger des exorcistes qui s’y trouvent. Si Gicchi laisse les vampires passer, il ne devrait pas y avoir de problème. Malheureusement, comme tu l’as dit, ces idiots ont tendance à mettre des bâtons dans les roues des mauvaises personnes.

Felicia quitta le groupe suivie par Frasca. Arrivées à la moto, elle lança son second casque à la sorcière en disant :

– Pendant notre séjour au Fort, Alberto a installé une radio dans mes casques, ce n’est pas une raison pour qu’on se tape la causette sur le trajet.

– Comme si tu pouvais avoir une discussion intéressante, maugréa Frasca.

Après un trajet dans un silence presque religieux, uniquement meublé par le son du moteur de la moto de Shadow, elles arrivèrent à destination. Quand elles posèrent le pied à Saffro, elles purent constater qu’un groupe d’exorcistes armés jusqu’aux dents se tenait à l’entrée est du village.

« Les exorcistes agissent rarement quand il le faut, mais quand il s’agit de poser des problèmes aux innocents, ils sont toujours là. »

 

Carletta était à leur tête, accompagnée d’un homme d’une cinquantaine d’années. Il dit d’une voix grave :

– Pas un suceur de sang n’approchera mon village. Tirez à vue dès qu’ils seront dans votre champ de mire !

Un jeune homme dit timidement :

– Selon la sentinelle, Jester est à leur tête et Vittoria, la fille du vigneron de Spadina, se trouve avec eux.

– Leo, Jester est un vampire et je pensais que tu avais compris que l’incendie de Spadina était un règlement de compte entre ces crapules. Par conséquent, la gamine est une suceuse de sang aussi. C’est pour cela qu’il ne faut jamais se fier à l’Ange Noir, bien souvent c’est lui-même un de ces monstres.

Shadow se précipita devant les exorcistes qui pointaient leurs armes à feu en direction de la colonne qui apparaissait au loin. La dragonne tonna :

– Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? Quand Giacco attaque Pordio, vous vous planquez derrière vos rideaux et lorsque un groupe mené par le Protettore arrive pacifiquement vous les attendez avec les flingues et les fusils !

Gicchi, le quinquagénaire, fronça les sourcils en voyant sa nièce. Carletta répliqua sèchement :

– Mêle-toi de ce qui te regarde, Felicia !

– Ces vampires sont des alliés. De plus, Sidney est à leur tête, s’exclama Shadow en donnant un coup dans le pistolet de sa cousine, le faisant voler plusieurs mètres plus loin.

Frasca qui s’était jointe à Felicia ajouta :

– Vous ne voulez pas que l’Ange Noir et Alberto s’énervent, j’en suis sûre. Si une seule de vos balles touche un vampire, vous allez le regretter.

Gicchi poussa Frasca :

– Je ne crains pas les menaces d’une sorcière !

La troupe des loyalistes approchait. Il était possible d’entendre des chants, des rires. Frasca retrouva son équilibre et envoya un coup de genou entre les jambes de Gicchi. Shadow retint Carletta qui avait dégainé une épée pour défendre son père. Les autres exorcistes étaient distraits par l’altercation entre les deux femmes et leur patronne, mais trop apeurés à l’idée de défier une dragonne et la sorcière reconnue comme étant une des combattantes les plus violentes de la Vallée.

« Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? Quand Giacco attaque Pordio, vous vous planquez derrière vos rideaux et lorsque un groupe mené par le Protettore arrive pacifiquement vous les attendez avec les flingues et les fusils ! »

 

Le chant des loyalistes devenait plus fort, des chansons issues des différents peuples du Val Nessona, entonnées par un peuple retrouvant la lumière et sa dignité. Le tapage provoqué par les exorcistes, Felicia et Frasca, ainsi que la rumeur des chants et des rires des vampires avaient attiré les habitants de Saffro hors de chez eux. Un chant semblait se détacher du tumulte émanant de la colonne de vampires :

Ne crains nullement la nuit, dans le ciel brillent les étoiles.

Non, n’aie pas peur du soir, ici veille l’Ange Noir.

Ne crains nullement la nuit, je suis là à tes côtés,

Sous le ciel aux milles étoiles du Val Nessona.

Couplet auquel répondaient d’autres vampires :

Je ne crains pas la nuit, dans le ciel brillent les étoiles.

Non, je ne crains pas le soir, ici veille l’Ange Noir.

Je n’ai pas peur du noir, car tu es à mes côtés,

Sous le ciel aux milles étoiles du Val Nessona.

Cette rengaine était chantée à tue-tête par les vampires entrant dans Saffro sans que le moindre coup de feu ne fusse tiré, les Gicchi toujours aux prises avec Shadow et Frasca et les exorcistes, Zaretto en tête, impressionnés par le nombre de vampires mené par Sid. Gicchi hurla :

– Qu’est-ce que vous attendez pour tirer ? Bande de poules mouillées !

À peine certains exorcistes avaient armé leurs fusils et pistolets qu’un groupe de citoyens de Saffro se mit entre eux et les vampires. Une femme d’un certain âge sermonna Gicchi :

– Que vous nous protégiez contre les monstres ayant incendié une maison à Spadina, c’est tout à votre honneur, mais ne voyez-vous pas que la plupart de ces gens sont affamés et trop faibles pour nous nuire ?

Un homme aux cheveux bruns encadrant un visage aux traits communs avec Felicia ajouta :

– Tu n’allais quand même pas tirer sur l’Ange Noir, Alessandro !

– La ferme, Mirelli, hurla Gicchi à l’homme qui n’était autre que le père de Felicia, en dégainant un pistolet et en visant le groupe de vampires. Pas un suceur de sang ne sortira de ce village vivant !

Qu’est-ce que vous attendez pour tirer ? Bande de poules mouillées !

 

Gicchi allait appuyer sur la gâchette quand le meneur des vampires apparut devant lui. Sidney se retrouva avec le canon de l’arme de l’exorciste pointé droit sur son torse. Il dit calmement :

– Bien sûr qu’il allait tirer sur moi. Ce vieil aigri ne supporte pas l’idée d’être impuissant. Tuer l’Ange Noir ou un vampire lui aurait donné l’impression d’être capable de grandes choses, même s’il n’est qu’un mortel.

Sid désarma Gicchi d’un revers de la main en s’adressant au syndic de Saffro :

– Je vais être très clair, ces vampires sont sous ma protection et je suis leur chef. Si un de vos exorcistes touche à un membre de mon peuple, je m’assurerai de dissoudre votre Ordre que ce soit dans le sang ou dans le calme. Je suis l’Ange Noir du Val Nessona et un homme de parole. Tant que vous vous tenez tranquille, vous pouvez continuer à jouer les miliciens anti-nocturnes si ça vous amuse, au moindre problème, je m’occupe de votre cas.

L’exorciste cracha :

– L’Ange Noir disparaît pendant cinq ans et revient nous donner des ordres après avoir mené une armée de vampires aux portes de notre village. Sans nous, ta désertion aurait eu des conséquences désastreuses.

– Pendant cinq ans, vous vous êtes contentés de jouer aux cow-boys et de faire les fiers à la Croce Nera. Si vous aviez fait ce que vous prétendiez, il y aurait eu moins de morts. Alors retournez à vos chasses aux trolls et laissez-nous faire notre travail. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il y a une guerre entre vampires, avec d’un côté un tueur sanguinaire ne se refusant pas à boire le sang des mortels et de l’autre, nous, qui ne toucherons jamais à vos concitoyens. Et si un de mes vampires a le malheur de le faire, il en répondra devant moi. Je vous laisse deviner ce qui vaut mieux pour vous.

Niccolò s’approcha :

– Le morceau que nous chantons a été composé par Nox pour rassurer les mortels effrayés par les dégâts de la Grande Guerre Nessonienne et pour les encourager à ne pas nous craindre. Notre ancienne cheffe, l’ancêtre de Jester, en a fait un chant populaire pour notre peuple. Nous ne désirons pas être craints, ne pourrions-nous pas être amis ?

Gicchi lança un crachat au visage du vampire. Sid pointa Kustu sur le père de Carletta :

– Je ne répéterai pas mon avertissement, c’est la dernière fois que vous vous en prenez à un nocturne.

« Tant que vous vous tenez tranquille, vous pouvez continuer à jouer les miliciens anti-nocturnes si ça vous amuse, au moindre problème, je m’occupe de votre cas. »

 

Sid prit Niccolò par l’épaule et le rassura :

– Il y a des cons partout, c’est encore plus vrai dans cette Vallée. Ne t’inquiète pas, tous les mortels ne sont pas comme eux, regarde !

Les habitants de Saffro qui s’étaient interposés entre les vampires et les exorcistes amenaient des vivres aux loyalistes. La vieille femme ayant tenu tête à Gicchi tendait un panier plein de biscuits aux quelques enfants faisant partie de la compagnie. Elle regarda Sidney et dit :

– Je ne pensais pas qu’un jour ce fou de Gicchi menacerait directement l’Ange Noir. Tenez, prenez aussi un biscuit, Jester, vous avez l’air affamé, bien que moins que ces pauvres enfants. Vous aussi, prenez-en un, ajouta-t-elle en enfilant un cookie dans la main de Niccolò.

– Merci, Signora, dit Sidney. Je ne pensais pas que vous seriez aussi accueillants avec nous, même si vous n’êtes pas du côté de Gicchi.

– Vous êtes des vampires et ce peuple a mauvaise réputation; moi, je vois surtout des gens ayant souffert, de jeunes personnes affamées, des enfants découvrant le monde. Il faudrait être sans cœur pour ne pas vouloir vous aider.

Sid remarqua que les vampires s’étaient arrêtés en voyant Frasca, qui semblait les inquiéter beaucoup plus que les exorcistes. La sorcière paraissait mal à l’aise, comme paralysée face aux loyalistes. Difficile de dire qui de Frasca et des vampires était le plus pétrifié. La Sorcière Blanche était armée de son épée à la garde en ivoire, son bouclier sur le dos et ses protections sur les bras et les jambes. Shadow, qui avait rejoint Sidney, murmura :

– Tu penses que la blondinette va faire une overdose de vampires ?

Le Protettore siffla :

– Ne rends pas les choses plus compliquées. J’ai l’impression de voir un chien faisant face à une armée de chats.

Une des enfants des loyalistes sortit du groupe et s’approcha de Frasca. Celle qui semblait être la mère de la fillette appela :

– Lisa, reviens !

Sans écouter sa mère, la petite vampire continua de marcher vers la sorcière. Cela semblait presque irréel, comme si ce qu’il se passait autour de l’enfant s’était figé dans le temps: les exorcistes aux mines déconfites et inquiètes, les habitants de Saffro, les vampires fixaient tour à tour Lisa et Frasca. Quand la vampire arriva en face de la sorcière, elle lui tendit un des biscuits de la vieille dame, en la regardant innocemment. Savait-elle que la femme dont elle arrivait à la hauteur des hanches était la Tueuse que ses aînés craignaient tant ? Frasca s’accroupit et accepta le biscuit avant de prendre la petite Lisa dans ses bras. En se relevant, la sorcière déglutit. Ce qu’elle allait dire était mal assuré, comme si elle ne s’était jamais attendue à prononcer ces mots :

– Mon peuple et le vôtre ont eu des différends, et même si je ne suis pas une sorcière de Treghia…

Ces derniers mots semblaient être désapprouvés par quelques vampires plus âgés, grimaçant et lançant des regards désapprobateurs à Frasca. Jester en prit note, il désirait toujours découvrir le secret de la sorcière. Il écouta Frasca continuer :

– … j’ai moi-même quelques contentieux avec les vampires, principalement ceux de Giacco. Mais laissons le passé derrière nous, si Sidney vous protège, moi aussi. Il est temps pour nous d’aller de l’avant. Vous n’avez rien à craindre de moi. Si Sidney me fait confiance, vous devez en faire de même.

« J’ai l’impression de voir un chien faisant face à une armée de chats. »

 

Shadow souffla :

– Elle est gonflée de se cacher derrière ton amitié envers elle.

Sid la calma :

– C’est Frasca, comme tu le dis, elle aime légitimer son autorité. Une fois que Giacco aura eu son compte, nous fouinerons du côté de Treghia. C’est mon amie, mais elle sait tout de moi, alors que je ne sais rien d’elle, et maintenant que tu m’as parlé de ses tendances autoritaires, je ne vois plus que ça et j’ai envie de savoir d’où ça lui vient.

Un vampire cria à Frasca :

– Nous te ferons confiance si tu lèves ta malédiction de tabou !

Voyant que la Sorcière Blanche ne comptait absolument pas lever son sort, Sid intervint :

– Vous n’êtes pas obligés de faire confiance à Frasca, mais vous m’avez reconnu comme chef. Si elle s’en prend à l’un d’entre vous sans raison, elle devra en répondre devant le chef du Conseil des Six et devant l’Ange Noir. Il en va de même pour les exorcistes, la Garde Nessonienne ou quiconque dans cette Vallée. Je ne laisserai jamais une injustice commise contre un innocent impunie, et en tant que chef du Conseil, je vous dois une attention particulière. Continuons notre route, Fort Cuoresanguinoso nous attend !

La compagnie reprit sa marche. Frasca s’approcha de Sid :

– Je ne vois que cinq chefs de clan, toi compris, où est le sixième ?

– Je ne sais pas, dit Jester en haussant les épaules.

Shadow et la sorcière marchaient devant la troupe de vampires avec Sid, Alberto et les chefs de clan. Les vampires avaient repris leurs chants. Quelques autochtones marchaient avec les vampires. Alberto, impassible à Saffro, prit la parole :

– On ne m’avait pas parlé de ce sort de tabou, Fraschetta. Tu es bien déterminée alors que ton secret n’est pas si terrible que ça.

– Tu es la dernière personne à pouvoir juger les secrets des uns et des autres, entre le sexe de Lino, tes manigances pendant les différentes guerres et tous les mystères entourant ton arrogante et suffisante personne, siffla Frasca.

– Au moins, si quelqu’un, un genre de chasseur de secrets, interroge les bonnes personnes, il peut éclaircir le brouillard autour de mon passé. Dois-je préciser que je n’ai jamais tué par plaisir, ma petite sorcière des neiges ?

– La ferme !

Sid frémit quand Alberto mentionna un chasseur de secrets. Il se rappela comment Giacco avait feint d’ignorer les loyalistes vivant parmi les mortels avant de les frapper sauvagement. Mais comment le vampire les avait-il percé à jour ? À moins qu’il n’ait dit ça par hasard… Son regard en coin à Jester indiquait le contraire. Comment diable avait-il découvert ceci ? Sid dit à Frasca :

– Je comprends que tu ne veuilles pas que l’on découvre tes secrets, mais tu es allée un peu loin. Si un jour, je devais apprendre ce que tu caches et que je considère que ça ne vaut pas que mes vampires soient maudits, tu devras lever le sort.

Shadow ajouta :

– Tu as de la chance que Sid soit compréhensif. Si cela ne tenait qu’à moi, je t’ordonnerai de lever le sort immédiatement.

La sorcière fusilla Felicia du regard :

– Il y a peu, tu aurais dit le contraire de ce que disait Sid par principe, maintenant tu sembles être devenue sa groupie. Bien sûr, le fait qu’il soit chef des vampire et qu’il ait démontré que tu ne lui arrivais pas à la cheville n’y est pour rien.

Shadow tapa à l’arrière de la tête de la sorcière :

– Tu me traites d’arriviste ? Alors qu’il y a à peine quelques minutes, tu te cachais derrière la confiance que Sid te porte pour te légitimer auprès des loyalistes ?

Alberto soupira :

– Cessez de vous battre, vous vous ridiculisez devant le Conseil des Six.

« Je ne laisserai jamais une injustice commise contre un innocent impunie, et en tant que chef du Conseil, je vous dois une attention particulière. »

 

Une fois arrivée à Spadina, la compagnie trouva Valeria, l’Ancien et Zjök devant un groupe d’exorcistes assommés et gisant sur le sol. Zjök dit joyeusement :

– Ils avaient reçu l’ordre de tirer sur tout nocturne s’approchant du village. Malheureusement pour eux, les exorcistes sous-estiment toujours leurs adversaires.

Valeria prit Sid dans ses bras :

– Je suis contente de te voir ainsi. Il y a quelques semaines, quand j’ai été la première à te revoir après ces cinq ans d’absence, on aurait dit que tu portais tous les malheurs du monde sur les épaules et maintenant, regarde-toi ! Tu es rayonnant !

Jester lui murmura :

– Je dois te parler en privé, au Fort.

L’Ancien alla à la rencontre de certains loyalistes qui l’avaient connu quand il était aux côtés de Sangue et leur serra la main, un grand sourire sous sa barbe grise. Zjök et Alberto s’étaient mis de côté pour discuter. La marche vers le Fort progressa avec ces trois nouveaux compagnons. Une fois devant le fort, Alberto dit à Sid :

– Il faut marquer le coup, fais un discours !

Jester marmonna :

– Je ne suis pas un homme à faire des discours. Je suis trop timide.

Niccolò, qui, comme les autres chefs de clan, se trouvait aux côtés de Sid, se mit devant les loyalistes et s’exclama d’une voix assez forte pour que tous l’entendent :

– Mes frères et sœurs ! Aujourd’hui est un grand jour pour les vampires du Val Nessona ! Hier soir, nous nous couchions sur de la paille à même le sol dans notre petit souterrain du Monte Gattino, les uns sur les autres. Nous nous contentions de ce que certains d’entre nous ramenaient de rares escapades à Locarno ou à Ascona, pour nous nourrir et rester en contact avec le monde, nous informer de comment il évoluait. Mais ce soir, nous rentrons chez nous !

La foule de vampires cria de joie, avant que le chef des Maninere ne les calme d’un geste de la main :

– Je n’ai jamais connu l’âge dont les vieux nous parlaient, où notre peuple vivait, prospère, dans ce fort et à travers toute la Vallée. Je n’ai jamais rencontré la grande Lino, mais je suis fier de me tenir au côté de son héritier, Sidney Bloodheart, le Protettore du Val Nessona et le chef du nouveau Conseil des Six. Un vampire de sang noble qui a accepté un vampire de bas lignage comme moi à la tête d’un de ses clans. Nous n’allons pas rétablir l’âge d’or des histoires de nos plus anciens compagnons, nous écrirons le nôtre, une nouvelle ère où nous n’aurons plus peur de sortir, craignant de nous faire égorger par une sorcière ou par un des traîtres de Giacco, où nous n’aurons plus jamais faim, où tous les vampires seront égaux et le Conseil au service de son peuple. Notre temps est venu !

Les vampires lui firent une ovation. Niccolò était un tribun, un leader, plus que Sid, mais en regardant son Conseil, l’Ange Noir constata sa richesse : les talents administratifs de Vittoria, la fougue et le leadership de Niccolò, la noblesse et la modestie de Massimo et si Rosanna tenait de sa mère, son autorité et sa combativité seraient de bon secours. Il ne manquait plus que la cheffe du clan Lunascura, qui, si elle l’acceptait, qui pourrait amener un regard plus en phase avec la réalité de la Vallée et de la communauté nocturne ainsi que ses talent de mage.

« Ce soir, nous rentrons chez nous ! »

 

Sid continua le discours de Niccolò :

– Notre temps est venu mais une chose à la fois : vous allez rentrer dans le Fort, mais je ne sais pas ce que chacun peut amener à notre peuple. Une fois installés, les chefs et leurs familles dans leurs quartiers, les autres dans les dortoirs, vous irez vers votre chef de clan. Les Lunascura iront vers Alberto. Vous déclarerez ce que vous pouvez nous offrir : si certains savent coudre, ils confectionneront de nouveaux uniformes et rafistoleront les anciens, ceux qui savent ou qui veulent apprendre à se battre seront nos soldats, qui veut cuisiner, cuisinera et ainsi de suite. Je rappelle, malheureusement, en ce grand jour, qu’en me rejoignant vous entrez en guerre contre les traîtres de Giacco à cause des quels vous avez dû vous terrer au Monte Gattino. Ceux qui ne souhaitent pas rejoindre les soldats seront aussi tenus d’apprendre à se battre au moins un minimum. Nous avons la chance d’avoir avec nous Alberto Cuoresanguinoso et plusieurs vétérans des dernières guerres de notre peuple qui pourront partager leur expérience. Sur cette note grave mais nécessaire qui, j’espère, ne ternira pas le souvenir de ce jour, je vous souhaite la bienvenue à Fort Cuoresanguinoso !

Alors que les vampires commencèrent à prendre leurs quartiers, Sid prit Valeria à part dans sa chambre dans l’aile des Cuoresanguinoso.

par

Illustration :