Chapitre 5

Alberto s’installa dans une grotte se trouvant au flanc du Monte Friccio. Il décida de se montrer discret, son retour risquant de diviser encore plus la communauté nocturne et également d’agiter les vampires. Cependant, Frasca avait convaincu Sidney de discuter du retour du patriarche de son clan avec l’Ancien. C’est ainsi que quelques jours après leur rencontre avec Alberto, Sid retrouva Frasca devant la Croce Nera. La sorcière était équipée comme pour combattre, elle l’attendait adossée à un arbre, les bras croisés.

– Pour parler avec le Vieux, tu n’as pas besoin de tes protections, ricana Sid en ouvrant le bar.

Frasca le suivit dans le tunnel menant à l’établissement de Camilo en répondant :

– C’est qu’il n’y a pas que le Vieux qui nous attend. Il y a aussi Zjök et Felicia. Cette petite idiote est allée raconter à l’elfe qu’Alberto était de retour. Et comme je ne supporte pas cet inconscient, je me suis armée pour le faire taire si besoin.

Sid n’avait jamais vraiment eu affaire à Zjök. L’elfe ne parlait jamais de façon très claire. D’ailleurs, Jester se demandait comment Shadow avait fait pour réussir à suivre toute une formation avec lui. Tout ce que le Protettore savait de l’elfe, c’était qu’il avait assassiné Oscuro – l’Ange Noir Maudit et seul elfe à avoir occupé cette fonction – et qu’il était le frère de celui-ci. Nabero avait convaincu le frère de Zjök, aveuglé par une soif de puissance démentielle, de se joindre à lui et le mentor de Felicia avait décidé de mettre un terme à la folie de son frère de façon définitive.

« Cette petite idiote est allée raconter à l’elfe qu’Alberto était de retour. »

Sid et Frasca pénétrèrent dans le bar et virent l’Ancien attablé dans un coin en compagnie de Felicia et son mentor. Zjök avait la peau très pâle, crayeuse, caractéristiques des elfes, et portait un long manteau à capuchon brun. Ses yeux gris, brillants tels la lune dans les nuits d’été, étaient soulignés de grosses cernes sombres comme s’il n’avait pas dormi depuis plus d’un siècle. Frasca s’assit en face de lui en adressant un regard noir à Shadow. Sid prit la chaise à la droite de l’Ancien, tout en faisant un geste à Camilo pour lui commander quelque chose à boire. Frasca dit froidement à Felicia :

– L’elfe n’était pas obligé de venir.

La Protettrice ricana :

– C’est mon mentor, l’Ancien est le professeur de Jester ; la seule qui n’est pas à sa place ici, c’est toi.

Zjök corrigea son élève d’une voix lointaine et rêveuse :

– Frasca a tout à fait sa place à cette table. Elle était présente quand vous avez rencontré Alberto et c’est une membre importante de notre communauté. De plus, c’est une amie de Jester. Zjök t’a appris à respecter ceux qui sont là depuis plus longtemps que toi, Shadow.

La sorcière répondit sèchement :

– Ne pense pas que je ne peux pas me défendre toute seule, vieil elfe.

– Je sais que tu peux te défendre. Mais c’est le rôle de Zjök de rappeler à son élève que tu n’es pas une simple sorcière, mais une des doyennes du Peuple de la Nuit et une de nos plus brillantes combattantes, répondit l’elfe en souriant.

Frasca renifla de façon méprisante. Son animosité pour Zjök était de notoriété commune. Elle le considérait comme un professeur inconscient du danger auquel il exposait ses élèves. C’était elle qui avait préféré remettre sa soeur sous la garde de l’Ancien. L’elfe ne semblait pas lui en tenir rigueur, continuant à soutenir les Anges Noirs en cas de besoin. En revanche, Frasca répétait souvent à qui voulait l’entendre que Zjök avait sans aucun doute été de bon conseil, mais qu’il avait fini par devenir sénile. L’Ancien lança la discussion :

– Nous sommes réunis ce soir parce que vous avez rencontré Alberto Cuoresanguinoso, l’autre jour. Je ne connais pas personnellement Alberto, il a disparu une bonne cinquantaine d’années avant ma naissance, ainsi je me suis montré favorable à ce que Zjök soit présent ce soir. Ce que je sais d’Alberto, je le tiens de mon père adoptif.

Sid ne savait rien du passé de l’Ancien, en dehors du fait qu’il avait formé ses deux prédécesseurs directs, Malissia et Lunos, et qu’il avait grandi jusqu’à six ans chez un oncle alcoolique qui le battait. Le vieil homme avait toujours éludé les questions sur le sujet. Devant le regard interrogateur de Jester, l’Ancien dit simplement :

– Mon passé ne te regarde en rien. Mais vu la situation, je pense qu’il est nécessaire d’éclaircir ce point. A six ans, j’ai été sauvé par le Protettore en fonction, Sangue, de son vrai nom Vilius Cuoresanguinoso, alors que mon oncle allait me faire tomber d’une falaise. Il m’a accueilli provisoirement chez lui, à Volpino. Mais les jours sont devenus des semaines, et les semaines des mois. J’ai passé toute ma jeunesse au côté du plus jeune fils d’Alberto, ce qui m’a rendu légitime, aux yeux de Frasca, pour devenir le mentor de sa dinde de sœur, de ce froussard de Lunos et du jeune crétin que tu es.

Sid fut surpris. Il avait souvent entendu parler de Sangue comme étant un misanthrope notoire, alors l’imaginer adopter un petit garçon était difficile à croire. Dans ses journaux, le Protettore vampire ne parlait jamais d’un fils adoptif. Après réflexion, Jester se demandait si le caractère aigri de l’Ancien n’était pas dû à sa proximité avec Sangue. Frasca le tira de ses pensées :

– Ouais, bon, tu n’as jamais connu Alberto, mais tu as eu des échos de ce qui se passait quand Sangue vivait chez les vampires, alors que nous, nous ne connaissons que ce que ce diable a bien voulu nous montrer.

Sid prit la bière que Camilo lui tendait, en but une gorgée en grognant :

– La seule chose que je veux savoir, c’est si je peux lui faire confiance selon vous.

Shadow répondit :

– Bien sûr que non, c’est un vampire. Il a tué plus de mille personnes selon les livres, incendié tout un village, sans oublier que tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’il est fou à lier.

Frasca soupira :

– Je te l’ai déjà dit: Alberto n’est pas aussi dérangé que ce qu’il veut faire croire. Si tu veux voir un véritable dingo, regarde ton mentor!

Zjök approuva :

– Alberto est d’une lucidité des plus fulgurantes quand il le faut. Le reste du temps, Zjök t’accorde qu’il est un peu excentrique, Shadow.

L’Ancien ajouta son grain de sel :

– Selon Sangue, Alberto était un bon père et un grand meneur d’hommes. Cependant, rien ne semble l’importer plus que son intérêt personnel. Il ne se range que dans le camp où il pourrait avoir quelque chose à gagner, raison pour laquelle il s’est parfois rangé du côté de Nabero et quelques fois de votre côté. Sangue me disait aussi qu’il était un peu fou, mais qu’il le faisait pour faire rire ses fils principalement.

« La seule chose que je veux savoir, c’est si je peux lui faire confiance selon vous. »

Shadow s’exclama :

– Si c’était un si bon père, comment vous expliquez le cas de Giacco ?

Une main aux longs doigts blancs se posa sur son épaule. Un silence de mort s’était abattu sur la Croce Nera. Tous fixaient la personne se tenant derrière Felicia. Une voix répondit à la question de la jeune fille :

– Giacco est un peu turbulent, mais il tient ça de sa mère.

Un mage d’une trentaine d’années hurla :

– Un vampire !

Zjök se contenta de dire de sa voix rêveuse :

– Bonsoir Alberto, ça faisait longtemps.

Le vampire tourna la tête vers l’elfe et le prit dans ses bras :

– Enfin quelqu’un de poli ! Salut, vieil elfe marteau ! Par gratitude pour ta courtoisie, je retire tout ce que j’ai dit sur toi ces derniers siècles !

Alberto, toujours dans le silence pesant régnant dans la pièce, s’assit à leur table et hurla à l’adresse de Camilo :

– Vallese, car je suppose que c’est toujours un Vallese qui tient cet établissement, un tonneau de ton meilleur vin vampire. J’en ai laissé un de Cuoresanguinoso de 1685 à ton ancêtre, et tu n’as pas intérêt à ce que toi ou un de tes légumes de prédécesseurs y aient touché !

Les vampires étaient friands de sang, mais également de bons vins. Chaque clan avait, selon la légende, son cépage, qu’il cultivait dans un lieu inconnu de tous et tout le monde s’accordait à dire que si les vampires n’étaient pas le peuple le plus fréquentable de la Vallée, ils en étaient de loin les meilleurs vignerons. Camilo courut dans sa réserve aussi vite que son état d’ébriété, à un stade déjà bien avancé, le lui permettait.

« Enfin quelqu’un de poli ! Salut, vieil elfe marteau ! Par gratitude pour ta courtoisie, je retire tout ce que j’ai dit sur toi ces derniers siècles ! »

Alberto regarda l’assemblée d’une vingtaine de clients et tonna :

– Oui, je suis Alberto Cuoresanguinoso, et si vous me connaissez, même de nom, vous savez ce qui vous attend si vous continuez à me fixer bêtement.

Un centaure présent dans la pièce bomba le torse. Les centaures étaient un peuple bagarreur, toujours à la recherche d’un défi à relever. Il s’approcha d’Alberto :

– Il se trouve que je ne sais pas ce qui m’attend, vampire.

Un autre centaure tenta de le faire reculer en disant :

– Garz, je le connais et ce n’est pas une bonne idée.

Voyant que ses efforts ne suffiraient pas, le second centaure tenta de discuter avec le vampire qui était d’un calme olympien :

– Excuse-le, Alberto, Garz a un peu bu, il ne sait pas trop ce qu’il fait.

Alberto lui sourit :

– Ce n’est pas grave, je suis trop impatient de goûter mon vin pour lui en tenir rigueur. Par contre, s’il a le malheur de me toucher, je serai obligé de le tuer… Pour l’exemple, tu vois.

Le centaure tenta de calmer le dénommé Garz. Le ton d’Alberto était à la fois convivial et cruel, il faisait froid dans le dos. A sa voix, Sid savait que son ancêtre n’hésiterait pas à exécuter froidement Garz. Il lui fit signe de rester tranquille. Le Protettore se leva et rejoignit les deux centaures, sous les yeux d’une clientèle friande de bagarres de bar. Sid dit dans une tentative d’apaisement :

– Fais sortir ton ami d’ici. Je ne veux pas d’un bain de sang.

Garz tonna :

– Tu es qui pour donner des ordres, Ange Noir à la noix, pas foutu de protéger ta Vallée !

Sid prit son courage à deux mains. Il était conscient de la stupidité de son geste: frapper un centaure à mains nues, c’était le défier, et personne n’était assez fou pour défier un centaure, à quelques exceptions, comme la sœur de Frasca. Mais c’était peut-être le seul moyen de le calmer. Sid ne voulait pas frapper avec la Magie Argentée ou son épée. Selon les lois centaures, c’était un manque de respect condamnable et Jester ne voulait pas se mettre un peuple entier à dos. Il prit son élan et envoya son poing droit dans le visage de Garz. Le second centaure recula. Sid tenta d’afficher une expression déterminée, malgré la peur le prenant au ventre et la douleur paralysant sa main (les os de centaure étaient beaucoup plus durs qu’il ne l’avait imaginé). Il dit, avec une autorité feinte :

– Soit tu dégages, soit tu te calmes !

Sid avait fait un œil au beurre noir au centaure qui cracha par terre en tournant le dos. Le Protettore retourna s’asseoir, avec une fierté apparente. Camilo avait déposé un tonneau à coté d’Alberto. Le vampire sirotait un vin à la robe écarlate. Shadow grogna :

– Tu es content ? Tu as fait ton petit effet ?

Jester reprit sa bière et répliqua :

– Je viens d’éviter que ce centaure ne se fasse tailler en pièces. C’est mon rôle de Protettore, et accessoirement le tien, vu que tu as tenu à être la protectrice de cette vallée. Alberto, je pensais que tu ne voulais pas diviser la communauté en te montrant.

Le vampire sourit en posant son verre de vin :

– Pourquoi me cacher ? Et puis cela ne se fait pas de parler des gens dans leur dos, je me suis permis de m’inviter à votre petite réunion. Je ne pensais pas voir mon descendant mettre une droite à un centaure ivre, mais c’était divertissant. Je disais donc que Giacco tient de sa mère, d’où son caractère difficile.

Frasca soupira :

– Laisse-moi deviner… c’est une sorcière ?

Alberto jubila :

– Comment as-tu deviné ?

La Sorcière Blanche leva les yeux au ciel :

– Laisse tomber.

Les sorcières et les vampires se méprisaient depuis les temps les plus reculés. Certaines légendes disaient que la cause de cette animosité était leur volonté d’être les meilleurs serviteurs de Nabero. Mais la vérité, selon l’Ancien, c’était que les vampires considéraient les sorcières comme arrogantes et superficielles, et aux yeux des sorcières, les vampires passaient pour de vulgaires ivrognes, juste bons à obéir à leurs chefs. Il était vrai que les sorcières possédaient une culture riche. Même si celles de Treghia n’avaient jamais été très appréciées avant leur disparition.

« Je disais donc que Giacco tient de sa mère, d’où son caractère difficile. »

Elles évitaient de provoquer les Protettori, conscientes de posséder un patrimoine d’envergure. Treghia était à l’époque dirigée par la Reine des Sorcières et peuplée de ses sujets, ainsi que d’hommes promettant allégeance à la monarque. Les sorcières aimaient les arts et le Palais de Treghia était un chef-d’œuvre architectural. Elles étaient distinguées et élégantes, même avec leurs tenues de couleurs ternes, à ce qu’avait lu Sid. En revanche, les vampires vivaient cachés. Selon les rumeurs, Alberto avait fait construire un fort au moins aussi grand que le Palais de Treghia, sur les flancs d’une montagne. C’était là que vivraient les vampires, mais Sangue ne faisait jamais allusion à ce fort dans ses journaux, situant la cachette de ses semblables dans les catacombes de Spadina, le village le plus proche des Monts Sans Noms. Les vampires devaient leur réputation d’ivrognes à leurs activités viticoles et à leurs nombreuses fêtes organisées au cours de l’année.

– Quoi qu’il en soit, dit Alberto, Sid ne battra jamais Giacco s’il n’apprend rien de notre culture et de nos techniques de combat. Etant son ancêtre, je me propose de prendre la suite de sa formation.

Shadow grogna :

– Tu veux transformer l’Ange Noir en un psychopathe dans ton genre ?

Alberto rigola :

– Non, il ne sera jamais aussi parfait que moi. Mais je vais faire ce que je peux.

Frasca s’adressa à l’Ancien :

– Je refuse que Jester reste seul avec ce malade.

Le vieil homme se caressa la barbe. Son regard passait d’Alberto à Jester. Il dit d’un ton calme :

– Si la moitié des choses que l’on raconte au sujet d’Alberto est vraie, il aurait nui dès son arrivée. De même que s’il a véritablement suivi Sid dix ans, il aurait pu le tuer à Lausanne, alors qu’il était sans défense et en proie à ses problèmes de santé.

Zjök approuva :

– Alberto n’a jamais été notre ennemi. Zjök est d’avis de faire confiance à Alberto. D’autant que Sid est un vampire et ne pas profiter pleinement des avantages que lui confère son lignage serait du gâchis. Mais le choix revient à Sid, nous n’avons pas à choisir à qui il accorde sa confiance.

Sidney regarda son ancêtre. Malgré son attitude infantile et parfois cruelle, il semblait digne de confiance et prêt à l’aider. Sid proposa :

– Zjök a raison. Je suis le descendant de Lino et l’Ange Noir. Combiner les capacités de l’Ange Noir aux techniques de combat des vampires, qui sont de redoutables stratèges, ne peut que nous apporter des avantages. Cependant, Alberto devra promettre de se plier aux lois de la communauté nocturne, comme, par exemple, ne plus boire de sang humain ou éviter de tuer tout ce qui ne lui plaît pas.

Frasca croisa les bras et répéta :

– Je ne te laisse pas seul avec lui.

Le patriarche du clan Cuoresanguinoso proposa joyeusement :

– Et si je donnais des cours à Sid, mais à la Nécropole des Protettori ? Aucun mal ne peut entrer là où reposent les gardiens du passé ; si je peux y entrer, vous verrez que mes intentions sont bonnes. Ainsi Sidney ne sera pas seul avec moi.

La Nécropole se trouvait au sommet du Monte Friccio qui surplombait Capriggio. C’était une immense pièce souterraine où gisaient tous les Protettori ayant précédé Jester. Tous, excepté le frère de Zjök, Oscuro, le maudit, qui était enterré dans un immense caveau au cimetière de Capriggio. Sid avait dû se rendre à la Nécropole pour sa formation, pour écouter les conseils de ses prédécesseurs.

« Alberto devra promettre de se plier aux lois de la communauté nocturne, comme, par exemple, ne plus boire de sang humain ou éviter de tuer tout ce qui ne lui plaît pas. »

Car les Anges Noirs reposant en ce lieu revenaient sous la forme de fantômes. Jester n’avait rencontré que quelques-uns de ces revenants enfermés dans la Nécropole, la plupart des anciens Anges Noirs partageant l’avis de ceux qui ne voyaient en Sidney qu’un Protettore peu sérieux et sans talent. Ceux qui daigneraient se montrer pourraient garder un œil sur Alberto. Sid accepta donc la proposition de son ancêtre.

– Vous allez voir, clama Alberto, le gamin geignard que vous connaissez laissera place à un des meilleurs guerriers que la Vallée ait portés.

Alberto fixa un rendez-vous le soir suivant au cœur de la Nécropole.

La soirée continua. L’Ancien et Alberto discutaient de Sangue, Zjök et Shadow étaient partis en patrouille et Frasca et Sid étaient accoudés au bar. Jester nota :

– Je ne pensais pas que la haine entre sorcières et vampires était si forte. Je croyais que ce n’était qu’une légende.

Frasca fit une grimace et but une grande gorgée de son verre d’hydromel. Elle indiqua Alberto du doigt par dessus son épaule :

– C’est lui qui est particulièrement odieux avec les sorcières. Soi-disant que nous ne serions que des mégères en armure. C’est les sorcières de Treghia qui considéraient les vampires comme des moins que rien. Quand je vois Alberto, je me dis qu’elles avaient raison. Mais je m’entendais parfaitement bien avec certains vampires. Non, c’est vraiment Alberto le problème, ses sbires aimaient briser le cœur des sorcières, encouragés par leur chef. La plupart des chefs de clan actuels ont du sang de sorcière dans les veines, parce que pour les vampires, une sorcière un peu fleur bleue est une conquête facile. Ils sont très beaux parleurs, mais souvent ils disparaissent le lendemain de votre rencontre, reviennent pour prendre l’enfant, si enfant il y a, et s’évaporent à nouveau.

Sid osa :

– C’est du vécu ?

Frasca le frappa :

– Bien sûr que non, c’est arrivé à une de mes ancêtres. Je suis pas assez conne pour tomber dans les bras du premier Don Juan aux canines pointues qui me chanterait la sérénade !

Jester massa la joue ayant reçu le coup de poing. Il changea de sujet :

– Malgré tout, tu ne m’as pas répondu avant l’arrivée d’Alberto. Tu penses que je peux lui faire confiance ?

La sorcière répondit d’un ton absent :

– C’est toi l’Ange Noir. Moi, je n’ai pas à choisir qui tu fréquentes ou pas.

– Frasca, je me fiche de l’avis de Felicia ou de l’Ancien. C’est le tien qui compte, car tu es mon amie, grogna Sid.

Ce fut le moment où Camilo surgit de sous le comptoir, ivre. Il dit à Jester :

– Je suis aussi ton pote, et à mon avis, vu ce que mon père tenait de mon grand-père, qui le tenait de mon arrière-grand-père et qui le… qui le… enfin bref… vu ce que les Vallese précédents m’ont raconté au sujet de ce type, tu devrais lui faire confiance. Un type qui te laisse des tonneaux de vins vampires ne peut pas être fondamentalement mauvais.

Camilo semblait sur le point de vaciller à cause de l’alcool. Frasca le poussa avec un doigt et le barman s’effondra. La sorcière soupira :

– Quand un Vallese dira quelque chose de sensé, Zjök arrêtera de parler de lui à la troisième personne.

– Camilo n’est pas toujours ivre, dit Sid.

Frasca regarda le propriétaire de la Croce Nera affalé sur le sol :

– Il est sobre trop rarement pour que ça entre en ligne de compte. Pour revenir à Alberto, je ne sais pas quoi penser. L’Ancien et Zjök ont raison dans le fond, il est sûrement revenu pour aider. De plus, les dragons seraient garants de sa bonne foi. Mais je n’oublie pas qu’il a tué des innocents et incendié un village entier. Alberto a toujours agi quand il pouvait gagner quelque chose en échange. Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, mais je ne pense pas qu’il va nous aider aussi gratuitement que ce qu’il prétend.

Sid proposa :

– Si ça peut te rassurer, tu peux m’accompagner aux tombes des Protettori demain.

Frasca hocha la tête :

– Non, ça ira. Il va t’apprendre des trucs de vampires et j’ai assez de respect pour toi pour ne pas m’imposer. Je suis déjà rassurée de savoir que Malissia pourra veiller sur toi.

La sœur de Frasca était un des fantômes se manifestant régulièrement quand Sid montait à la Nécropole. Elle était telle que la décrivaient les légendes, c’est-à-dire totalement dingue. Jester resta encore un moment avec Frasca et décida de rentrer chez lui. Il voulait être en forme pour ses leçons avec Alberto. Sid entra dans l’enceinte de sa demeure. Ce qu’il vit sur sa terrasse lui fit avoir un haut-le-cœur : cinq corps mutilés, éparpillés devant sa porte. Le sol était recouvert de sang et d’entrailles. Jester regarda les cadavres. Il y avait deux femmes, deux hommes et ‒ Sid vomit en le voyant ‒ un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de dix ans. Quelqu’un avait mis en scène le cadavre de l’enfant de façon à ce qu’il tienne son propre cœur transpercé d’un poignard dans la main. Le Protettore avait l’impression d’être dans un cauchemar. Il resta debout immobile, ne sachant pas quelle attitude adopter. Tout semblait si irréel, et pourtant c’était bien la réalité. Les coupables n’étaient pas inconnus, ils avaient pris le temps de signer leur massacre. Un grand six était peint avec le sang sur la porte de Sid. Le Conseil des Six avait choisi de lui déclarer la guerre. Mais, pire que ça, une inscription à côté du chiffre indiquait que les vampires étaient au courant de la situation de Sidney :

Bon retour dans la Vallée, Bouffon !

Ils étaient au courant pour son absence et peut-être même qu’ils savaient ce qu’il avait enduré à Lausanne. Les vampires connaissaient la faiblesse actuelle de Jester et comptaient bien le briser en l’utilisant contre lui, comme ils venaient de le faire. Car au milieu du carnage, Sid s’effondra en larmes, se sachant pas prêt à affronter ces ennemis et responsable, par sa faiblesse, de la mort des cinq malheureux gisant sur sa terrasse. Il se sentait faible, impuissant et terriblement coupable. Se souvenant que Felicia et Zjök patrouillaient, il articula avec peine :

Sword of Light !

Une épée de lumière s’éleva dans le ciel, comme une fusée de détresse, alors que l’Ange Noir pleurait sa propre faiblesse.

par

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