L’Ogre de la forêt

Adapté d’un conte paraguayen

Notre histoire se déroule au Paraguay où vivait un couple de jeunes fermiers, répondant aux noms de José et Anina. Ils travaillaient très dur sur leurs terres, mais malheureusement le sol était si sec qu’il en était presque stérile. Ils gagnaient juste assez pour subvenir à leurs besoins, ni plus, ni moins. Mais ils étaient heureux de vivre et d’être ensemble, car ils s’aimaient profondément. José et Anina était de bonnes personnes, toujours prêtes à aider leurs voisins.

Un jour alors que José travaillait dans le champ, un voisin vint toquer à la porte. Anina l’accueillit en lui servant de quoi se désaltérer. Le visiteur dit à la jeune femme :

– Je ne compte pas m’attarder et abuser de ton hospitalité, je venais juste vous informer, toi et ton mari, qu’à une journée de marche, il y a un fermier très riche qui cherche de la main d’oeuvre, il n’a pas assez d’ouvriers pour faire sa récolte.

Il but son verre et s’en alla comme il était venu.

Quand José rentra, Anina lui raconta ce que leur voisin lui avait dit. Le jeune fermier se gratta la tête, sceptique :

– Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

– Mais pourquoi ? demanda Anina, si nous allions travailler là-bas, nous gagnerions mieux notre vie. Nous pourrions manger à notre faim.

José répondit à son épouse :

– C’est vrai que c’est une chance en or, mais la région est habitée par un horrible ogre. Un géant velu à la barbe rouge sang. On raconte que ses pas font trembler le sol, que sa voix effrayerait même le plus courageux des guerriers et que ses yeux lancent des éclairs. Il dévore les hommes et enlève leurs femmes pour les faire travailler pour lui. Le danger est écarté l’après-midi, car c’est le moment de la journée où il dort. Tout le monde le craint, ça ne m’étonne pas que personne ne veuille aller travailler dans le coin.

Anina pouffa :

– Moi, je n’ai pas peur. Je ferai attention de faire les courses l’après-midi et je resterai à la maison le reste du temps. Je t’en supplie, allons travailler là-bas !

Elle insista, énumérant tous les bénéfices que leur offrirait ce travail chez le riche fermier. Si bien, qu’au bout d’un moment, José accepta de quitter leur demeure pour se rendre chez le paysan ayant besoin de main d’oeuvre. Ils prirent le peu de biens qu’ils avaient et quittèrent leur petite maison.

Au bout d’une journée de voyage, ils arrivèrent sur les terres du riche fermier. Celui-ci possédait une grande et belle demeure très éloignée de la forêt. Il avait également engagé des soldats pour repousser l’ogre si celui-ci venait à s’aventurer sur ses terres. On montra à José et Anina une petite maisonnette à l’orée des bois : c’était là-bas qu’ils allaient vivre. Le fermier dit à Anina :

– Vous pourrez vivre ici en toute tranquillité. Cependant, veille bien à ne sortir que l’après-midi, quand l’ogre se repose. Mes hommes vous amèneront de la nourriture, ainsi vous serez ici en sécurité.

Il en fut ainsi. Durant des jours, José travailla dans les champs du fermier. On leur apportait de quoi se nourrir. Ils étaient heureux. Le couple se plaisait dans sa petite maisonnette. Ils ne virent aucun signe de l’ogre. Anina commença même à douter de la véracité des rumeurs à son sujet.

Un jour, il y avait tellement de travail à la ferme que le propriétaire oublia d’envoyer des vivres au jeune couple. Dans l’après-midi, Anina décida d’aller chercher elle-même le repas. José semblait inquiet, il tenta de l’en dissuader :

– Mais ne penses-tu pas à l’ogre ? S’il t’enlevait que ferais-je sans toi ?

Sa femme le rassura :

– C’est l’après-midi, il est censé dormir. De plus, depuis que nous vivons ici, nous n’avons jamais eu aucune preuve de son existence. Grandis un peu, tu n’es plus un enfant ! Si ça peut te rassurer, je serai de retour avant la tombée de la nuit.

Elle partit avec son panier pour chercher la nourriture à la ferme. Elle suivit le long sentier reliant leur maisonnette à la grande demeure du fermier. Ce dernier ne s’attendait pas à la venue de la jeune femme. En la voyant, son visage blêmit. Il bégaya :

– Anina ? Excuse-moi, nous étions complètement débordés. Je n’ai pas pensé à t’envoyer mes hommes.

Il alla chercher du pain et des haricots et les mit dans le panier d’Anina. Il regarda le ciel et proposa :

– Pourquoi ne resterais-tu pas pour la nuit ? Le soleil va bientôt se coucher, pense à l’ogre de la forêt !

La jeune femme ne voulait pas rester chez le fermier, elle craignait que José ne se fasse du souci. Elle prit rapidement le chemin du retour, guettant le soleil qui baissait à l’horizon. Bien qu’elle fût sceptique au sujet de l’ogre, elle s’inquiétait à l’idée de se retrouver nez à nez avec quelques animaux sauvages. Mais à peine fut-elle en vue de la maisonnette, qu’une paire de bras aussi larges que des troncs d’arbre la ceintura et la traîna dans la forêt. Anina vit alors qu’elle était prisonnière d’un immense homme au visage comme taillé dans la pierre, à la barbe aussi rouge que la braise et muni de dents si grandes qu’elles dépassaient de sa bouche. L’ogre la traîna jusqu’à sa tanière où il l’obligea à faire la cuisine et la lessive.

José commençait à s’inquiéter. La nuit était tombée et il n’avait pas vu Anina revenir de sa course. Malgré sa peur de l’ogre, il décida de partir à la recherche de sa femme. Il longea la lisière de la forêt et trouva le panier de la jeune femme gisant sur le sol.

José était désormais sûr qu’elle avait été enlevée par le monstre. Il ramassa le panier et la nourriture et fit demi-tour, il faisait trop sombre pour continuer ses recherches. Il se sentait triste et désorienté. Qu’allait-il faire sans la femme qu’il aimait ? José entendit du bruit sur le chemin :

– Moi aussi, j’ai faim, disant une voix masculine, mais je ne passe pas mon temps à miauler pour le faire savoir.

Il y eut un miaulement sonore en réponse.

José vit un étranger sur le sentier. Vêtu d’un manteau troué et usé par ses voyages, le Magicien se tenait devant lui, en pleine conversation avec Étincelle. Quand il vit José, l’enchanteur s’adressa à lui :

– Bonjour, je suis un conteur errant à travers le monde. Je vois que vous avez de quoi manger. Serait-ce possible d’en avoir ne serait-ce qu’une petite miette pour mon chat et moi.

José qui était quelqu’un de très charitable proposa :

– Accompagnez-moi chez moi, je vous préparerai quelque chose. Je pense même avoir quelques souris dans mon grenier pour votre compagnon à quatre pattes.

Le Magicien le remercia et le suivit jusqu’à sa maisonnette. Alors qu’il se restaurait, José raconta ses mésaventures au voyageur. Le vagabond leva les yeux de son assiette et dit au jeune homme :

– J’ai entendu parler de cet ogre. Si vous m’offrez l’hospitalité pour la nuit, je vous aiderais à trouver la tanière de ce monstre.

José regarda le Magicien avec des yeux ronds :

– Vous n’avez pas peur qu’il ne vous dévore ?

Le vagabond eut un petit sourire en coin et répondit avec gentillesse :

– Je n’ai peut-être l’air de rien, mais j’ai plus d’un tour dans mon sac. Vous verrez.

Le lendemain, les deux compères se levèrent tôt et se mirent en quête de la tanière de l’ogre. Ils ratissèrent la forêt jusqu’à ses plus sombres recoins. Ce fut Étincelle qui trouva la demeure du monstre et appela son maître et José en miaulant. Les deux hommes se cachèrent dans un buisson pour observer. Ils purent voir Anina sortir de la caverne et vider un seau d’eau. Par contre, pas de signe de l’ogre, le monstre restant invisible. José pensa qu’il était parti chasser, il se jeta hors du buisson suivi par le Magicien. Mais à peine furent-ils à moins de dix mètres d’Anina, qu’ils se retrouvèrent plaqués sur le sol par un monstre à la grosse barbe rouge. L’ogre jubila :

– Je vais pouvoir me régaler doublement. Bien que l’une de mes deux prises soit un peu sale et peu ragoûtante.

Le Magicien grogna :

– C’est de moi que tu parles ?

L’ogre ne fit pas attention à la remarque du vagabond. José se mit à crier, alors que son compagnon semblait juste légèrement vexé d’avoir été traité de « sale » et de « peu ragoûtant ». Il lança au monstre :

– Si tu ne me lâches pas, tu te feras mordre par un serpent !

L’affreux ricana :

– Je ne vois pas de serpent, tu me prends pour un idiot ! Vu que c’est comme ça, c’est toi que je vais manger en premier, le jeune homme qui crie enlèvera le sale goût que tu me laisseras dans la bouche.

Étincelle, qui était resté dans le buisson, s’élança en direction de l’ogre. Le Magicien claqua des doigts et le chat se changea en serpent, la plus grande peur du monstre. Le reptile continua de s’approcher de l’ogre qui lâcha ses deux prisonniers.

Le vagabond et José se relevèrent alors que l’ogre partit se réfugier dans sa caverne, poursuivi par Étincelle. Anina, qui avait vu la scène, José et le Magicien entrèrent dans la tanière du monstre, dont le sol était jonché d’ossements. Ils trouvèrent le monstre recroquevillé dans un coin gémissant :

– Par pitié, éloignez cette horreur de moi ! Pitié !

L’enchanteur déclara :

– Je te débarrasse du serpent si tu me promets de quitter la région et de t’installer dans les montagnes. Promets-moi que tu ne reviendras plus jamais et je retransforme le serpent en chat.

– D’accord, tout ce que vous voulez. Je promets.

Le Magicien claqua des doigts et le serpent se retransforma en chat noir, qui continua à menacer l’ogre en feulant, comme s’il ne s’était pas rendu compte de son retour à l’état de félin.

– Pars ! dit froidement le Magicien au monstre, et si j’entends à nouveau parler de toi, ce sera une centaine de serpents qui viendront se charger de ton cas.

L’ogre déguerpit sans demander son reste.

Ils rentrèrent chez le jeune couple. Le Magicien resta quelques jours chez eux, aidant volontiers aux travaux de la ferme. Puis un matin, il disparut sans laisser d’autres traces qu’un mot de remerciement. Il partit, et le jour-même, le fermier promut José pour le féliciter d’avoir débarrassé la région de l’ogre. Le jeune homme était désormais chargé de diriger les autres travailleurs. Lui et Anina vécurent heureux et ne connurent plus le besoin jusqu’à la fin de leurs jours.

Quant à l’ogre, on raconte maintenant qu’il vit dans les montagnes et qu’il est toujours aussi effrayé par les serpents, mais qu’à cette peur s’étaient ajoutées celles des vagabonds et des chats.