Le Défi du Roi

adapté d’un conte antillais

La Martinique et la Guadeloupe étaient alors chacune dirigée par un roi. Ces deux rois se ressemblaient beaucoup : ils étaient tous les deux jaloux, imbus d’eux-mêmes, prétentieux et méprisants. Malgré leurs caractères très proches, ces deux monarques ne pouvaient pas se supporter et s’enviaient mutuellement. Ils se faisaient face, chacun assis sur un volcan. Le roi martiniquais trônait sur la montagne Pelée, son homologue guadeloupéen était perché sur la Soufrière. Ils se toisaient du regard toute la journée, au sommet de leur montagne respective.

Un beau matin, une bouteille contenant un message s’échoua sur les larges de la Martinique. Un des ministres du roi martiniquais la trouva et lut le message. C’était un message du roi de Guadeloupe et il fallait à tout prix mettre le seigneur de Martinique au courant. Le ministre escalada avec peine la montagne Pelée, où, comme à son habitude, son roi défiait son homologue du regard. Il remit le message au monarque. Celui-ci lut :

Cousin,

Vous vous croyez supérieur au reste du monde et il est temps que l’on vous remette à votre place !

Je vous lance le défi suivant : je parie que vous ne parviendrez pas à résoudre le problème que je vais vous poser. Cependant, si vous arrivez à trouver une solution, je vous céderai mon royaume. Mais dans le cas, probable, où vous échoueriez, c’est vous qui m’offrirez votre couronne.

Acceptez-vous le défi ?

Le Martiniquais lança un regard noir en direction de son rival guadeloupéen perché sur la Soufrière. Il convoqua tous ses ministres et conseillers. Le roi faisait les cents pas devant eux. Il ignorait s’il pouvait prendre le risque de perdre son royaume en acceptant le défi. Ses conseillers l’imploraient de refuser le pari, car malgré son arrogance et son tempérament de feu, le roi était un bon souverain. Mais l’idée de se dégonfler devant le roi guadeloupéen était trop forte, il ne voulait pas donner raison à cet imbécile en refusant le pari. Il fit envoyer un message où il confirmait à son rival qu’il relevait le défi. Il retourna au sommet de la montagne Pelée dans l’espoir de voir la surprise de l’autre roi quand celui-ci recevrait la réponse à sa provocation.

Quelques jours plus tard, un ministre haletant arriva vers le roi de Martinique au sommet du volcan. Il avait reçu le problème que posait le guadeloupéen :

Cousin,

Voici ma requête : fabriquez-moi trois planches d’eau et ma couronne est vôtre.

Vous avez deux semaines. Passé ce délai, j’annexe votre île.

Le Martiniquais resta pantois. Des planches d’eau ? Mais comment diable fabriquer des planches d’eau ? Il convoqua ses ministres et conseillers qui ne l’aidèrent pas beaucoup. Tout comme lui, ils restèrent sans réponse face à ce problème. Les jours suivants, ce fut un défilé de savants, de charlatans et autres prétendus sorciers vaudous qui se rendit au palais. Mais personne n’était capable de créer des planches d’eau. Le roi martiniquais pestait en imaginant son homologue de Guadeloupe riant au sommet de la Soufrière, alors que lui était obligé de rester dans son palais à se creuser la tête pour trouver une solution au défi. Les jours s’écoulaient et le roi commençait à ressentir la peur de voir son île dirigée par celui qu’il considérait comme un idiot arrogant et belliqueux.

Un matin, alors qu’il se promenait dans la cour de son palais, le Martiniquais eut la surprise de tomber nez-à-nez avec un étranger à la peau blanche vêtu d’un manteau usé qui ressemblait à un mendiant. Il était accompagné d’un chat noir. Le roi interrogea :

– Que fais-tu ici ? Comment es-tu entré ?

L’inconnu répondit :

– Je suis entré parce que la porte était ouverte, j’espérais pouvoir quémander un bon repas.

Le roi grogna :

– Encore un pique-assiette. Qui es-tu pour espérer t’inviter chez un roi ?

Le vagabond déclara :

– Je suis un malheureux conteur égaré. Je ne sais pas comment j’ai fait pour arriver jusqu’ici. Mais ça fait deux semaines que mon chat et moi n’avons rien mangé.

Le monarque soupira :

– J’ai d’autres soucis bien plus importants que de fournir un repas à un étranger sorti de nulle part.

L’inconnu se gratta la tête :

– Peut-être que je peux t’aider. J’admets que je préférerais mériter ce repas plutôt que de le mendier.

Le Martiniquais ne savait pas ce que cet étranger pouvait avoir comme solution pour son problème. Il n’avait pas l’apparence d’un savant ou d’un magicien. Mais désespéré, il lui parla du défi lancé par le roi de Guadeloupe.

Le vagabond dit en souriant :

– Je ne sais pas fabriquer de planches d’eau ; d’ailleurs c’est impossible d’en créer. Par contre, je sais comment vous faire garder votre couronne.

Le roi s’exclama :

– Parle. Si tu dis vrai, je promets de faire de toi mon plus précieux conseiller, tu n’auras plus jamais faim et tu pourras te vêtir des plus belles étoffes que je possède.

L’étranger s’esclaffa :

– L’hospitalité pour un soir me suffira et si vous pouviez m’offrir un bateau pour que je puisse retourner d’où je viens, ce ne serait pas de refus.

– Tout te sera offert si ta réponse me convient et me permet de garder mon île, déclara le Martiniquais.

– Tu vas dire à ton rival que tu possèdes bel et bien des planches d’eau, expliqua le vagabond, mais précise-lui qu’il ne pourra les voir que s’il vient ni le jour, ni la nuit.

Ainsi le roi de Martinique put conserver son île. Comme promis, il offrit l’hospitalité à l’inconnu, ainsi qu’un de ses plus beaux bateaux. Personne ne le vit plus sur l’île de Martinique. Le roi, quant à lui, cessa de monter sur son volcan pour toiser son rival du regard. Le pari lui avait fait perdre le mépris que les puissants ont pour les moins riches, car c’est un vagabond qui lui avait permis de conserver sa couronne.