Finn, le Magicien

adapté de contes irlandais

Un jour, convié par un groupe de jeune dans une taverne de Dublin, le Magicien racontait ses histoires. Après quelques verres, on lui demanda de narrer son histoire, son passé. Récalcitrant, le sorcier changea de conversation. Mais plus tard, le sujet revint sur la table. Le tavernier s’exclama :

– Pour l’amour du ciel, Finn ! Il n’y a pas meilleur lieu qu’ici pour raconter ta meilleure histoire : la tienne !

Surpris, le vagabond écarquilla les yeux. Cette taverne était-elle sa taverne ? Comment le tavernier pouvait-il connaître son nom autrement ?

Après une grande inspiration, le Magicien commença son histoire :

« Je suis né il y a de cela des siècles, ici, en Irlande. J’étais un garçon bagarreur et sans grandes aspirations dans la vie. Je me destinais à devenir soldat. Mais un jour, alors que je n’avais même pas vingt ans, un vieil homme, un Grec, je crois, arriva dans la taverne où j’avais pris l’habitude de me rendre. Je passais mon temps accoudé au comptoir, à boire et à faire des avances à la fille du propriétaire de la taverne, dont j’étais follement épris.

Le vieux eut le malheur de me bousculer. J’avais déjà bu quelques chopes de bières brunes et je ne manquais jamais l’occasion de faire mon intéressant. Je bousculai le vieux en retour, le provoquant pour me battre avec lui. Il claqua des doigts et la chope se trouvant sur le comptoir vola jusqu’à moi pour s’écraser sur mon visage. Je commençais à m’énerver quand l’étranger tenta de m’apaiser en m’offrant un verre. Je tentai de savoir comment il avait réussi à m’envoyer une chope dans la figure en se contentant de claquer des doigts. Mais il éluda toutes mes questions en me les renvoyant. Je lui racontai ma vie, que je comptais entrer à l’école militaire et que je pensais être le meilleur cogneur de tout Dublin. Quand le moment de payer vint, le vieil homme se changea en pièce afin de régler l’addition à la fille du tavernier, qui tenait de temps en temps le comptoir quand son père n’était pas là. Je me dis alors que si ce type pouvait se changer en pièce, il pouvait se payer ce qu’il voulait. Avant que la fille du tavernier ne le vit, je mis donc le vieux changé en pièce dans ma bourse et je payai les consommations avec des pièces normales. Je sortis de la taverne et j’entendis une voix provenir de ma bourse :

– Laisse-moi sortir !

Je rigolai :

– Tu comptais te retransformer une fois que le tavernier aurait encaissé ? Ce n’est pas très correct, même un ivrogne comme moi en est conscient. Cependant, je veux bien te laisser partir si tu m’apprends à faire ce que tu fais.

Le vieux grogna :

– Je croyais que tu trouvais que ce que je faisais n’était pas correct.

– Je n’ai jamais eu la prétention d’être un honnête homme. Je constatais juste.

Je le laissai prisonnier pendant quelques jours. Il lui arrivait de se plaindre de temps à autre. Mais un matin, il me dit :

– Laisse-moi sortir et je te promets de t’apprendre tout ce que tu veux.

Et comme un Magicien tient toujours ses promesses, il me prit comme élève. C’est une histoire assez ironique, car je me suis fait avoir d’une façon similaire, un jour. Mais au lieu de me demander de le former, l’homme qui m’a eu a tenté de se débarrasser de moi en me mettant dans un sac et en me laissant dans une tempête de neige en Islande.

Pendant deux ans, nous avons parcouru l’Irlande de long en large. Mon maître avait beaucoup voyagé, mais l’âge le rattrapait. Il cherchait quelque chose en particulier, quelque chose se trouvant en Irlande, mais il ne voulait pas m’en parler. Je n’appris pas grand-chose durant ces deux ans. Mon maître était le fils d’un roi et d’une pauvre femme qu’il avait épousée pour son intelligence. Il m’avait dit que sa mère avait aiguisé son esprit en lui posant des énigmes quand il était enfant. Il en fit de même avec moi, car il considérait que j’étais trop peu réfléchi. Le Magicien précédant et moi passions beaucoup de temps à pêcher au bord des rivières. Nous passâmes quelques fois à Dublin, où je pus voir Morrigan, la fille du tavernier.

Je m’étais fait à l’idée de passer ma vie à suivre ce vieillard, qui commençait à m’apprendre les rudiments de sa magie. Mais un après-midi, alors que nous pêchions, je vis un poisson des plus surprenants. C’était un saumon aux écailles d’or. J’appelai mon maître pour qu’il le voie à son tour. J’avais déjà vu beaucoup de choses incroyables au côté du vieux, j’espérais qu’il allait pouvoir me dire ce qu’était ce poisson. Il se contenta de grogner :

– C’est pour ce poisson que je suis sur cette île. Essaye de l’attraper, mais ne le regarde pas dans les yeux. Quiconque le regarde de face tombe dans un profond sommeil.

Attraper le saumon d’or fut fastidieux. Mais je finis par le prendre à mon hameçon et à le ramener sur la berge. Mon prédécesseur m’ordonna de le préparer, mais insista sur le fait que je ne devais pas goûter au poisson avant lui. Épuisé par la journée, il alla se coucher me demandant de le réveiller quand le saumon était prêt.

Je mis le poisson sur le feu. Mais en voulant vérifier sa cuisson, je finis par me brûler le doigt. Je le mis dans la bouche pour apaiser la douleur. Je sus alors qu’il s’agissait du saumon de la connaissance. J’ignorais comment je fis pour savoir cela, mais je le savais.

Quand je réveillai mon maître, il nota que j’avais l’oeil plus vif qu’avant et les joues légèrement rougies. Il me demanda :

– As-tu mangé le saumon ?

Je lui répondis que non. Il me posa une autre question :

– L’as-tu alors goûté ?

Je lui parlai de ma brûlure. Il baissa les yeux, déçu.

– Le saumon de la connaissance fait de celui qui découvre son goût en premier l’homme le plus vif d’esprit d’Irlande. Finn, tu es désormais assez sage pour savoir utiliser la magie sans en abuser.

Il était très triste de ne pas avoir mangé le poisson en premier. Mais il m’expliqua qu’il préférait savoir que c’était moi, son élève, qui bénéficiait des dons qu’il confère, plutôt que quelqu’un de peu scrupuleux.

Je restai encore trois ans avec le vieux. Il m’apprit comment utiliser la magie, mais je ne parvenais pas à transformer quoi que ce soit. J’appris également les limites des pouvoirs d’un Magicien, comme l’impossibilité de faire apparaître quelque chose de solide à partir de rien. Un jour, mon maître me mena à la taverne où je l’avais rencontré. Le père de Morrigan était mort dans l’année et sa fille avait hérité de l’établissement. Celui qui était encore le Magicien me posa la main sur l’épaule et me dit :

– Finn, nos chemins se séparent. Je ne pensais pas avoir la chance d’avoir un apprenti comme toi. Tu seras un grand Magicien.

Je le regardai, abasourdi :

– Mais je ne sais rien faire qui soit digne de toi. Quand je claque des doigts, rien ne se passe.

Le vieux Magicien répondit :

– Quand je t’ai accepté comme apprenti, je t’ai désigné comme le prochain Magicien. Je vais mourir, petit, et tu verras, tu deviendras le Magicien.

Il me tourna le dos et disparut, sans que je puisse lui dire au revoir.

Quelques jours plus tard, j’avais repris ma routine. Je passais mes journées à vagabonder dans les rues de Dublin et mes soirées à la taverne. Je continuais de faire la cour à Morrigan. Mes cinq ans avec mon maître n’avaient fait qu’accroître mes sentiments pour elle. Elle semblait partager l’amour que je lui portais, d’autant plus qu’elle était heureuse que je sois devenu plus sage. Un jour, je surpris un homme à faire des avances à la tavernière. J’allais le provoquer, prêt à tout pour la femme que j’aimais. Il voulut m’envoyer un coup au visage, mais d’un réflexe, je claquai des doigts et il se transforma en rat. Je répétai mon geste et il reprit sa forme normale. Mon rival prit ses jambes à son cou.

Heureux d’être devenu le Magicien, je repris mes mauvaises habitudes de bagarres. Je gagnais de l’argent en me battant, ce qui finançait mes soirées chez Morrigan. Je trichais grâce à la magie. Je me mis aussi à jouer à des jeux d’argent, où, encore une fois, je gagnais de façon peu loyale. J’en oubliai tout ce que m’avaient appris le saumon de la connaissance et mon maître. Mais après quelques mois, Morrigan me parla :

– Finn, tu ne devrais pas faire ça. Je croyais que le vieil homme avec qui tu étais parti t’avait permis d’apprendre ce qui était juste. J’ai l’impression de revoir le garçon rustre que tu étais avant de le rencontrer.

Je ne voulais pas la perdre, mais je ne pouvais pas me permettre de ne pas gagner d’argent. Je lui répondis :

– Qu’est-ce que je peux faire ? J’ai besoin d’argent pour venir à la taverne.

– Tu pourrais avoir un travail honnête, comme m’aider ou être soldat.

J’acceptai donc de travailler à ses côtés. Je me servais de la magie pour éloigner les clients trop turbulents et les hommes s’approchant trop de Morrigan à mon goût. Nous finîmes par nous marier. Malheureusement, je découvris bien tôt la malédiction des Magiciens. Je ne vieillissais pas alors que Morrigan mûrissait. Les années passèrent et jamais l’amour ne faiblit entre nous. Mais un jour, la femme que j’aimais tomba gravement malade. Je tentai tous les moyens magiques ou traditionnels pour la sauver, en vain. Un soir, elle me demanda de lui prendre la main. Elle tourna son visage marqué par le temps et s’adressa à moi :

– Je ne survivrai pas, Finn.

Je tentai de la rassurer. Je lui dis que je finirais par trouver une solution. C’est alors qu’elle me demanda de lui promettre une chose :

– Ne t’arrête pas de vivre pour la vieille femme que je suis devenue. Tu as la chance d’avoir encore la vigueur de la jeunesse et d’être le Magicien. Promets-moi que tu vas te servir de tes pouvoirs pour voir le monde, ce que tu t’es retenu de faire pour moi pendant toutes ces années.

– Je ne me suis retenu de rien du tout. Je suis resté parce que je t’aimais et je t’aime toujours, m’exclamai-je.

Morrigan me caressa la main. Elle me dit :

– C’est égoïste de ma part de t’avoir empêché d’aller aider des personnes qui avaient sûrement plus besoin d’un Magicien que moi. Alors promets-moi d’aller rencontrer ces personnes et de les aider.

Je dus retenir mes larmes, mais je lui promis. Elle eut une montée de fièvre soudaine et elle me demanda dans un râle :

– Magicien de mon coeur, peux-tu m’accorder un vœu ?

Je repris espoir, un Magicien devait toujours exaucer les vœux qu’il avait donnés, c’était la seule manière de surmonter certaines règles magiques. J’espérais de tout mon coeur qu’elle souhaite que je la guérisse. Elle m’indiqua notre chat noir, Étincelle, que tu connais déjà :

– Allonge sa vie, afin qu’il puisse rester avec toi. Comme ça, il s’assurera que tu tiennes ta promesse, et je pourrai toujours veiller sur toi.

– Demande-moi de te guérir, Morrigan, suppliai-je.

Elle serra ma main plus fort :

– J’ai eu la chance de t’avoir à mes côtés pendant de longues années, Finn. J’ai eu une belle vie avec un mari admirable. Alors va, apprends les histoires de ce monde, que tu puisses me les raconter quand on se retrouvera.

Je claquai des doigts, rendant la longévité d’Étincelle liée à la mienne. Morrigan ferma les yeux pour la dernière fois.

Anéanti par le chagrin, je ne fis pas beaucoup de choses les premiers mois. Un jour, je conseillai à une vieille femme d’ouvrir au prochain étranger lui demandant l’hospitalité. J’appris plus tard qu’elle avait suivi mon conseil et ouvert au roi en personne qui l’avait couverte d’or. J’eus le sentiment agréable d’avoir rendu service à quelqu’un. Je me suis mis à marcher plus vite afin d’aider le maximum de personnes. J’allais plus loin pour entendre des histoires incroyables et ensuite les partager à mon tour. C’est ainsi que je suis devenu le Magicien. »

Le tavernier sourit aux jeunes et aux clients ayant écouté l’histoire. Il déclara :

– Il y a quelques siècles, le propriétaire de cette taverne a perdu sa femme. Il a quitté l’établissement, laissant un simple acte de propriété signé de son nom. Il avait tout laissé en place, y compris une grosse somme d’argent dans la caisse. Mon ancêtre est arrivé et a repris l’établissement. Cependant, le mystérieux Finn qui avait abandonné la taverne avait oublié quelque chose d’important qu’il aurait dû prendre dans ses voyages.

Il sortit d’un petit coffre un livret en cuir rouge et le jeta au sorcier qui l’ouvrit. Il s’agissait du journal de Morrigan. Il le parcourut, ému aux larmes de revoir les lettres écrites de la main de celle qu’il aimait. Les derniers mots lui étaient adressé :

Finn, mon Magicien. Je te laisse ces pages blanches afin que tu puisses, à travers ce journal, me relater tes aventures.

Même si tu doutes parfois d’être quelqu’un de bien, même si tu fais parfois des faux-pas,
tout ira bien, car pour moi, tu es la meilleure personne de ce monde.

Morrigan

Le sorcier ferma le livret et monta dans la chambre qu’il avait réservée, afin conter ses aventures. Il y resta durant des mois. Puis quand les derniers mots, ceux de cette histoire, de son histoire, furent couchés sur la dernière page du livret, le Magicien se rendit chez un relieur et se fit faire une journal similaire, afin que plus jamais, il n’oublie d’écrire ses aventures pour les partager avec celle qui lui manquait tant et peut-être plus tard avec ceux qui les trouveraient dignes d’être lues.