Le Livre de la Sagesse du Monde

Adapté d’un conte espagnol

C’était la femme la plus pauvre de tout le village, voir de tout le pays. Elle faisait peine à voire dans ses vêtements usés, le visage émacié et le regard triste. Cette malheureuse était veuve et semblait avoir tout perdu à la mort de son mari : sa beauté, sa joie ou encore le peu de richesse qu’elle possédait. De plus, elle avait sept fils, sept bouches à nourrir. Malgré sa misère, elle aimait ses enfants qui le lui rendaient bien.

Mais une année, la famine frappa la région. Les fils de la veuve décidèrent de partir gagner leur vie à travers le monde, afin de libérer leur mère du devoir de les nourrir. Ce fut avec le coeur lourd qu’un matin ils firent leurs adieux à la pauvre femme qui les avait aimés et chéris durant des années, en dépit des difficultés.

Ils allèrent de ville en ville, se proposant pour la moindre besogne. Mais ils étaient si maigres, si fragiles, que tous leur refusèrent de leur donner un emploi. Charpentiers, cuisiniers, maraîchers et même les fossoyeurs, tous répondaient par la négative à leurs demandes. Certains argumentaient qu’ils étaient trop jeunes, d’autres leur reprochaient leur grand nombre et bien sûr, beaucoup mettaient en avant leurs physiques trop frêles. Les jeunes garçons dormaient souvent le ventre vide et quand ce n’était pas le cas c’était qu’un pêcheur ou un autre boucher les avaient pris en pitié et leur avait donné quelques restes de sa marchandise. N’ayant pas d’argent pour payer une chambre, les garçons se reposaient au bord des routes ou dans les bois.

Un jour, une tempête fit rage. La pluie battante accompagnée du vacarme assourdissant du tonnerre força les sept frères à chercher un refuge. Un épais brouillard s’était levé avec l’orage, les garçons ne voyaient même pas le bout de leur chaussures. Après de longues heures d’errance, les frères se trouvèrent face aux murs recouverts de ronces d’un vieux château. Une aubaine pour eux, trempés jusqu’au os et les cheveux ruisselants; ce château était assez grand pour tous les accueillir. Ils frappèrent à l’immense porte, mais personne ne répondit. Le bâtiment était-il à l’abandon ? L’aîné prit les devants et décida d’entrer dans le château. Ses frères l’accompagnèrent. Ils se retrouvèrent dans une cour vide, envahie par les toiles d’araignée et les mauvaises herbes. Le château était bel et bien abandonné.

Le vieux termina sa lecture et poussa un soupir de soulagement. Il regarda les sept garçons et remercia l’aîné, se tenant à côté de lui :
-Merci, mon garçon. D’ailleurs, je vous remercie tous les sept. Il y a de cela bien longtemps, j’étais un homme dur et impitoyable. Les gens me fuyaient, les femmes me suppliaient d’épargner leurs enfants, les hommes réclamaient ma clémence. Je me délectais de mon pouvoir. Je n’aimais personne et ne connaissais pas la pitié. Mais un jour, un voyageur fut outré par mes actes. C’était un magicien. Il m’enferma dans cette pièce sombre et me maudit, je ne pouvais trouver le repos avant d’avoir fini la lecture de ce livre. Il parle de personnes sages et bonnes. Il décrit aussi la douleur de ceux qui souffrent, les peines des victimes d’injustice. Il détaille également mes méfaits, mes fautes, mon égoïsme et ma cruauté. Dans ces pages se trouvent les cris des torturés, les pleurs des mères qui perdent leurs enfants, le râle des mourants, l’agonie des suppliciés et le désespoir de ceux qui se sentent impuissants face aux tyrans. J’ai commencé la lecture de ce livre il y a de cela cent ans. Seul celui qui m’éclairerait pouvait me libérer de ma malédiction. Vous m’avez sauvé, en échange, je vous offre ce château. Il est en mauvais état mais il y a sept pots remplis d’or enterrés dans la cave, ils sont pour vous.
Au moment où le vieux prononça ces derniers mots, il y eut une bise légère et la torche s’éteignit. Quand les jeunes garçons la rallumèrent, le vieux, le fauteuil, le tableau et le livre avait disparu sans laisser de trace.

Les sept frères trouvèrent l’or promis par le vieillard et purent reconstruire le château, lui redonnant l’éclat qu’il avait possédé autrefois. Ils s’y installèrent avec leur mère. Cette famille ne connut plus jamais la faim ou la misère et la veuve ne perdit plus son sourire.