Le Magicien et le Roi

Adapté d’un conte islandais

En des temps immémoriaux, le Royaume d’Islande était gouverné par un puissant roi et son épouse. Ils étaient plus riches que les autres souverains du Nord de l’Europe. Leur fortune était si grande qu’il fallut plus d’un an à leurs ministres pour compter chaque pièce se trouvant dans leur coffre. Ils possédaient également des troupeaux de bœufs et d’agneaux si vastes qu’un dixième de l’île d’Islande leur servait de pâturages. Derrière l’immense palais du roi vivait un couple de vieux, dans une petite cabane de bois. À la différence du roi et de la reine, ils étaient extrêmement pauvres. Ils tiraient leur subsistance de leur seule et unique vache.

Un dimanche, le vieux couple se rendit au culte, comme chaque semaine. Ce jour-là, le sermon du pasteur se porta sur la charité.
-Celui qui donne recevra au centuple, disait l’officiant.
Sur le chemin du retour, cette maxime trotta longuement dans la tête du vieillard. Cela voulait dire que s’il donnait une pièce, il en recevrait cent, puis si, ensuite il redonnait ces cents pièces, il acquerrait dix mille pièces. C’était aussi valable avec le bétail; s’il offrait sa vache, quelqu’un lui en rendrait cent qu’il pourrait facilement revendre. Ces pensées occupèrent son esprit de longues minutes, si bien qu’il en parla à sa femme. Celle-ci, qui était pleine de bon sens, lui donna une petite tape derrière la tête en disant sèchement :
-Est-ce l’âge qui te rend idiot ? Ne prends pas les paroles du pasteur à la lettre, ce n’était qu’une image !
Malgré les paroles de sa femme, le sermon du pasteur tarauda l’esprit du vieil homme toute la journée, même quand le couple fut rentré dans sa petite cabane.

Le lendemain, après une nuit tourmentée par le cas de conscience que lui infligeait les paroles du pasteur, le vieux décida de donner sa seule et unique vache. Il fit venir des ouvriers pour construire une étable capable d’accueillir cent vaches. Quand sa femme se réveilla et vit le chantier qui se tenait à côté de sa cabane, elle s’enragea et hurla sur son mari :
-Tu es vraiment demeuré ou sénile ? N’as-tu pas écouté ce que je t’ai dit hier ? Il ne faut pas prendre ce genre de sermon au pied de la lettre ! Personne ne serait assez stupide pour échanger cent vaches contre une seule vache !
C’était leur première dispute depuis des années de mariage heureux. Mais le vieux ne prêta pas attention aux véhémences de sa femme. Pendant que son épouse gesticulait pour faire cesser le chantier, le vieillard réfléchit à qui pouvait bien lui offrir cent vaches contre la sienne. Il pensa immédiatement au roi. Celui-ci, richissime, avait tellement de bétail qu’il lui suffirait d’un mot pour donner cent bêtes au vieil homme. Mais allait-on seulement le laisser approcher le monarque ? Finalement le vieillard décida de donner sa vache au pasteur qui, pour faire honneur à son sermon, se montrerait sûrement charitable.

Il se rendit donc chez le pasteur avec sa vache. Durant le trajet, le vieil homme remarqua que le ciel s’assombrissait. Il devait faire vite, avant qu’une tempête ne se lève. Il accéléra le pas. Quand il arriva chez le pasteur, il lui dit :
-Je viens vous offrir ma vache, ainsi pourrez-vous m’en donner cent en retour.
L’homme d’église dévisagea le vieux et grimaça. Son regard oscillait entre moquerie et exaspération. Il déclara :
-Tu n’as vraiment rien compris à ce que je disais. Pars avec ta vache, vieux fou !
Il claqua la porte au nez du vieillard, qui put l’entendre jurer et pester au sujet de la bêtise de son paroissien.

Le vieux fit donc le chemin inverse, afin de rentrer chez lui, le coeur lourd. Etait-il abruti par l’âge, comme le prétendait son épouse ? Etait-il devenu fou ? La réaction du pasteur le hantait et il marchait les larmes aux yeux. Pour ne rien arranger, la tempête, qui menaçait auparavant, s’abattit sur l’Islande. C’était le genre d’aléa typique de la région, de violentes bourrasques accompagnées de neige entravant tout malheureux se trouvant à l’extérieur. Le vieux peinait à avancer, tout en tirant sa vache affolée par la fureur des éléments. Avec la neige, formant un épais rideau blanc, il était impossible de voir bien loin. Mais le vieux connaissait assez bien la région pour ne pas s’inquiéter de la visibilité moindre. Cependant celle-ci l’empêcha de voir un étranger qui s’approchait à grands pas. Inévitablement, les deux hommes se heurtèrent et se retrouvèrent les fesses dans la neige. L’inconnu, un grand homme roux, se releva rapidement et aida le vieux à se remettre sur pied. L’homme portait un grand sac en toile sur son épaule. Après s’être excusé, il demanda au vieillard :
-Que fais-tu dans la tempête avec ta vache ?
Le vieux lui raconta ses mésaventures. L’inconnu écouta avec attention. Une fois le récit terminé, le grand roux déclara :
-Ta vache ne survivra pas à cette tempête, je te propose ceci : je prends ta bête et tu récupères mon sac. Je peux t’assurer que tu ne le regretteras pas.
Le vieux demanda ce qu’il y avait dans le sac, mais l’inconnu refusa de lui répondre. Le vieil homme était tiraillé entre le souhait de garder sa vache, ce qui lui éviterait à coup sûr de se disputer à nouveau avec sa femme, et la curiosité, il voulait savoir ce qu’il y avait dans le sac. Finalement, il donna sa vache et prit le sac. Il le mit sur son épaule alors que l’étranger s’éloignait avec le bovin. Le baluchon était lourd et le vieux se mit à spéculer sur son contenu. À la forme irrégulière de la toile, il supposa que le sac était rempli de vivres.

Quand il arriva chez lui, il dit d’un ton triomphant :
-Ma chère épouse, fais bouillir de l’eau ! J’ai échangé notre vache contre un sac plein de nourriture !
La femme mit une marmite sur le feu. Alors que de petites bulles apparurent à la surface de l’eau, le vieux ouvrit le sac. Mais au lieu de voir de la nourriture tomber sur le sol de sa demeure, il vit un grand homme vêtu d’un manteau brun râpé sortir du sac : le Magicien. Celui-ci ne prêta pas attention aux deux vieux. Il fit craquer ses articulations en pestant :
-C’est la dernière fois que j’accepte un défi aussi stupide que « je suis sûr que tu n’es pas capable d’entrer dans ce sac ».
Un chat noir aux yeux émeraude sortit également du sac et se mit à gambader entre les jambes du Magicien. Celui-ci regarda par la fenêtre de la cabane et s’adressa au félin :
-Mon brave Étincelle, à la vue du paysage et du climat, mon petit doigt me dit que l’autre imbécile a essayé de se débarrasser de nous en nous congelant. Nous sommes en Islande, et nous ne pourrons pas partir avant quelques mois et le retour du printemps.
Il se tourna vers le couple qui le fixait, abasourdi par l’apparition de ce curieux personnage. Il interpella les vieux pour la première fois :
-Comme mon chat et moi-même sommes coincés ici jusqu’à la fin de l’hiver, et le retour des navires se rendant sur le continent, je suppose que si vous m’avez libéré, c’est pour m’accorder l’hospitalité.
C’en était trop pour la femme qui explosa de rage et se mit à secouer son mari dans tous les sens :
-Non content de t’être débarrassé de notre vache, qui nous fournissait notre maigre pitance, il a fallu que tu amènes un inconnu qu’il faudra nourrir ! Et accompagné d’un chat qui ne va sûrement pas jeûner !
Le Magicien dit à son chat, sans que les vieux, en proie à une violente dispute, ne s’en aperçoivent :
-J’ai parlé d’hospitalité, mais cela ne veut pas dire que la personne accueillie va se tourner les pouces.
Il regarda la marmite bouillante et ajouta :
-Étincelle, as-tu faim ? Parce que moi, je dois t’avouer que je suis affamé !
Le chat miaula, comme pour répondre à son maître. Le Magicien et Étincelle sortirent de la cabane. Pendant leur absence, les vieux s’étaient calmés. Et quelle ne fut pas leur surprise en voyant l’étrange homme qui était sorti du sac revenir chez eux avec deux agneaux sur les épaules et commencer à les cuisiner. Il était évident qu’il les avait volés mais comme le couple n’avait rien d’autre à se mettre sous la dent, ils acceptèrent les assiettes que leur tendait le Magicien, qui prépara même une petite gamelle pour son compagnon à quatre pattes. Il en fut ainsi les jours suivants, le Magicien amenait des agneaux et les cuisinait pour ses hôtes. Les vieux remercièrent le ciel de leur avoir envoyé cet étranger qui partageait lors des repas le récit de ses péripéties à travers le monde. Quand il n’était pas dehors pour chercher des agneaux ou à raconter ses aventures, l’enchanteur était assis dans un coin, Étincelle lové sur ses genoux.

La magie du Magicien avait ses limites et il ne pouvait pas faire apparaître de nourriture ou d’être vivant de nulle part. Il volait donc les agneaux de l’immense troupeau du roi. Le voyageur considérait que celui-ci en avait suffisamment pour partager avec ses sujets les plus démunis. Malheureusement pour lui, au bout de quelques semaines, le berger du roi constata que le troupeau se réduisait de jour en jour. Il nota également la présence fréquente d’un chat noir autour des bêtes. Les chats noirs sont souvent considérés comme porteurs de malheurs et le berger, étant très superstitieux, fit part de ses observations à son roi.
-Ne sois pas stupide, tonna celui-ci quand le berger vint le voir, si le malheur devait s’abattre sur nous, il ne se contenterait pas de faire disparaître quelque bêtes. C’est un voleur qui est responsable de la disparition de nos agneaux. Cependant jamais, durant mon règne, personne n’eut commis de larcin. Je suppose donc que c’est un étranger.
Le monarque mandata ses gardes pour vérifier dans chaque famille si un étranger avait été accueilli. Il apprit que les vieux vivant derrière son palais avait accueilli un vagabond accompagné d’un chat lors de la tempête quelques semaines auparavant.

Les gardes entrèrent dans la cabane et demandèrent au Magicien de les suivre. Le vagabond obtempéra sans contestation. Le couple qui s’était attaché à l’étranger se mit à pleurer; le Magicien allait se faire tuer pour avoir volé les agneaux du roi et c’était leur faute.
-Si seulement nous nous étions inquiétés de la provenance de nos repas, gémirent-ils à l’unisson.
Le Magicien accompagna les gardes, Étincelle dans les bras, jusqu’à la salle du trône où se tenait le roi. Ce dernier demanda, bien que la présence du chat noir confirmait à ses yeux la culpabilité du vagabond :
-Étranger, est-ce toi qui dérobes mes bêtes ?
Le Magicien n’adressa pas un regard au roi, se contentant de répondre en grattant la tête d’Étincelle :
-Oui, c’est bien moi.
-Et pourquoi ? Ignores-tu que tu enfreins la loi en agissant de la sorte, gronda le roi, agacé par la nonchalance de l’étrange individu.
Pour la première fois, le Magicien leva ses yeux noirs en direction du monarque. Il eut un rictus narquois :
-Pour nourrir les deux vieux qui vivent derrière ton palais. Sans ça, ils seraient morts de faim. Je me suis fait la réflexion suivante : tu as plus de bêtes que tu ne peux en manger, alors c’est une juste chose que je te fasse partager avec les pauvres. C’est le devoir d’un roi, non ?
Devant l’insolence du vagabond, le roi entra dans une colère noire.
-Qui es-tu pour m’apprendre à régner sur mon peuple, hurla-t-il.
-On me surnomme le Magicien, je suis un humble illusionniste et conteur errant. Je vais à travers le monde au gré de mes envies, et je peux te dire que je n’ai jamais vu quelqu’un qui mérite autant que toi de se faire détrousser.
Bien que furieux de l’attitude de l’étranger, le monarque était intrigué par sa réponse. Il défia le Magicien :
-Bien, si tu veux me voler, tu me voleras, mais avec mon autorisation, cette fois-ci. Demain, je vais envoyer mon plus beau bœuf dans la forêt, accompagné de mes soldats d’élite. Si tu parviens à déjouer leur vigilance, tu auras la vie sauve ! Maintenant, hors de ma vue ! La prochaine fois que je te verrai, tu as intérêt que ce soit pour m’annoncer ta réussite, sinon je vous fais couper en morceaux, toi et ton animal de malheur !
Étincelle feula, apparemment vexé, et le Magicien grimaça. Ils retournèrent chez les vieux qui ne cachèrent pas leur joie de voir leur ami vivant. Sans leur donner d’explication, il leur demanda une corde.

Le Magicien et son chat se rendirent dans la forêt. Le vagabond fit un repérage rapide et estima le parcours qu’allaient faire le bœuf et les soldats. Sur ce trajet, il accrocha la corde à un arbre et y fit un nœud coulissant. Il se pendit à l’arbre, bien en vue. Quand le bœuf et la garde d’élite du roi passèrent devant l’arbre, ils entendirent les miaulements plaintifs d’un chat. Étincelle semblait pleurer son maître, pendu à l’arbre. Le chef de la garde s’esclaffa :
-Il a sûrement volé d’autres personnes. Mais ceux-ci semblent avoir été moins cléments que notre roi. Bon débarras !
-Que fait-on du chat ? demanda son second.
-Laissons cette sale bête à son sort, un loup finira bien par en faire son repas !
La petite caravane s’éloigna. Les soldats étaient ravis, ils n’avaient plus à veiller avec autant d’attention sur le bœuf. Une fois la troupe assez loin, le Magicien claqua des doigts et la corde se relâcha. Il tomba sur le sol avec une grâce féline. Le vagabond rassura son chat :
-Aucun loup ne te mangera, je te le promets. Tu sais bien qu’avec ma magie, j’ai pu nouer la corde de façon à ce qu’elle paraisse assez serrée pour me tuer, mais qu’elle ne l’était, dans les faits, absolument pas. Maintenant, filons à travers les bois pour arriver au prochain point de passage du bœuf !
Étincelle se jeta en ronronnant sur les talons de son maître qui s’élançait entre les arbres pour rattraper son retard sur la troupe. La Magicien arriva au pied d’un autre arbre. Il pouvait entendre la compagnie arriver. Il claqua des doigts et se retrouva à nouveau pendu. Étincelle se remit à miauler bruyamment. En voyant le Magicien pendu, un garde demanda :
-Il y avait deux voleurs jumeaux ?
Un autre répondit :
-Bien sûr que non. Regarde, il y a à nouveau son chat au pied de l’arbre.
Le chef grogna :
-Il est mort, attachons le bœuf et allons vérifier vers l’autre arbre.
La troupe partit laissant la bête sans surveillance. Le Magicien descendit de l’arbre et détacha le bœuf. Il l’amena chez les vieux et le dépeça. Ils mangèrent sa chair et utilisèrent sa graisse pour en faire des bougies.

Le lendemain, la garde royale était à nouveau à la porte du vieux couple. Ils emmenèrent le Magicien pendant que les vieux sanglotaient :
-Nous n’aurions pas dû manger le bœuf. Cette fois, ils vont vraiment exécuter notre ami.
Le vagabond, son chat sur les talons, entra dans la salle du trône en affichant un petit sourire satisfait. Le roi semblait dépité :
-Tu as volé mon bœuf, dit-il.
-Bien sûr ! Je devais le faire pour sauver ma vie.
Le monarque soupira :
-Je te fais grâce.
Il leva les yeux et demanda :
-Cependant, je suis curieux. M’accorderais-tu un autre échantillon de ton talent ?
Le Magicien aimait les défis. Il accepta et le roi le mit au défi :
-Je désirerais que tu dérobes les draps de mon lit, cette nuit, pendant mon sommeil.
Le vagabond se pinça le menton et réfléchit. Il devait voler les draps du roi et de la reine pendant que ceux-ci se trouvaient blottis dedans.
-C’est un défi de taille. Mais je l’accepte !
Il retourna chez les vieux, qui étaient bien évidemment ravis de le voir en vie. Il leur confia Étincelle. Bien que très intelligent, le chat pouvait se faire remarquer trop facilement. Le Magicien remplit un pot d’une épaisse bouillie qu’il prépara avec de l’eau chaude, de la farine et d’autres ingrédients qu’il sortit de son manteau râpé, le ferma et fonça dans le palais avant que les portes ne se ferment. Il se cacha dans un placard de la chambre royale.

Une fois la nuit tombée, le roi fit fermer le palais à double tour et renforça la garde. Le Magicien se trouvant déjà à l’intérieur du bâtiment, ces mesures furent bien vaines. Le roi et la reine allèrent se coucher alors que la lune était levée depuis plusieurs heures. Une fois que le monarque se mit à ronfler, le Magicien sortit de son placard et s’approcha discrètement du lit. Il versa la bouillie tout doucement entre le roi et la reine et retourna se cacher. Quand la reine sentit l’humidité du drap, elle se réveilla en sursaut et bondit hors du lit. Elle réveilla son mari et lui dit :
-Mon cher époux, tu as mouillé le lit ! Peux-tu m’expliquer de quoi il s’agit ?
Le roi répliqua :
-C’est toi qui a mouillé le lit !
Une longue dispute s’enclencha, chacun rejetant la faute sur l’autre. Le couple royal fatigua et décidèrent de jeter les draps dans un coin et de dormir sans. Sans doute à cause de l’appel du sommeil, ni le roi, ni la reine ne songèrent au Magicien. Ce dernier, une fois assuré que le couple se soit profondément endormi, sortit de sa cachette et prit les draps. Avec sa ruse et ses pouvoirs, le Magicien n’eut aucune peine à s’échapper du palais et à retourner chez les vieux.

Le lendemain, les soldats frappèrent à la porte et emmenèrent le Magicien. Les vieux se demandèrent si cette fois-ci leur ami n’était pas allé trop loin. Une fois devant le roi, qui était accompagné de la reine ce matin-là, il ricana :
-Vous avez fini par décider lequel de vous deux a mouillé le lit ?
Le roi eut un sourire jaune, la reine fixa durement le vagabond. Le seigneur déclara :
-Tu m’impressionnes, Magicien. Mais je voudrais te mettre au défi une dernière fois.
L’enchanteur opina du chef. Il écouta le roi expliquer :
-Je voudrais que cette nuit, tu essayes de nous enlever, ma femme et moi.
Comme le jour précédent, le Magicien accepta et repartit chez les vieux. Il prit les bougies faites avec la graisse du bœuf et Étincelle.

La nuit tombée, vers minuit, le Magicien entra dans l’église se trouvant à côté du palais. Il sonna les cloches, ce qui réveilla le roi et la reine. L’enchanteur claqua des doigts et les bougies qu’il avait disposées dans le cimetière se trouvant à côté de l’église s’allumèrent et se mirent à voler sur les tombes. Les monarques crurent voir l’âme des défunts danser au rythme des cloches qui ne cessèrent de sonner. Il se rendirent à l’église, sans prendre le temps de se changer, et aperçurent une étrange silhouette dans le porche se trouvant devant le bâtiment. Elle était comme une grande ombre emmitouflée dans une cape noire. Le couple pouvait voir de grands yeux verts, brillants comme deux émeraudes. Ils crurent qu’ils s’agissaient d’un messager de l’autre monde. Ils tombèrent à genoux, terrifiés. L’ombre dit d’une voix rauque :
-Voyez l’âme des défunts implorant le pardon éternel ! Tremblez car le Jugement Dernier est arrivé !
Terrorisés, le couple royal supplia la silhouette de les sauver. Celle-ci feula, comme un chat, dévoilant une bouche garnie de dents pointues. La voix rauque reprit :
-Entrez dans ce sac, dit-elle en ouvrant un grand sac de toile, ainsi je pourrais vous porter jusqu’aux cieux.

Sans demander leur reste, le roi et la reine entrèrent dans la besace. L’ombre les enferma et sortit de l’obscurité du porche. La lumière de la lune révéla l’identité du sinistre messager : le Magicien avait posé Étincelle sur sa tête et s’était drapé d’une cape noire. Il retira son chat de son crâne et le posa par terre. Il interpella le couple royal se trouvant dans le sac d’où les deux vieux l’avaient sorti :
-Je dois vous avouer quelque chose. Je ne suis ni un ange, ni le messager de la Mort, je suis le Magicien et j’ai réussi à vous enlever ! Maintenant que vous êtes mes prisonniers, je pourrais vous humilier sur la place publique, mais je sais que vous n’êtes pas de mauvaises personnes, donc j’ai un marché à vous proposer : vous allez prendre mes hôtes au palais et partager tout ce que vous avez en trop avec eux. Et si vous avez toujours du surplus, partagez-le avec les plus démunis. Agissez ainsi et vous n’entendrez plus parler de moi.
Le roi accepta, apeuré. Le Magicien le ramena, ainsi que la reine, au palais.
Une fois le couple royal bien au chaud sous leurs draps, le seigneur demanda :
-Qui es-tu, Magicien ?
Le vagabond ricana et répondit :
-Je suis, comme je te l’ai dit, un conteur ambulant. Cependant, je te l’accorde, je ne suis pas illusionniste, je suis un véritable magicien. Mon but est de découvrir le monde et les histoires qu’il a à m’offrir et si je peux rendre la vie plus agréable à des personnes dans le besoin, je ne me gêne pas. Je vais, je viens, ci et là, sans attache, sans foyer, car le monde est ma patrie et la terre est ma maison. N’essayez pas de m’arrêter car vous avez besoin de moi, dans la misère de notre temps et la morosité du quotidien; la magie est nécessaire pour illuminer la vie de ceux qui n’ont rien sauf l’espoir et le rêve. Ainsi je m’en vais, mon bon roi, reste juste et impartial, car sinon tu auras à nouveau à faire à moi !
Il disparut en compagnie d’Étincelle. Le roi prit les vieux au palais, et conformément au souhait du Magicien, il partagea ses richesses avec eux. Il partagea ses biens avec son peuple. Personne ne vola plus jamais durant le règne du roi, car personne ne manquait de rien. Le monarque n’entendit plus parler du Magicien qui semblait s’être volatilisé, comme par enchantement.