Prédateurs si fragiles

Avril 2015

Dimanche 12 avril, la France et tout particulièrement la Réunion s’émouvaient du décès d’un jeune prodige du surf de 13 ans attaqué par un requin bouledogue. Il était parti surfer dans une zone formellement où toute activité nautique quelle qu’elle soit était défendue.

Braver les interdits ne semble pas freiner outre-mesure les inconscients ou les pressés-de-gagner-du-temps-à-tout-prix – je pense là particulièrement à ceux qui croient que rater un train va leur coûter la vie ou aux « fana » du hors-piste qui montrent l’étendue de leurs œuvres chaque année en déclenchent des avalanches qu’ils ne sont pas seuls à prendre en pleine figure.

« Et la passion dans tout cela ? » me direz-vous. Elle n’empêche pas un consentement éclairé ! Les morts en faisant ce qu’ils aimaient ne fustigent rien ni personne, et ils n’alimenteront aucune polémique ; alors que ceux qui restent cherchent et trouveront inévitablement un responsable, une cible.

Les marins savent tous que l’océan les tolère jusqu’à un certain point qui est hors de leur portée. Soit ils acceptent cet état de fait, soit ils choisissent une vie moins périlleuse, ce qui ne les empêchera nullement de périr de la manière la plus banale, qu’ils se rassurent ! Mais dans le cas contraire, c’est un choix et il se respecte. Fin des hostilités.

Dans le cas de cette personne, dont l’âge finalement importe peu, puisqu’il ne sert qu’à accentuer le côté dramatique, et d’autres victimes d’attaques de requins c’est pour beaucoup la méconnaissance, l’ignorance et/ou l’inconscience qui sont éventuellement à incriminer, bien avant les squales.

Le requin a une mauvaise réputation. Je ne saurais dire si c’est les Dents de la Mer qui lui a porté un tel préjudice, les quelques morts consécutifs à son attaque par année dans le monde ou simplement parce que son aspect physique, spécialement celui du grand requin blanc, est aussi impressionnant qu’effrayant. Il donne l’impression que face à lui, nous n’avons absolument aucune chance – ce qui n’est pas faux.

Mais le salut des baigneurs ne passe pas par la diabolisation d’un animal qui fait paradoxalement, moins de victime que la mer elle-même ou que les piscines que nous faisons entrer dans nos jardins, tout près de nous.

En 2002, on comptait 370’000 morts noyés. La route tue environ 1,3 millions de personnes par année dans le monde, et 20-50 millions de blessés, provoqués par nos semblables aux manettes d’engins pensés et dessinés par et pour l’homme.

En comparaison, les requins, pour l’année 2014, ont fait 10 victimes et 87 blessés, soit un total de 97 attaques en tout et pour tout ! À l’évidence nos inventions et nos congénères sont plus susceptibles de causer notre perte que la centaine de requins sur laquelle certains ont la malchance de tomber.

Et du côté des requins combien sont victimes de nous ?

L’organisation internationale à but non lucratif Sea Shepherd Conservation Society (SSCS), estime que 100 millions de requins sont tués chaque année, toute espèce confondue, principalement à des fins commerciales : les ailerons sont prisés en Chine afin de concocter une soupe qui frappe par son absence de goût, la peau après traitement sert de cuir dans la maroquinerie, les dents de bijoux et l’huile de foie est utilisé dans l’industrie cosmétique.

On peut alors légitimement se demander lequel de nous deux souffre le plus de nos rencontres ?

Mesdames et Messieurs qui partez en croisades contre les requins, connaissez-vous au moins vos adversaires ?

Les 3 principales espèces responsables d’attaques sur les côtes sont le grand requin blanc, le requin tigre et le requin bouledogue.

Le grand requin blanc, avec une taille maximale avoisinant les 6 mètres, est l’un des plus grand prédateur des mers. Même si son régime alimentaire peut être extrêmement varié (poissons, tortues, oiseaux, etc.) il chasse les phoques et les otaries avant tout.

Ce dernier élément ne joue pas vraiment en notre faveur, car, non seulement ses proies les plus prisées rapproche son territoire de chasse des côtes, mais en plus, malgré toutes ses qualités physiques dont un odorat extrêmement développé a l’instar de ses congénères, sa vision, elle, n’est qu’approximative. Il ne fait pas la différence entre un surfeur, spécialement quand celui-ci est couché sur sa planche, et une otarie.

Malheureusement pour nous, il ne réalise sa méprise qu’après avoir goûter sa proie, qu’il relâche aussitôt, n’étant en réalité pas friand de chair humaine. Une erreur aux conséquences terribles pour sa victime qui se retrouve avec des marques indélébiles dans le meilleur des cas et pour sa réputation désormais faite ! Pourtant, les biologistes marins ne lui attribuent pas un caractère foncièrement hostile à l’homme.

Le requin tigre quant à lui mesure 3-4 mètres, et il est sur le papier bien plus dangereux que le précédent. Son alimentation est tellement peu sélective qu’elle lui a valu le surnom de « poubelle des mers ». Autant dire qu’à ses yeux, que l’on soit une otarie, un cormoran, un être humain ou n’importe quel déchet jeté en mer, cela ne fait que peu de différence.

Enfin, le requin bouledogue, votre nouveau bouc-émissaire, puisque c’est un individu de cette espèce qui a attaqué cet enfant, mesure jusqu’à 3 mètres et est réputé pour être agressif sans même provocation préalable.

Alors certes les deux spécimens précédents semblent parfaitement faire corps avec l’appellation de « mangeurs d’hommes » – voire les trois car après tout c’est au grand requin blanc qu’était destinée cette appellation à l’origine – les squales et leurs attaques posent, à mon sens, une question sur l’omniprésence de l’être humain sur la planète. Par delà ses racines terrestres, l’homme se rêve créature dominatrice des mers, maître des airs et bientôt de l’espace.

Linguistiquement, si homme vient de humus, la terre, dans le nom que nous nous sommes nous-même donné, est clairement fait référence à notre appartenance à la terre et de fait, à ce à quoi nous sommes étrangers même si un statut de visiteur peut nous être octroyé. L’océan est pour des raisons claires, biologiques, même linguistiques, un domaine qui nous est pour la plupart du temps inaccessible. C’est pourquoi il est totalement irréel de penser que nous puissions n’avoir ne serait-ce qu’une revendication ou réprimande envers un élément naturel aussi gigantesque et puissant.

La Réunion heurtée dans sa chair, ses représentants et les défenseurs opportunistes de la chasse aux requins, devraient plutôt s’informer de ce qui se fait ailleurs en matière de dispositif avant de partir en mer le harpon à la main dans un élan irréfléchi.

L’Australie n’est pas célèbre que pour sa faune indigène unique au monde comme le démontre leur emblème le kangourou, l’île est aussi connue pour abriter parmi les espèces les plus dangereuses de la planète

C’est le pays dans lequel est recensé le plus d’attaques de requins. Tout d’abord, évidemment, parce que les trois espèces les plus fréquemment incriminées dans des attaques y sont présentes. Ensuite parce qu’une grande quantité d’activités nautiques sont pratiquées et enfin parce que la grande majorité de la population vit au bord de la mer, l’intérieur des terres étant désertique et hostile.

Suite aux nombreuses attaques, les autorités ont mis l’accent sur la surveillance, la prévention et la population est mieux informée (plus disciplinée également). Ils ont une conscience aiguisée aux dangers de la mer, et de la nature qui ne les épargne pas.

Si le deuxième pays le plus touché par cette problématique qu’est l’Afrique du sud a une approche assez similaire à l’Australie, le Brésil quant à lui, a mis en place des filets à toutes petites mailles dans l’optique de créer des piscines sûres en mer, cependant, malgré que ces mailles soient prévues pour ne retenir prisonnier aucun poisson ou tortue, il reste à vérifier qu’il ne nuit à aucune autre espèce. Donc, cette alternative, bien qu’efficace pour tenir à l’écart les requins, a encore besoin de temps démontrer son innocuité.

Et si on acceptait simplement que des accidents, malencontreux certes, arrivent, comme il s’en produit tous les jours sur la route sans que une armée ne se mette en quête de chasser la menace automobile de notre planète. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, les miracles et les solutions parfaites, une illusion. La protection efficace à 100% n’existe nulle part sur terre. Nous continuerons à mourir pour faire de la place aux autres de manière plus ou moins dramatique. La caisse de résonance d’événements mineurs à l’échelle du monde et des milliards de vie de cette planète, est disproportionnée mais elle est certainement le reflet d’une angoisse et d’une toute-puissance contrariée. En réalité, s’il n’avait pas inventé l’outil, l’homme ne serait pas le plus grand prédateur de la terre et des océans.

Alors puisque nous nous balançons tout en haut de la chaîne alimentaire, je crois qu’il ne sert à rien de faire d’un clapotis, un tsunami.